le Dimanche 26 octobre 2025
le Samedi 25 octobre 2025 15:00 Arts et culture

De l’ombre à la lumière : rencontre avec Laurier Tiernan

Crédit : Page Facebook de Laurier Tiernan
Crédit : Page Facebook de Laurier Tiernan

Artiste multidisciplinaire queer, Laurier Tiernan a publié son premier recueil de poésie bilingue en août 2025. Dans cet ouvrage, iel retrace les défis liés à son identité de genre, à sa santé et à sa carrière artistique. Ce Franco-Albertain, qui partage aujourd’hui son temps entre Tokyo et Edmonton, raconte à la rédaction son parcours du désespoir vers la résilience.

De l’ombre à la lumière : rencontre avec Laurier Tiernan
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Laurier Tiernan lors du lancement de son recueil de poésie. Photo : Durvile & UpRoute

Le Franco : Vous évoquez plusieurs défis que vous avez traversés au cours de votre vie dans votre recueil, notamment votre diagnostic du syndrome de Marfan. Comment ces expériences ont-elles inspiré votre art?

Laurier Tiernan : J’ai grandi dans une famille pauvre. Mes parents n’avaient pas assez d’argent, même pas pour se supporter eux-mêmes. On habitait dans un logement subventionné par l’Église catholique. Quand je rêvais de quelque chose, ma mère me répétait toujours : «C’est trop cher». Je voulais faire de la peinture à l’huile, suivre des cours de piano ou m’acheter une guitare, mais c’était trop cher.

Très jeune, vers cinq ou six ans, j’ai commencé à comprendre que j’étais au-delà du genre. Un jour, ma mère m’a déguisée en sorcière. Elle m’avait mis du maquillage, c’était un hasard, je ne lui avais jamais parlé de mes sentiments. Quand j’ai voulu lui parler de mes sentiments, elle s’est fâchée et m’a [réprimandé] très sévèrement.

À treize ans, je suis allé voir la conseillère [scolaire] pour lui dire que j’étais homosexuel, malgré que, plus tard, j’ai compris que j’étais en fait bisexuel. La conseillère a ri de moi. Elle a dit que ce n’était pas acceptable dans la société d’être homosexuel. On était en 1987, alors elle n’avait pas tort. Mais sa réaction a été très difficile à accepter pour moi. 

À ce moment-là, j’avais déjà commencé à écouter SNFU, un groupe punk d’Edmonton, qui critiquait l’homophobie et le sexisme dans leurs textes. Et j’ai commencé à rêver de faire de la musique comme ça…

Elle a dit que ce n’était pas acceptable dans la société d’être homosexuel. On était en 1987, alors elle n’avait pas tort

— Laurier Tierman

L’artiste queer signe un livre pendant une séance de dédicaces à Edmonton. Photo : Michael MacDonald

Le Franco : Vous avez alors développé un sentiment d’aliénation?

L.T. : Oui. Surtout qu’à 14 ans, j’ai aussi été diagnostiqué avec le syndrome de Marfan (une maladie génétique rare du tissu conjonctif). Cette expérience-là, combinée avec ce que j’avais déjà vécu… Ça a semé des graines […], des semences de colère dans mon cœur. 

Quelque part, je pense que ça a nui à ma carrière parce que j’ai écrit trop de chansons fâchées et que la majorité des gens ne pouvaient pas s’identifier à mes textes. Malgré tout, j’ai remporté le premier prix du Gala provincial de la chanson à Vancouver en 2001 avec une chanson qui avait un texte très fâché. 

C’est seulement quelques années plus tard, après ma chirurgie cardiaque que je me suis calmé les nerfs. Après mon opération, je n’étais plus capable de tolérer la musique avec des textes de colère.

Je voulais que mes textes reflètent plus un message d’espoir. La chanson Temps de fête de ma formation musicale Nature Airliner en est un bon exemple. C’est un texte qui raconte que, chaque jour, il y a quelque chose qu’on peut fêter si on cherche un peu. C’est vraiment le message de ma musique depuis 2010, qu’il y a toujours de l’espoir.

Le Franco : Votre recueil Fifty-Five Ways to Survive – Cinquante-cinq voies de survie s’inscrit un peu dans cette lignée, puisqu’il aborde l’espoir et la résilience à travers votre processus de guérison. Était-ce votre objectif?

L.T. : Exactement. Ça a été un long projet. En 2022, je me suis dit que je voulais essayer de faire un recueil de poésie au complet sur ce thème-là, le thème de la guérison et de l’espoir. [À l’époque], ça s’appelait 40 voies de survie. Et j’avais soumis ça à des éditeurs à travers le monde entier qui avaient refusé mes textes.

Finalement, l’année passée, l’éditeur qui me publie, Durvile & UpRoute Books, m’a répondu pour me dire que mon recueil était bon, mais trop court et que certains poèmes étaient faibles. Pour moi, c’était la fin de l’histoire, mais au mois de novembre 2024, ils m’ont contacté à nouveau pour écrire une nouvelle et, ensuite, ils ont décidé de publier le recueil à condition que je le retravaille. Mon éditeur m’a suggéré d’avoir un meilleur fil conducteur. D’en faire une histoire, l’histoire de ma vie. De mon parcours de la noirceur à la lumière, du désespoir à l’espoir. 

C’est vraiment le message de ma musique depuis 2010, qu’il y a toujours de l’espoir

— Laurier Tiernan

Laurier a fait une présentation sur le pouvoir de la persévérance à l’Université Grant MacEwan (Edmonton), le 8 septembre 2025. Photo : Michael MacDonald

Le Franco : À quel moment ce projet est-il devenu bilingue? 

L.T. : À la base, le recueil allait être pas mal être en anglais, j’allais seulement inclure le texte de ma chanson Temps de fête. Puis mon éditeur m’a demandé si j’étais intéressé d’en faire un recueil trilingue, comme j’habite au Japon et que je parle le français et l’anglais. Je leur ai dit que d’en faire un recueil trilingue, ce n’était pas la meilleure des idées… En dépit du fait que je parle assez bien le japonais, je ne l’écris pas très bien. Alors, je me serais senti malhonnête d’être publié en japonais. Mais je leur ai dit que je pouvais intégrer davantage de textes en français. 

Le Franco : Est-ce que ça a été difficile de traduire vos textes tout en gardant leur essence?

L.T. : Oui. Au début, je me suis mis à traduire ça mot pour mot. Après avoir fait 3-4 pages, j’ai commencé à [le] lire en français, puis je me suis dit : «C’est vraiment pas beau!». C’est vraiment important pour moi la beauté des poèmes… Je crois très fortement à la nature spirituelle des mots. Alors, j’ai fait un compromis. Je me suis dit que j’allais communiquer le sens des poèmes sans trop me restreindre en termes de traduire ça mot pour mot. Puis, il y a même un poème en français que j’ai décidé de juste écrire à partir de zéro avec le même sentiment que celui que j’avais écrit en anglais. 

Le Franco : Y a-t-il des artistes qui ont inspiré votre œuvre?

L.T. : Leonard Cohen. C’est un de mes grands héros. Andy Warhol aussi. Au niveau musical et du côté francophone, l’opéra rock Starmania a eu une influence incommensurable dans ma vie. Quand j’étais petit, j’ai même cassé le disque à mon père adoptif parce que je l’ai trop écouté. J’ai aussi adoré Bérurier Noir, un groupe anarchiste français. C’est un peu hors de mon genre, mais j’ai aussi beaucoup aimé Joe Dassin. Du côté folk, j’ai toujours adoré Paul Piché. 

Le Franco : Vous êtes Franco-Albertain d’origine, mais vous vivez au Japon. Pourquoi avoir choisi Tokyo comme terre d’accueil?

L.T. : Je suis arrivé à Tokyo quand j’étais en [épuisement professionnel]. J’avais besoin de quelque chose de neuf. Je suis resté parce que j’ai trouvé qu’à date, Tokyo m’offre les meilleures chances pour ma carrière. Je pense que c’est parce que la population est tellement concentrée et qu’il y a beaucoup de monde, alors les opportunités sont nombreuses! Présentement, j’ai peut-être le projet de déménager à Londres, en Angleterre. Mais Tokyo, c’est encore une de mes villes préférées sur la Terre. 

Laurier Tiernan était de passage en Alberta pour la tournée promotionnelle de son nouveau recueil.

Sa chanson Temps de fête figure également dans le film One Night in Tokyo de Joshua Woodcock.

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