le Mardi 30 septembre 2025
le Lundi 22 septembre 2025 10:50 Arts et culture

Lire en français en Alberta, c’est possible!

Les bibliothèques francophones, comme celle de l’Institut Guy-Lacombe de la famille, ne sont pas nombreuses, mais très utiles pour la communauté francophone. Ici, Nina Natacha Raharimiadana, Mélanie (aide-bibliothécaire) et Alexie (aide-bibliothécaire). Photo : Courtoisie
Les bibliothèques francophones, comme celle de l’Institut Guy-Lacombe de la famille, ne sont pas nombreuses, mais très utiles pour la communauté francophone. Ici, Nina Natacha Raharimiadana, Mélanie (aide-bibliothécaire) et Alexie (aide-bibliothécaire). Photo : Courtoisie

En plus des bibliothèques scolaires, les Franco-Albertains peuvent compter sur plusieurs points de location de livres en français à travers la province. De Calgary à Saint-Isidore, en passant par Edmonton, ces espaces sont des carrefours culturels et identitaires pour une communauté en quête de ressources accessibles.

Lire en français en Alberta, c’est possible!
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Ce début septembre n’a pas été simple pour notre équipe de rédaction. Toujours très heureuse de vous faire participer à la rentrée des jeunes Franco-Albertains, le doute a subsisté jusqu’à la dernière minute quand à la décision du corps professoral de faire la grève ou non. Nous remercions donc l’ensemble des conseils scolaires d’avoir fait le maximum pour collaborer avec la rédaction. Certains impératifs que nous comprenons nous ont obligés à mettre des articles de côté, cela fait partie de «la job», pour ainsi dire. Cet article est le dernier de ce dossier.

Bonne lecture!

IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Anick Déchène est responsable de la bibliothèque de Saint-Isidore. Photo : Courtoisie

Dans le hameau de Saint-Isidore, qui compte à peine 350 habitants, un petit groupe de femmes a eu l’idée, au début des années 1980, d’ouvrir une bibliothèque municipale entièrement consacrée aux ressources en français. Quarante-cinq ans et un déménagement plus tard, l’établissement tient toujours debout. La salle est moins animée qu’autrefois, reconnaît sa responsable Anick Déchène, mais elle demeure un lieu de vie incontournable.

«On a surtout des mamans qui viennent avec leurs enfants et qui participent à nos activités. Des aînés aussi, mais pas beaucoup de jeunes. La fréquentation a clairement diminué ces dernières années», confie-t-elle. Selon elle, plusieurs facteurs entrent en jeu, dont l’essor de la lecture numérique. «Je pense que les gens lisent de plus en plus sur leurs [liseuses]», observe-t-elle.

«Heureusement», le cœur de la bibliothèque continue de battre bien au-delà des murs du village. Ses quelque 5000 documents circulent partout en Alberta grâce au réseau TRAC (The Regional Automation Consortium), qui relie près de 180 bibliothèques. Un second programme, Relais 2D2, facilite aussi les prêts entre établissements dans la province. 

«J’envoie des livres à Airdrie, Canmore, Jasper… même dans de très petits villages dont on entend rarement parler. Chaque semaine, jusqu’à trois boîtes de livres partent d’ici pour ailleurs», raconte-t-elle avec fierté. 

Saint-Isidore n’est pas la seule communauté à miser sur la lecture en français. À Edmonton, c’est l’Institut Guy-Lacombe de la famille (IGLF) qui tient ce rôle. Cet organisme communautaire, en plus d’offrir des services aux familles, gère une bibliothèque qui enregistre plus de 15 000 prêts par an.

«Les familles représentent la majorité de notre clientèle, mais les adolescents aussi sont de bons lecteurs et les emprunts sont gratuits pour eux», explique Nina Natacha Raharimiadana, directrice des affaires administratives et bibliothécaire en chef.

Trouver sa clientèle

Les écoles, les garderies et les associations francophones locales utilisent, elles aussi, abondamment la collection et n’hésitent pas à suggérer de nouveaux titres. «On essaie vraiment de refléter les intérêts de notre communauté, alors on se procure rapidement les titres suggérés», ajoute-t-elle.

Plus surprenant encore, l’IGLF attire même des familles francophones qui font l’école à la maison. «Le Conseil scolaire Centre-Nord nous en réfère plusieurs. Ces parents arrivent souvent avec une liste de lectures recommandées par le Conseil et ils trouvent ici ce dont ils ont besoin», souligne Nina Natacha.

À l’autre bout de la province, le Centre d’Appui Familial du sud de l’Alberta (CDAF) joue un rôle similaire auprès de sa clientèle familiale. Sa bibliothèque met à la disposition des familles quelque 18 000 documents, allant des albums jeunesse aux romans, en passant par les bandes dessinées, ces dernières figurant d’ailleurs parmi les titres les plus prisés.

«En moyenne, on enregistre environ 4000 emprunts par an, soit près de 300 par mois. La circulation est quand même bonne», explique Julia Dévouée, responsable de la bibliothèque.

Elisa Durand, assistante culturelle de l’AFC. Photo : Courtoisie

L’immigration au service des bibliothèques 

Mais l’importance du lieu ne se mesure pas qu’en chiffres. Le CDAF a aussi choisi de lever un obstacle majeur pour une partie de sa clientèle : l’argent. Pour les nouveaux arrivants, souvent confrontés à de multiples dépenses, l’abonnement annuel de 30$ est gratuit. 

«Emprunter des livres peut sembler anodin, mais c’est parfois une dépense de trop quand on vient d’arriver. Nous croyons à l’accès à la culture et à l’information pour tous», insiste Julia Dévouée.

Ce geste ne favorise pas seulement l’accès aux livres, mais transforme aussi la bibliothèque en un lieu de rencontres et d’ancrage culturel pour ces nouveaux arrivants qui font face à une immersion soudaine dans un environnement anglophone. «Quand on arrive et que tout est en anglais, c’est difficile. Ici, on peut lire, participer à des activités, rencontrer d’autres francophones… C’est précieux pour se sentir moins seul», témoigne-t-elle.

Contrairement à la petite bibliothèque de Saint-Isidore, le CDAF voit plutôt croître l’intérêt pour ses services, justement en raison des familles récemment établies à Calgary qui y amènent leurs enfants et participent aux activités. «Nous accompagnons les familles dans leur cheminement éducatif, linguistique et communautaire. Cet engouement nous montre que nous participons à l’éveil culturel de la communauté francophone et francophile de Calgary.»

La lecture pour apprendre

S’il y a un organisme francophone en Alberta qui voit sa bibliothèque comme un outil d’apprentissage et de partage de la langue et de la culture françaises, c’est bien l’Alliance Française de Calgary (AFC). Les usagers les plus assidus sont d’ailleurs les étudiants inscrits aux cours de français. «Ils viennent emprunter des livres, cela leur offre un moyen supplémentaire de progresser», précise Elisa Durand, assistante culturelle de l’AFC.

Autour de la lecture, l’AFC a développé une riche programmation pour ses membres : club de lecture, Gossip Hour littéraire où l’on discute des dernières lectures, films ou balados, heures du conte pour enfants adaptées à différents niveaux de français, sans oublier les dictées et les rencontres avec des auteurs.

Sa bibliothèque rassemble environ 8000 ressources, des albums pour enfants aux romans pour adultes, couvrant presque tous les niveaux de maîtrise du français. Les membres réguliers de l’AFC y trouvent aussi matière à nourrir leur curiosité et à maintenir le lien avec la langue. «On fait des prêts de livres tous les jours, on est très actifs», partage Elisa.

Jinny Provencher est aide-bibliothécaire à l’École Sainte-Marguerite-Bourgeoys et travaille dans le milieu des bibliothèques depuis 24 ans. Photo : Courtoisie

La force tranquille des bibliothèques scolaires 

Si les bibliothèques communautaires et culturelles offrent aux familles francophones un lieu de découverte et d’apprentissage, ce sont surtout les bibliothèques scolaires qui constituent le premier contact des jeunes avec la lecture en français. 

À Calgary, l’École Sainte-Marguerite-Bourgeoys abrite la plus grande bibliothèque du Conseil scolaire Francosud, avec plus de 50 000 ressources, presque toutes en français. Derrière ces rayons bien garnis, Jinny Provencher, aide-bibliothécaire, s’efforce de trouver des livres adaptés aux niveaux et aux réalités de ses élèves.

«Mon défi, c’est que j’ai besoin de livres en français, mais pas nécessairement européens ou québécois parce que le vocabulaire et les sujets sont souvent trop avancés pour mes Franco-Albertains», explique-t-elle. 

Pour contourner l’écueil, elle a noué un partenariat avec la Librairie Monet, à Montréal, qui possède un département spécialisé pour les écoles francophones à l’extérieur du Québec. «J’ai demandé aux libraires de me trouver des ressources accessibles, qui soutiennent la francisation, tout en allant chercher les intérêts des enfants. J’ai été agréablement surprise : certaines propositions fonctionnent vraiment bien», ajoute-t-elle. 

Sa participation au Salon du livre de Montréal lui a également permis de tisser des liens avec des auteurs francophones et de garnir les rayons d’œuvres pertinentes.

Les jeunes et la lecture

Pour attirer l’attention des plus jeunes, Jinny a pris l’habitude d’animer des heures de contes. Elle leur fait la lecture à voix haute, raconte, vulgarise. Parfois, elle s’amuse même à cacher les illustrations. «Ils demandent souvent : “Mais pourquoi, madame?” Et je réponds : “Parce que c’est l’histoire d’un petit garçon qui va cueillir des citrouilles. Est-ce que vous êtes capables de l’imaginer par vous-même?”».

Ce jeu stimule l’imagination et la pensée critique des jeunes, mais prend aussi tout son sens dans une école marquée par une grande diversité. «J’ai tellement de francophonies différentes! Il y a beaucoup d’enfants qui sont arrivés ces dernières années d’Afrique, du Maghreb, alors ils peuvent s’imaginer des personnages qui leur ressemblent», explique-t-elle. 

La fréquentation de la bibliothèque, elle, varie selon l’âge. De la maternelle à la 6e année, les enfants passent chaque semaine choisir des livres qu’ils glissent dans leur sac pour la maison. «Chaque fin de semaine, ils repartent avec parfois jusqu’à quatre livres. C’est intégré à leur routine», souligne l’aide-bibliothécaire. 

Les adolescents, en revanche, se montrent plus réticents : emplois du temps chargé, sports, intérêt moindre pour la lecture et, surtout, pour les livres en français. Pour les accrocher, Jinny Provencher cherche des alternatives, comme les mangas, mais le défi demeure énorme. 

«C’est difficile de faire lire nos ados. Je ne pourrais même pas dire ce que les jeunes en dixième année lisent ces temps-ci», reconnaît-elle. Un constat qui rappelle que la promotion de la lecture en français reste un chantier ouvert.

La bibliothèque de l’Alliance Française de Calgary rassemble environ 8000 ressources. Photo : Courtoisie

L’École Sainte-Marguerite-Bourgeoys abrite la plus grande bibliothèque du Conseil scolaire Francosud, avec plus de 50 000 ressources. Photo : Courtoisie

GlossaireÉcueil : Obstacle