le Vendredi 18 avril 2025
le Dimanche 16 mars 2025 10:02 Chronique «esprit critique»

L’unité canadienne face à la désinformation…

Crédit : Social Soup Social Media – Pexels
Crédit : Social Soup Social Media – Pexels
L’interdépendance des États est un fait. Outre les accords de libre-échange et les traités internationaux qui lient le sort des nations à la concurrence et à l’économie de marché…
L’unité canadienne face à la désinformation…
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Voici maintenant que les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, des médias partisans, ainsi que des acteurs aux intentions douteuses contribuent, sous le couvercle du grand «village global», à la désinformation, aux fausses nouvelles, voire à la propagation de théories complotistes.

Le Canada n’échappe pas à ce fléau. Longtemps perçus comme un modèle de stabilité politique et d’unité, les exemples abondent en cas où, ces dernières années, la désinformation a semé le doute dans notre pays, érodé la confiance des citoyens à l’égard des institutions et exacerbé les divisions. Au point que notre grand pays est maintenant qualifié de futur «51e État d’Amérique» par son voisin du sud et que notre premier ministre démissionnaire, Justin Trudeau, quoiqu’on puisse lui reprocher, raillé en tant que simple «gouverneur». 

Honte à toutes celles et tous ceux qui, de quelque façon, ont contribué à ternir l’image du pays en favorisant le doute par des vérités alternatives. Ceux-là ne devraient pas être autorisés à prétendre à une fonction politique au sein de la fédération canadienne. Le fait que le premier ministre Trudeau fut à ce point une cible récurrente de leurs attaques, sous forme de campagnes de désinformation ou en le faisant passer pour un agent d’intérêts étrangers, ou encore pour un dictateur socialiste en puissance et même pour un pédocriminel, reprenant ainsi les recettes les plus grotesques des stratégies de manipulation en ligne, par des complotistes canado-américains notamment, rend inopérant toute tentative pour lui succéder à travers un scrutin populaire et démocratique.

La stratégie de la polarisation

L’un des effets les plus délétères et pernicieux de la désinformation est incontestablement la polarisation du débat public en camps opposés. Ce jeu d’opposition systématique, tel qu’il a été pratiqué ces derniers mois à la Chambre des communes, empêche le dialogue et renforce de surcroît la méfiance des citoyens à l’égard des élus. De nombreuses plateformes numériques et des réseaux sociaux alternatifs contribuent également à cette pratique via la puissance des algorithmes. Pas besoin d’être super intelligent pour comprendre comment s’y prennent certains groupuscules ou partisans politiques. Exploitant des plateformes populaires comme Meta, X ou YouTube au nom de la liberté d’expression, l’expérience montre que leur objectif peut même contribuer à déstabiliser un pays par des messages clivants et une vision dystopique et cauchemardesque de la réalité. 

Que ce soient les manifestations contre les mesures sanitaires, le mouvement des camionneurs ou encore les accusations infondées contre le gouvernement sur le contrôle des armes à feu, tous ces mouvements illustrent parfaitement une dynamique toxique. Cette polarisation s’est aussi manifestée par la radicalisation de certains mouvements qui prônent la sécession des provinces de l’Ouest (Wexit) au profit d’une annexion avec les États-Unis. Tout ce climat délétère nuit considérablement à notre démocratie et affaiblit le sentiment d’unité nationale.

Mais le plus sidérant dans toute cette affaire, c’est de constater que des leaders politiques conservateurs de premier plan, comme Pierre Poilievre et Danielle Smith, ont activement contribué à nourrir cette division et à saper les intérêts canadiens au cours des dernières années. Les voilà aujourd’hui à retourner leur veste en adoptant un discours plus modéré. Si l’heure n’est plus à la rancune et aux divergences, cette hypocrisie ne doit pas pour autant être ignorée à l’approche d’une nouvelle élection fédérale.

Un pays «brisé», vraiment? 

Chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre s’est positionné comme un opposant farouche à Justin Trudeau. Usant de discours populistes et de stratégies de désinformation pour capter l’attention du public, Poilievre est de ceux, avec Elon Musk, qui ont soutenu le Convoi de la liberté en 2022, un mouvement anti-mesures sanitaires qui a paralysé Ottawa et mis en péril l’ordre public. Il a également alimenté des attaques contre les politiques économiques du gouvernement, l’accusant d’être responsable de la crise du logement et de l’inflation, mais sans jamais proposer de solutions concrètes. Face à la menace Trump, dont il prenait pourtant les allures jusqu’à tout récemment, Poilievre a récemment tenté de tempérer son discours, cherchant à séduire un électorat plus large. Mais sa rhétorique incendiaire, «le Canada est brisé à cause de Justin Trudeau», reste à mes yeux une preuve de son opportunisme politique.

Quant à la première ministre conservatrice de l’Alberta, Danielle Smith, elle a pour sa part multiplié les critiques contre le gouvernement fédéral. Proches de certaines personnalités canadiennes très controversées du monde des affaires et du milieu universitaire, telles que Kevin O’Leary, ami de Donald Trump, et Jordan Peterson, farouche opposant d’extrême droite qui rejette en bloc les valeurs canadiennes d’inclusion et de diversité, Smith, qui a souvent flirté avec des idées séparatistes albertaines, a aussi des liens avec des figures controversées du conservatisme américain, allant même jusqu’à partager comme Poilievre des positions anti-wokes et à contester les politiques climatiques de Trudeau. Sa récente stratégie de repositionnement en réponse à la menace des tarifs douaniers américains ne peut occulter ses avertissements adressés aux progressistes canadiens (Danielle Smith appelle les politiciens «progressistes» à «modérer» leurs propos – Radio-Canada – 15 juillet 2024).

Un peuple, une nation, un pays qui ne fait plus confiance à ses institutions devient vulnérable. Lorsqu’une partie significative de la population, sous l’influence de représentants politiques peu scrupuleux, est convaincue que le gouvernement est corrompu ou illégitime, et ce, sur la base de fausses informations, elle devient plus réceptive aux discours populistes, aux appels à la haine et à la violence. Faut-il ajouter qu’une telle dynamique ouvre la porte à l’ingérence étrangère qui bénéficie d’un pays divisé et affaibli? Le climat de méfiance généré par la désinformation est tel qu’il nuit à l’élaboration de politiques publiques efficaces, puisque les citoyens refusent d’y adhérer.

Ce que nous ne pouvions imaginer…

La lutte contre la désinformation n’est pas uniquement du ressort des gouvernements. Les médias du service public, ceux que Pierre Poilievre cherche à remplacer par des médias indépendants (Pierre Poilievre souhaite faire entrer des «médias indépendants» au parlement – Radio-Canada – 14 février 2025), doivent œuvrer à un journalisme de qualité, tout en éduquant le public aux dangers des fausses nouvelles. Nous avons aussi la responsabilité de vérifier les sources, de développer une pensée critique et de ne pas relayer des informations non vérifiées. Promouvoir une culture des faits, encourager un débat public basé sur des arguments rationnels, c’est le meilleur moyen de préserver la vitalité de notre démocratie à l’épreuve des slogans populistes. 

La plus récente menace en date qui plane sur le Canada et qui vient de son unique voisin, au sud de la frontière, atteste plus que jamais de l’importance du combat contre la désinformation. Donald Trump, c’est connu, excelle dans l’art de déstabiliser ses adversaires. Lors d’un entretien récent accordé au journal conservateur The Spectator, le président américain a affirmé que le chef conservateur canadien, Pierre Poilievre, n’était pas assez pro-Trump. En tout état de cause, c’est déjà là un signal que l’équipe en place à Washington peut se permettre d’intervenir à tout moment dans le processus électoral d’un pays traditionnellement allié ; chose que, jusqu’à présent, nous croyions être le propre de pays hostiles, comme la Chine, la Corée du Nord, la Russie, voire l’Inde. 

Démocratie rime avec changement. Le processus de laïcisation entamé depuis trois ou quatre siècles a conduit à un relativisme sur le plan des mœurs. C’est à ce relativisme, qu’une théorie comme le wokisme incarnerait selon certains, que des courants conservateurs traditionnels songeons aux chrétiens-démocrates en Europe ou encore aux conservateurs anglais, canadiens et américains s’y sont opposés. Mais en vain, puisque ces courants ont progressivement adopté les grands principes de la démocratie libérale et les idées progressistes. Si bien que, pour les néo-conservateurs — et tout spécialement pour la frange radicale, religieuse et libertarienne —, une troisième voie est nécessaire, qui consiste justement, en réaction à cet état de fait, à battre en brèche les droits et libertés. Autrement dit, le mépris à l’égard du Canada dont font preuve Donald Trump et sa bande organisée à Washington n’est rien d’autre qu’un rejet de notre sociale démocratie.

N’en déplaise aux partisans des réalités parallèles, le progrès n’est pas qu’un simple slogan ni une orientation qu’on impose. Le progrès procède d’une conscience politique commune, ce qui est tout le contraire d’une idéologie ou d’un décret. Des élections approchent à grands pas au pays. Nous aurons bientôt à faire un choix crucial. Personne ne peut le faire à notre place. Dans le cas contraire, si ce n’est pas au nom de Dieu qu’on refuse le progrès, ce sera encore moins au nom de choix légitimes qu’on pourra l’imposer. Dieu tout comme notre liberté de choix seront alors remplacés par le diable. Prophétie comme dans les Temps anciens. Vive la feuille d’érable!

Glossaire – Prophétie : Annonce d’événements futurs par une personne sous l’inspiration divine