le Mercredi 21 mai 2025
le Samedi 17 mai 2025 9:32 Éducation

60 ans d’immersion française : un succès, mais…

(De gauche à droite) Ahdithya Visweswaran, Directeur des affaires publiques et politiques au bureau national (Ottawa) de Canadian Parents for French et Eirwyn Parkinson, élève au programme d'immersion française à l’école secondaire Dr. E.P. Scarlett de Calgary. Photo : Courtoisie
(De gauche à droite) Ahdithya Visweswaran, Directeur des affaires publiques et politiques au bureau national (Ottawa) de Canadian Parents for French et Eirwyn Parkinson, élève au programme d'immersion française à l’école secondaire Dr. E.P. Scarlett de Calgary. Photo : Courtoisie
Le 24 avril dernier, l’Association canadienne des professionnels de l’immersion (ACPI) soulignait, avec certains partenaires comme Canadian Parents for French (CPF), non seulement la troisième Journée nationale de l’immersion française, mais également les 60 ans de l’immersion française au Canada. C’est le temps des bilans pour une dame qui mérite d’être chouchoutée.
60 ans d’immersion française : un succès, mais…
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Dans la page de son site web qui vantait les six décennies de ce programme éducatif, l’ACPI affirme que l’immersion permet, depuis 1965, «à des centaines de milliers de jeunes d’apprendre le français dans un cadre stimulant et inclusif, tout en contribuant à forger une identité canadienne fondée sur le bilinguisme officiel».

De son côté, CPF souligne, certes, la réussite de l’immersion. Selon les chiffres de Statistique Canada datant de 2021, environ les deux tiers des jeunes adultes âgés de 18 à 24 ans de langue maternelle anglaise ou tierce doivent leur bilinguisme grâce au programme d’immersion en français. 

Cependant, «malgré ce succès, ajoute le communiqué de CPF, les statistiques récentes sur les inscriptions au français langue seconde révèlent une stagnation à l’échelle nationale, avec un taux de participation à l’immersion française qui se maintient autour de 11% depuis plus de cinq ans».

Cette stagnation, selon Ahdithya Visweswaran, le directeur des affaires publiques et politiques au bureau de CPF à Ottawa, est due notamment au mythe que l’immersion française est réservée aux plus doués. 

Selon celui qui a déjà vécu en Alberta, c’est complètement faux s’il faut en croire certaines études qui ont été faites sur le sujet. Autre point freinant l’accès au programme d’immersion : selon les provinces, compte tenu de la popularité du programme, les parents doivent faire face à un système de loterie pour permettre à leurs enfants d’accéder aux mots de Gabrielle Roy ou de Félix Leclerc.

Michael Tyron, le directeur général de CPF Alberta, est conscient qu’il faut être en mesure de bien accueillir les enseignants de français langue seconde afin de les retenir dans des communautés loin des grands centres urbains. Photo : Courtoisie

La situation en Alberta

Selon Michael Tyron, le directeur général de CPF Alberta, l’immersion française plafonne également au pays de Danielle Smith. «Quand on est dans une petite communauté, c’est parfois difficile d’avoir des enseignants qualifiés qui vont accepter de rester plusieurs années.» 

Parfois, les écoles ont un double dilemme : prendre un candidat qui parle français, mais qui n’a pas toutes les compétences pédagogiques ou embaucher quelqu’un plus compétent pédagogiquement, mais dont le français laisse à désirer. «J’ai même déjà entendu un prof me dire qu’il enseignait le français en anglais!»

Membre du comité consultatif du Campus Saint-Jean, M. Tyron voudrait bien que la branche francophone de l’Université de Calgary augmente son nombre d’étudiants en éducation. Il se demande même si un genre de maraudage à la fin du secondaire pourrait s’avérer efficace auprès des jeunes afin de les inciter à opter pour l’enseignement du français langue seconde. Autre solution pour garder les nouveaux enseignants : trouver des familles d’accueil qui pourraient leur permettre une meilleure intégration au sein de leur nouvelle communauté.

Bien que l’immersion française soit peut-être moins populaire dans une province conservatrice comme l’Alberta, comme le laisse entendre le directeur général du CPF, il n’en reste pas moins qu’en 2021, toujours selon les chiffres de Statistique Canada, près de 50 000 enfants étaient en âge d’être scolarisés à l’immersion française. D’ailleurs, le Protocole d’entente relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde signé entre le gouvernement du Canada et les provinces et territoires prévoit quelque 9 millions de dollars jusqu’en 2027-2028 pour l’Alberta dans l’enseignement dans la langue seconde.

Du côté des «immersifs»

Simi Odusanya et Catelyn Keough sont tous deux allés à l’école Harry Ainlay, à Edmonton, en 11e et 12e année. Dans le cas de Simi, il était même allé à l’école francophone, alors que Catelyn est un pur produit de l’immersion française depuis la maternelle. L’immersion française leur a été à ce point efficace qu’ils sont en train de terminer un baccalauréat en sciences au Campus Saint-Jean. Ils collaborent même avec le Réseau santé Alberta.

Si Simi Odusaya trouve que les enseignants qu’il a eus étaient bons, sa collègue Catelyn Keough, en revanche, trouve que c’est une fois rendue au Campus Saint-Jean qu’elle a été vraiment mise en contact avec l’amour du français. En cours de conversation, ils ont, eux aussi, abordé le fait qu’il était parfois difficile de trouver des enseignants spécialisés dans tel ou tel domaine et qui soient également capables de parler en français.

De son côté, la jeune Eirwyn Parkinson, de Calgary, qui est en train de terminer son secondaire à l’école secondaire Dr. E.P. Scarlett et qui partira étudier le droit, l’automne prochain, à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, ne regrette nullement que ses parents aient décidé de l’envoyer en immersion française dès la maternelle. «J’ai trouvé que ça me donnait des opportunités à Calgary pour trouver un emploi.» 

La future avocate a d’ailleurs profité de son bilinguisme pour travailler à Élections Canada au cours des dernières semaines. Ses amis devaient sans doute trouver quelque peu bizarre qu’elle apprenne le français de manière aussi intense. «C’est le genre de discussion qu’on a eu au junior high. Mais c’est tout.»

Très contente d’être en mesure de s’exprimer en français, Eirwyn est en quelque sorte l’exemple parfait que donnait en fin d’entrevue Ahdithya Visweswaran. «Avec tout ce qui se passe en ce moment au plan politique, avec l’immersion, c’est le moment de montrer notre différence.»

Glossaire – Stagnation : immobilité, absence de progrès