le Vendredi 9 mai 2025
le Mercredi 19 mars 2025 10:21 Société

La francophonie albertaine en mode réflexion

DOSSIER SPÉCIAL Rencontres, ruptures et réconciliation : les relations franco-autochtones d’hier à aujourd’hui Collage : Andoni Aldasoro
DOSSIER SPÉCIAL Rencontres, ruptures et réconciliation : les relations franco-autochtones d’hier à aujourd’hui Collage : Andoni Aldasoro
Les leaders de la francophonie albertaine reconnaissent que la réconciliation avec les peuples autochtones commence par un travail de réflexion et d’éducation interne. Leur priorité actuelle est de favoriser les occasions d’apprentissage en continu au sein de leur communauté afin de renforcer la compréhension mutuelle et de poser les bases d’une collaboration durable.
La francophonie albertaine en mode réflexion
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DOSSIER SPÉCIAL  

Rencontres, ruptures et réconciliation : les relations franco-autochtones d’hier à aujourd’hui

Les liens entre la francophonie et les peuples autochtones en Alberta remontent à loin. La majorité des experts s’accordent à dire que le français a été la première langue européenne parlée sur le territoire. Entre alliances, tensions et ruptures profondes, ces relations ont joué un rôle clé dans l’histoire de la province. Ce dossier retrace leur évolution, des premières rencontres aux initiatives actuelles de réconciliation dans les écoles francophones et au sein de la communauté (retrouvez 4 articles dans nos pages).

Nathalie Lachance est la présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA). Photo : Courtoisie

«Ce n’est pas à nos partenaires autochtones de nous éduquer et de faire le travail pour nous. C’est nous qui devons faire notre part, en s’informant et en accumulant des connaissances», déclare d’emblée Nathalie Lachance, présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA). «Les Premières Nations et les Métis que je connais me rappellent souvent qu’on doit aussi écouter. Ils me rappellent le ratio suivant : nous avons deux oreilles, mais une seule bouche», ajoute-t-elle.

Depuis quelques années, l’organisme francophone multiplie les formations et les conférences destinées à ses employés et ses chefs de file afin de favoriser une meilleure prise de conscience. Cette sensibilisation est nécessaire pour déconstruire certains tabous persistants, notamment autour de la Loi sur les Indiens, précise-t-elle. «Je pense qu’il y a encore beaucoup de mécompréhension. On entend parfois que la Loi est un document favorable aux Autochtones, alors qu’une étude plus approfondie démontre le contraire.»

La table de rapprochement avec les peuples autochtones, mise en place entre 2022 et 2023 par l’ACFA, est un exemple concret, parmi d’autres, des efforts déployés pour informer davantage la communauté francophone. L’initiative a notamment permis de créer un répertoire où sont recensées des ressources publiques en français qui peuvent accompagner le processus de réconciliation.

Plus récemment, une collaboration avec la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta a permis de traduire en français un micro-cours en ligne sur le racisme structurel envers les Autochtones, qui sera disponible du 21 octobre au 13 décembre 2025. «Nous espérons que ça puisse aider notre communauté à approfondir sa compréhension des enjeux auxquels sont confrontés les Autochtones», souligne la présidente. 

Sabelle Gueye, directrice de l’intégration et du développement communautaire pour la FRAP. Photo : Courtoisie

Chacun y trouve son compte

Ces efforts résonnent également au niveau communautaire, alors que plusieurs organismes francophones de la province se mobilisent en faveur de la réconciliation. Depuis trois ans, Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP) organise un événement pour célébrer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, un moment particulièrement apprécié par les nouveaux arrivants.

À leur arrivée au pays, ces derniers ont souvent une compréhension très limitée des effets de la colonisation et de l’assimilation au Canada, explique Sabelle Gueye, directrice de l’intégration et du développement communautaire. «Ils se posent beaucoup de questions, car ce qu’ils connaissent, c’est essentiellement ce qu’ils voient dans la rue», mentionne-t-elle.

L’éducation, selon elle, joue un rôle essentiel pour démystifier certains mythes et assurer leur pleine participation aux efforts de réconciliation. «Ils peuvent commencer par des gestes simples : lire les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, apprendre à identifier le territoire sur lequel ils vivent ou encore lire des auteurs autochtones», énumère-t-elle.

Mais cette démarche va bien au-delà de la sensibilisation. Elle offre aussi à ces nouveaux arrivants francophones, qui sont principalement d’origine africaine, l’occasion de relier leur propre histoire coloniale à celle des peuples autochtones et d’explorer les injustices similaires auxquelles ils ont été confrontés. «Cela suscite beaucoup de réflexions et d’échanges sur la perte des traditions et l’érosion des cultures ancestrales. Ces communautés ont, elles aussi, vécu la colonisation. Il y a beaucoup de similitudes», analyse Sabelle Gueye.

Nathalie Kermoal, professeure et directrice du centre de recherche Rupertsland sur les Métis à la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta, estime que l’ensemble de ces initiatives sont bénéfiques puisqu’elles encouragent les francophones à jouer un rôle actif dans le processus de réconciliation.

«C’est une bonne chose, ça permet aux gens de s’éduquer […]. La réconciliation commence avec soi, [c’est] de se poser des questions sur comment on se situe par rapport à la question autochtone, ce qu’on comprend et ce qu’on ne comprend pas», affirme-t-elle.

En faisant échos aux propos de la présidente de l’ACFA, la professeure rappelle également que la réconciliation ne peut pas reposer uniquement sur les épaules des Autochtones, qui ont d’autres préoccupations quotidiennes à prioriser. Les francophones ont donc avantage à prendre eux-mêmes en charge ce processus.

«Les Autochtones ont d’autres chats à fouetter. Certaines communautés partent même du principe que c’est aux non-Autochtones de faire le travail de réconciliation. [C’est pour cette raison] qu’on doit amorcer la réflexion de notre côté», évoque-t-elle.

Les tipis illuminés du campement autochtone au festival Flying Canoë Volant. Photo : Archives Le Franco – Aidan Macpherson

Une collaboration en évolution

Si la francophonie albertaine est actuellement dans une phase de réflexion et d’apprentissage, la présidente de l’ACFA souligne que la prochaine étape consiste à établir davantage de partenariats avec les communautés autochtones de la province. Elle espère voir se multiplier les activités communes, à l’image du festival Flying Canoë Volant, qui a célébré sa treizième édition entre le 29 janvier et le 1er février 2025. 

«C’est un super bel exemple d’une collaboration réussie à Edmonton. [Ça démontre] à quel point on peut s’enrichir mutuellement. J’aimerais voir des projets similaires se développer dans d’autres régions de la province au cours des dix prochaines années», explique Nathalie Lachance. 

Le festival Flying Canoë Volant met en valeur l’histoire et l’héritage des voyageurs canadiens-français, des Premières Nations et des Métis, tout en offrant aux spectateurs une expérience interactive des cultures. «Notre idée était de créer une plateforme où nous pourrions être des collaborateurs égaux avec les Autochtones et où nous pourrions partager nos histoires respectives», résume Daniel Cournoyer, créateur du festival et directeur général de La Cité francophone à Edmonton.

Ce projet a permis de nouer des relations solides avec plusieurs collaborateurs autochtones, tels que les Native Counselling Services of Alberta, l’Alberta Aboriginal Arts et la Dreamspeakers Festival Society. Il a également renforcé les liens avec de nombreux artistes, dont le groupe musical Cunningham Family, mentionne-t-il. 

«Il y a toutes sortes d’anecdotes qui se sont passées dans les treize dernières années qui me laissent croire qu’on est sur la bonne voie dans le développement de nos partenariats.»

Nathalie Kermoal, professeure et directrice du centre de recherche Rupertsland sur les Métis à la Faculté des études autochtones de l’Université de l’Alberta. Photo : Courtoisie

Un travail de longue haleine

Malgré le travail en cours, la réconciliation entre la francophonie albertaine et les communautés autochtones ne se réalisera pas «du jour au lendemain.» C’est un processus exigeant, qui nécessite du temps et de la patience, souligne la professeure Nathalie Kermoal. 

«Ça prend énormément de travail pour rétablir les relations entre les peuples. Il faut être réaliste», précise-t-elle. Elle plaide d’ailleurs pour que les efforts de réconciliation ne se limitent pas aux initiatives communautaires, mais s’élargissent éventuellement à la sphère politique, avec pour objectif «d’encourager l’autodétermination des peuples autochtones».

Du côté de l’ACFA, l’engagement en ce sens semble déjà visible. La présidente Nathalie Lachance mentionne vouloir renforcer les relations avec l’Otipemisiwak Métis Government, qui gouverne la nation métisse en Alberta, en se concentrant sur des thèmes qui les unissent. «Il y a des parallèles entre nos batailles de protection de la langue et pour faire reconnaître l’unicité de nos cultures», souligne-t-elle.

Les deux organisations collaborent déjà lors de la Journée Louis Riel et de la Journée internationale de la francophonie, auxquelles elles participent conjointement à l’Assemblée législative de l’Alberta. Une rencontre est également prévue en mars entre l’ACFA et la nouvelle présidente du gouvernement métis, Andrea Sandmaier.

«Bien que l’histoire entre les Métis et les Canadiens français ait parfois été tendue, les deux groupes partagent des similitudes dans leur lutte pour la reconnaissance culturelle au Canada. Ces similitudes ont permis aux Métis d’aligner leurs causes avec celles des Canadiens français et de former des alliances à de nombreuses reprises», mentionne cette dernière, laissant la porte ouverte face à d’autres potentielles collaborations.

GlossaireAvoir d’autres chats à fouetter : Avoir des préoccupations plus importantes

Le 30 septembre, la FRAP a organisé une marche afin que les nouveaux arrivants puissent participer, à leur façon, aux efforts de réconciliation . Photo : Courtoisie