le Mardi 30 septembre 2025
le Vendredi 26 septembre 2025 16:28 Politique

Rencontre avec Paul St-Pierre Plamondon : Un nouveau dialogue Québec-Alberta

Paul St-Pierre Plamondon était de passage à Calgary les 11 et 12 septembre dernier. Photo : Gabrielle Audet-Michaud
Paul St-Pierre Plamondon était de passage à Calgary les 11 et 12 septembre dernier. Photo : Gabrielle Audet-Michaud

Présumé favori pour devenir le prochain premier ministre du Québec, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, promet, s’il accède au pouvoir en 2026, de tenir un référendum sur la souveraineté lors de son premier mandat. De passage en Alberta, les 11 et 12 septembre dernier, il a profité de son séjour pour réfléchir aux rapprochements possibles entre les deux provinces.

Rencontre avec Paul St-Pierre Plamondon : Un nouveau dialogue Québec-Alberta
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

En marge d’une tournée médiatique, le chef péquiste a prononcé une conférence et pris part à une discussion à l’École de politiques publiques (School of Public Policy) de l’Université de Calgary, aux côtés de sa directrice, Martha Hall Findlay. La rédaction en a profité pour l’interroger sur quelques-uns des grands enjeux de l’heure et notamment cette réflexion sur un rapprochement possible entre les deux provinces unies par leur critique du fédéralisme canadien et leurs aspirations auto-déterminatrices.

Le Franco : Vous affirmez vouloir ouvrir un espace de dialogue entre le Québec et l’Alberta, notamment autour de l’indépendance et de la critique du fédéralisme canadien. Est-ce une façon de répondre, même indirectement, à la lettre que la première ministre albertaine Danielle Smith a adressée, plus tôt cette année, à François Legault, où elle proposait justement un tel dialogue sur l’autonomie provinciale?

Paul St-Pierre Plamondon : En fait, il n’y a pas vraiment de lien, mais [notre approche met en lumière] les différences philosophiques entre le gouvernement actuel du Québec [la Coalition Avenir Québec (CAQ)] et un futur gouvernement du Parti québécois.

Nous, on conçoit que le Québec est un pays et donc on veut des relations diplomatiques fortes avec les endroits dans le monde qui sont appelés à être des partenaires importants. [On conçoit] que le Québec doit exister dans le monde et s’occuper lui-même d’être en dialogue sans passer [par] le fédéral et les médias pour se parler. On pense qu’on va avoir de meilleures relations et plus de collaborations sur certains dossiers si on se parle directement. Et je pense que mes 48 heures ici confirment un peu ça en termes d’impact positif.

Le Franco : Qu’est-ce qui vous a le plus étonné lors de votre visite en Alberta?

Paul St-Pierre Plamondon : Le fait qu’il n’y ait eu zéro adversité nulle part. Je suis allé dans des forums très à gauche et très à droite. J’ai vraiment dit oui à tout le monde. Tout le monde [à qui j’ai parlé] était poli, gentil, constructif. C’est la preuve que des fois, on se bâtit des scénarios…

Peut-être que le régime canadien actuel a intérêt à diviser pour mieux régner. Lorsqu’on se donne un espace pour parler [on se rend compte] du nombre de points en commun que l’on a sur notre lecture du fonctionnement du Canada. 

Le Franco : Avez-vous eu des échanges avec la première ministre Danielle Smith à l’occasion de ce séjour?

PSPP : Non, je ne la rencontrerai pas cette fois-ci. Il faut rappeler qu’en ce moment, je suis chef du troisième groupe d’opposition au Québec. Je n’ai pas cette position politique. Ça viendra fort probablement un jour. Mais pour moi, avoir été en mesure d’écouter dans divers forums l’état du débat public en Alberta sur plein de sujets, ça me fait avancer quand même. Je n’ai pas besoin d’être en contact officiel, dans des rencontres officielles, pour travailler à développer des liens plus forts entre l’Alberta et le Québec. 

Le Franco : Pourquoi le dialogue interprovincial entre le Québec et l’Alberta (ou plus largement entre le Québec et l’Ouest canadien) a-t-il été autant limité, alors qu’il semble plus fluide avec certains de vos voisins, comme l’Ontario?

PSPP : Je pense qu’historiquement, la Fédération canadienne était gérée par le Québec et l’Ontario. Cela a nui à l’œuvre de René Lévesque, parce que le contre-argument aux premiers indépendantistes du Parti québécois, c’était de dire que les francophones géraient déjà à Ottawa. Comment pouvait-il avoir un problème si c’est nous qui gérions le pouvoir?

Cette réalité était très frustrante pour l’Alberta aussi.

Maintenant, non seulement le Québec ne fait pas partie de l’équation d’Ottawa, mais le Québec vote pour le Bloc québécois à l’échelle fédérale et donc ne pourra jamais aspirer au pouvoir. 

L’Alberta, elle, vit une situation un peu différente. Elle est le plus souvent exclue d’un gouvernement libéral, mais elle a tout de même la chance de former le pouvoir à travers le vote de l’Ouest, pour le Parti conservateur. Ce qui est intéressant, c’est que là, l’Alberta arrive à une étape similaire au Québec où elle se dit que, si, après dix ans de [règne libéral sous Justin Trudeau], elle n’est pas capable de faire un gouvernement bleu, sera-t-elle capable d’être représentée à l’échelle fédérale?

[Dans ce contexte], ce n’est pas un hasard que les idées indépendantistes prennent de l’ampleur organiquement. 

Le Franco : Le mouvement souverainiste québécois a longtemps été perçu comme une source de division dans le Canada anglais. Plusieurs Albertains disent avoir vécu dans un climat où il fallait «ménager le Québec». Est-ce qu’un projet souverainiste, aujourd’hui, chercherait plutôt à établir des alliances avec des provinces plus autonomistes, comme l’Alberta ou la Saskatchewan, afin de créer moins de division?

PSPP : Le Québec n’a jamais demandé à ce qu’on nous ménage. On a demandé notre indépendance. C’est le Canada qui, voulant empêcher notre indépendance, s’est mis à mettre en place toutes sortes de compromis frustrants tant pour l’Alberta que pour le Québec. C’est très important de comprendre que c’est l’œuvre du fédéral et non pas de nos demandes. 

Une fois que c’est dit, je pense que les partenariats, les cadres dont on parle, ne sont possibles que si on réalise nos indépendances respectives. Parce que, sinon, on est contraint à négocier avec un gouvernement superflu qui abuse de son pouvoir. Donc, on va peut-être freiner l’abus temporairement, on va peut-être obtenir un petit gain, mais on va reculer sur d’autres choses. Mais la logique ne peut pas mener sur des collaborations saines et satisfaisantes.

Les conflits ou les préoccupations entre Albertains et Québécois découlent du régime canadien et non pas des espaces de collaboration qu’on pourrait facilement trouver si on n’était pas pris avec cette interférence-là. Ça, c’est mon point de vue.

Le chef du Parti québécois, qui, selon les sondages, est favori pour devenir le prochain premier ministre du Québec, a prononcé une conférence devant une centaine d’étudiants de l’Université de Calgary. Photo : Gabrielle Audet-Michaud

Le Franco : Les revendications autonomistes de l’Alberta diffèrent en partie du projet souverainiste porté par le Parti québécois. La première ministre Danielle Smith laisse la porte ouverte à un référendum, mais privilégie la négociation d’un nouveau cadre à l’intérieur de la fédération. Ces visions sont-elles compatibles avec celle du PQ qui vise la sortie du Canada?

PSPP : Oui. L’Alberta, si elle devient plus autonome [en créant ses propres structures], va se rendre à la même conclusion que le Québec, à savoir, que, tant qu’à faire tout par nous-mêmes, pourquoi est-ce qu’on envoie autant d’argent à Ottawa pour se faire contredire sur notre volonté politique assez claire dans notre Parlement? Il n’y aura pas de moyens de s’attaquer à l’essentiel, c’est-à-dire justement l’inutilité du dédoublement d’Ottawa. 

La position dont vous venez de parler ressemble à la position caquiste ou à la position du Parti québécois sous Pierre Marc Johnson. L’histoire est un peu têtue de ce point de vue là. Si le cadre ne change pas et la constitution ne change pas, les abus vont continuer d’une manière ou d’une autre. Ils vont peut-être être suspendus s’il y a un gouvernement autonomiste fort, mais ils vont reprendre lorsqu’un gouvernement plus fédéraliste prendra les commandes en Alberta. 

Donc, la longue histoire du Canada nous dit que la centralisation et l’abus de pouvoir du fédéral sur les provinces sont inévitables…

Le Franco : Lors de votre conférence, vous avez parlé d’un «cadre différent» qui pourrait émerger si le Québec ou d’autres provinces accédaient à l’indépendance. À quoi ressemblerait-il concrètement? Parlez-vous d’une confédération, d’une union économique ou d’un modèle de coopération ponctuelle?

PSPP : C’est un peu difficile à dire. On a vu des pays européens avec des histoires et des identités nationales très très fortes s’entendre sur l’Union européenne. Certains le regrettent parce qu’ils ont peut-être donné un peu trop de pouvoir à l’Union européenne… Je mentionne l’Union européenne pour montrer qu’il y a une variété de structures possibles. Mais ce serait surprenant que, suite à l’indépendance du Québec et de l’Alberta et donc l’indépendance d’autres unités, on choisisse de ne pas collaborer ensemble. Ça m’étonnerait énormément. J’ai l’impression que cette nouvelle structure aurait comme objectif principal de prévenir l’abus généré par le prélèvement de taxes et d’impôts par Ottawa…

J’ai l’impression que le financement des activités de ce qui est fait par Ottawa serait plutôt sous la forme d’une contribution des gouvernements des provinces actuelles vers cette entité-là, pour être certain qu’on ne se retrouve pas dans la situation actuelle où finalement Ottawa perçoit beaucoup trop d’impôts et de taxes. Pourquoi? Pour exercer du pouvoir dans nos champs de compétences en disant : «Si tu veux de l’argent d’éducation, en santé ou autre, il va falloir que tu fasses ce que moi je veux». Il est là le problème. 

Le Franco : Selon des sondages récents, les jeunes Québécois (18-34 ans) se disent plus favorables à l’indépendance que les générations plus âgées. On observe une tendance similaire chez certains jeunes Albertains face aux idées de séparation, même si les données sont plus limitées. Comment expliquez-vous cet engouement plus marqué chez les jeunes?

PSPP : Ce qui est particulier, c’est que le mouvement est assez frappant. Les jeunes étaient contre l’indépendance il y a trois ou quatre ans. C’est vraiment un shift majeur en peu de temps, tellement foudroyant qu’on a de la misère à se l’expliquer nous-mêmes. 

Une des grosses faiblesses du Parti québécois, c’est que, lorsqu’on n’a rien à dire ou à promettre de concret sur la possibilité de faire advenir l’indépendance, on ne peut pas se surprendre que personne n’y réfléchit, parce que la question n’est pas réelle, elle n’est pas matérielle, elle n’est pas née. 

Donc, le fait de le rendre très concret a, à tout le moins, créé cet espace-là pour une génération qui voit, je pense, une opportunité de changement assez profonde dans le cadre d’un chapitre essentiellement à écrire, et c’est eux qui vont tenir le crayon. 

C’est eux qui vont vraiment décider des orientations d’un Québec libre, c’est la génération qui se mobilise en ce moment, pas moi. Ce n’est pas si surprenant vis-à-vis quand même d’un Occident, je ne parle pas du Québec, mais, en général, l’Occident, en ce moment, on n’a pas le sentiment que ça va dans la bonne direction. L’idée que le changement est possible et que ça ouvre plein de portes, je pense, donne espoir et motive les jeunes à travailler pour, essentiellement, ce qui va être leur opportunité de changer les choses… 

Le Franco : De quelles façons un Québec souverain pourrait-il soutenir les communautés francophones hors Québec?

PSPP : Si le Québec réussit à rapatrier 90 milliards par année [une estimation couramment avancée par le PQ, c’est déjà dans notre programme de soutenir les francophones hors Québec. Juste par solidarité dans la conception que nous avons la même histoire et les mêmes expériences. Donc, des fois, chez les francophones, peut-être pas en Alberta, mais on le voit dans d’autres provinces canadiennes, il y a une espèce de compréhension que les francophones hors Québec sont protégés par la présence du Québec dans le Canada en termes d’iniquité et de protection du français. Mais c’est faux. On n’est même pas nous-mêmes à l’abri du déclin. Il a lieu. Il est structurel dans cette fédération canadienne, donc j’aime mieux en sortir et devenir un joueur de soutien pour chacune des communautés francophones.

Le Franco : En Alberta, certains perçoivent parfois l’attitude du Québec comme paternaliste envers la francophonie albertaine. Comment, dans un Québec indépendant, pourrait-on soutenir les communautés francophones hors Québec sans donner cette impression?

PSPP : Je ne sais pas à quel geste du Québec ça se rattache, mais il me semble que la règle est simple. Évidemment, si les francophones de l’Alberta, suite à l’indépendance du Québec, ne veulent pas de soutien de la part du Québec, c’est leur droit. Sauf que mon engagement par principe et par solidarité entre francophones, c’est que, si une communauté francophone comme celle de l’Alberta fait appel au Québec pour le soutien, par exemple d’un journal qui ne bénéficie pas d’une reconnaissance de son statut essentiel pour la communauté, le Québec va le faire [PSPP fait ici référence au journal Le Franco]. Moi, je vais le faire, ça va me faire plaisir. C’est quand même très symbolique. Il y a un seul journal francophone. 

Le gouvernement de l’Alberta ne juge pas que ça a une valeur spécifique dans l’environnement politique albertain. Ce n’est pas normal. Et ça, c’est l’histoire du Québec, comme c’est l’histoire des francophones dans les autres provinces. Et de mon sens, c’est la même histoire, c’est le même destin. Donc oui, si on requiert notre intervention, on va être là.

Glossaire – Foudroyant  : Qui frappe brutalement