le Mercredi 17 Décembre 2025
le Mardi 16 Décembre 2025 13:32 Arts et culture

La relève cinématographique francophone au festival Coups de projecteur

Lionel Vialaneix, le directeur du festival, avec Sloan Decombes, premier rôle dans Zion. Photo : Arnaud Barbet
Lionel Vialaneix, le directeur du festival, avec Sloan Decombes, premier rôle dans Zion. Photo : Arnaud Barbet

IJL-Le festival Coup de projecteur, organisé par la Société Cinémagine de l'Alberta, était de retour pour une deuxième édition les 5, 6 et 7 décembre dernier au cinéma Globe, à Calgary. Un public diversifié y a découvert une programmation riche, multiculturelle et de grande qualité.

La relève cinématographique francophone au festival Coups de projecteur
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Avec les informations d’Arnaud Barbet

Le Prix du festival a été décerné à Zion. Photo : Arnaud Barbet

Ce festival, dès ses débuts, a choisi de mettre les néo-réalisateurs à l’honneur, soit des cinéastes présentant leur tout premier long métrage. Une façon de saluer «le courage, l’audace, l’énergie et le talent» de cette relève, souligne Lionel Vialaneix, directeur général de la Société Cinémagine de l’Alberta. «On est le seul festival au monde, à ma connaissance, qui met en compétition uniquement des premiers films», a-t-il affirmé.

Au total, sept longs métrages de la francophonie internationale étaient en lice, en provenance de différentes régions du globe, comme Haïti, le Sénégal, le Maroc et le Québec. C’est le film guadeloupéen Zion, du réalisateur Nelson Foix, qui a remporté les grands honneurs. Visiblement ému, le cinéaste a réagi par vidéo. «Merci, merci, merci beaucoup pour ce prix, cela me touche beaucoup. C’est le premier prix de Zion, enfin un premier prix», s’est-il exclamé. 

À travers cette production, le spectateur est plongé dans une autre réalité de la Guadeloupe, marquée par la vétusté des quartiers, les coupures d’eau et d’électricité, loin de l’imaginaire des plages et des cocotiers. 

On est le seul festival au monde, à ma connaissance, qui met en compétition uniquement des premiers films.

— Lionel Vialaneix

Nelson Foix remercie, depuis la Guadeloupe, le public du festival pour ce premier prix. Photo : Arnaud Barbet

L’acteur principal Sloan Decombes, fraîchement arrivé de l’aéroport, a livré un témoignage sans détour sur certaines inégalités. «Les Blancs passent avant nous en Guadeloupe», a-t-il lancé, évoquant notamment l’inégalité dans l’accès au crédit. «Pour un scooter, on me donnera un crédit, mais pas pour une maison», a-t-il ajouté. 

Le film aborde aussi la réalité d’une jeunesse confrontée à la violence, à la drogue et à l’influence des gangs. «Ce film-là n’est pas cliché, c’est la vraie vie de la Guadeloupe […]. Quand on rentre dans les quartiers, c’est vraiment comme ça que ça se passe», a témoigné l’acteur.

Présent pour la projection de son film Sur la route de papa, qui avait lieu le dimanche, le réalisateur Olivier Dacourt, lui aussi originaire de la Guadeloupe, a abondé dans le même sens. «Ce film relate ce qu’il se passe réellement là-bas : l’abandon du gouvernement français pour l’île, la face cachée, loin des palmiers», a-t-il expliqué.

Des films qui rassemblent les communautés 

Des membres de plusieurs communautés culturelles de Calgary se sont déplacés pour assister aux projections mettant à l’honneur leur pays d’origine. Ils étaient notamment nombreux du côté de la communauté haïtienne lors de la présentation du film Le dernier repas, un portrait touchant de réconciliation familiale où Reynold, en soins palliatifs, retrouve sa fille, après vingt ans de silence, autour de la gastronomie haïtienne et l’histoire d’Haïti lors de la gouvernance des Duvalier.

Amélie Mbaye, Pierre Nicholson Beldor, président de l’Association de la communauté haïtienne de Calgary, et Olivier Dacourt, coréalisateur de Sur la route de papa. Photo : Arnaud Barbet

Une partie de la communauté haïtienne a bien voulu braver le froid pour une photo souvenir avec l’actrice Marie-Evelyne Lessard au centre à gauche de Pierre Nicholson Beldor. Photo Courtoisie

Marie-Evelyne Lessard, au centre de l’image, avec la communauté haïtienne. Photo : Arnaud Barbet

Une représentativité très large, avec des cultures très différentes et des visions complètement distinctes.

 

— Lionel Vialaneix

Pierre Nicholson Beldor, président de l’Association de la communauté haïtienne de Calgary (ACHC), a aimé que le film aborde cette part douloureuse de l’histoire du pays, et notamment la dictature de la famille Duvalier et l’usage du fort Dimanche comme prison politique. «À cause de la situation du pays maintenant, il y a des gens qui pensent que le temps des Duvalier, c’était le bon. Voir ce qu’il s’est passé en images, pour l’éducation des jeunes, des adultes, c’est important», a-t-il souligné. 

Il ajoute, «c’est presque toutes les familles qui ont été touchées […], ces gens-là ont disparu, sont partis, ne reviennent plus». Il explique combien la politique reste encore un sujet tabou, comme si le tonton macoute, personne à la solde des Duvaliers, était encore là aujourd’hui. «Les gens qui connaissent le tonton macoute ont encore peur, en Haïti, tout le monde sait, on ne parle pas de politique, car il y a des oreilles partout!»

Voir ce qu’il s’est passé en images, pour l’éducation des jeunes, des adultes, c’est important.

— Pierre Nicholson Beldor

Amélie Mbaye et notre confrère de Radio Cité. Photo : Arnaud Barbet

Une quinzaine de membres de la communauté sénégalaise se sont, quant à eux, déplacés pour la projection d’Une si longue lettre, un film adapté du roman culte de Mariama Bâ, qui raconte «la renaissance d’une femme qui, à travers une correspondance intime, redécouvre sa dignité et son pouvoir intérieur après une trahison», résume Cinémagine. Lionel Vialaneix insiste d’ailleurs sur la force du regard féminin à l’écran. «Ce très beau film a été réalisé par une femme, avec une femme dans le rôle principal», précise-t-il.

L’actrice sénégalo-américaine Amélie Mbaye, frigorifiée, a su exprimer sa reconnaissance de voir le film présenté lors de ce festival, ici, à Calgary, tout en dévoilant sa gratitude d’avoir pu incarner le rôle principal de Ramatoulaye. «C’est une fierté incroyable pour moi de tourner dans ce film» sous la direction d’Angèle Diabang Brener. Si ce film a fait le tour des pays africains de la francophonie avec succès, s’il a été présenté aussi à New York, elle insiste sur le fait «qu’il n’a pas encore été diffusé en France» à cause de certaines thématiques, comme l’islam et la polygamie. Triste constat à ses yeux, lorsqu’elle ressent ce film d’abord comme «une histoire sur l’amitié, l’amour et la fidélité».

Pour le directeur du festival, cette édition du festival reflète «une représentativité très large, avec des cultures très différentes et des visions complètement distinctes».

C’est une fierté incroyable pour moi de tourner dans ce film.

— Amélie Mbaye

La richesse d’un «vrai» festival

Le directeur général de Cinémagine tient à rappeler que le terme «festival» est souvent galvaudé. «Tout s’appelle festival maintenant. Il suffit d’une journée où l’on met un ou deux films à la suite et on appelle ça un festival», déplore-t-il.

À ses yeux, un véritable festival repose sur une organisation complète avec une programmation étoffée, des invités, des rencontres et des échanges. Dans le cas des Coups de projecteur, cette dimension se manifeste notamment par la présence de professionnels du milieu – réalisateurs, acteurs –, qui viennent dialoguer avec le public, dit-il. «Le but, c’est qu’ils puissent répondre aux questions de l’audience et qu’ils rencontrent aussi la commission du film de l’Alberta», précise-t-il.

Mais, malgré la qualité de la programmation et de l’organisation, l’achalandage au festival a été plus faible que prévu. Cinémagine espérait attirer environ un millier de spectateurs durant la fin de semaine, mais ce serait plutôt la moitié qui s’est présentée. M. Vialaneix attribue cette baisse de fréquentation principalement aux conditions météorologiques. 

Pour rappel, il y a eu, à Calgary, plusieurs épisodes de brouillard, vendredi et samedi, et des températures froides. Plusieurs détenteurs de billets ne se sont finalement pas présentés, des «no-show», constate-t-il.

Les invités et les membres du jury ont pu visiter certains décors naturels utilisés dans de nombreuses séries filmées dans la région, et ce malgré le froid glacial. Photo : Courtoisie

Sloan Decombes, Amélie Mbaye, Olivier Dacourt. Photo Coutoisie

Palmarès de la rédaction

Ce petit encadré n’engage que son auteur. Mais il me semblait important de vous dévoiler le podium de la rédaction. Avant tout, il faut bien admettre que cette édition, comme la précédente, nous a fait vivre des moments intenses, des émotions incroyables, des rires, des pleurs et, parfois, des doutes. Quel dommage que le blizzard et le froid transperçant ont été, eux aussi, de la partie, décourageant sûrement une partie des cinéphiles.

  • Première place sur le podium, je nommerais Le dernier repas pour ce lien touchant créé par Reynold, ce père Haïtien qui passe le pas pour recontacter sa fille Vanessa après 20 ans d’absence, alors qu’il est en soins palliatifs, à Montréal. Gilbert Laumord et Marie-Evelyne Lessard sont incroyables de justesse tout au long du film dans ces retrouvailles, dictées par la redécouverte des repas traditionnels que Vanessa prépare et livre à son père en catimini de sa tante (pilier familial), et les souvenirs d’une vie de dissident enfermé à fort Dimanche, en Haïti, symbole de la colonisation française et de la persécution des dissidents par la famille Duvalier. En tant que spectateurs, nous sommes transportés dans ces deux univers, l’un contemporain, l’autre historique, avec, pour l’un, l’effluve des papilles et, pour l’autre, la souffrance, mais, comme fil d’Ariane, un espoir qui ne meurt jamais.

 

  • En deuxième place, Zion, pour son esthétisme, le jeu d’acteur de Sloane Decombe, mais aussi pour ce côté obscur de la Guadeloupe, qui est bien sûr méconnu de toutes celles et tous ceux qui y passent des vacances au bord de la plage. Ce film est criant de réalisme, alors que l’action prend place pendant le Carnaval en 2023 et les révoltes liées à la vie chère. Chris est un gars de quartier qui flambe sur sa motocross. Vivant de subsides et de petits deals, il se retrouve très vite à la merci du chef du quartier pour qui il doit faire une livraison qui ne se passe pas comme il faudrait. Au matin de celle-ci, il découvre à sa porte un bébé blotti dans un sac en plastique, désigné comme son fils. Il doit alors le protéger, retrouver la mère de celui-ci sans en connaitre son identité et rendre des comptes à celui qui l’a missionné. «Une course infernale» où, là aussi, le père de Chris, qu’il ne côtoie pas, joue un rôle salvateur. Une lutte pour la survie, jours et nuits, qui soulève de nombreux tabous sur la société actuelle dans ce département français. 

 

  • En troisième place, j’aurais pu mettre tous les autres films… De la comédie au drame, chacun d’eux avait sa place. Mais il fallait choisir. Alors, j’ai jeté mon dévolu sur La Pampa, qui évoque l’homophobie, l’exclusion et le mal-être d’une certaine jeunesse. Ce film prend place dans une France rurale où deux jeunes adolescents vivent une amitié fusionnelle et une passion commune pour le sport mécanique. À la veille d’une course importante, Sayyid El Alami, dans le rôle de Willy, découvre que Amaury Faucher, dans le rôle de Jojo, a une relation amoureuse avec un homme qui leur est proche. S’ensuit une escalade d’évènements et de sentiments à la fois dramatiques et heureux, rendant aussi parfois le public inconfortable. Les deux jeunes fournissent leurs armes et, comme d’autres personnages du film, font face à des enjeux sociaux et familiaux qui les dépassent. Ce film pourrait parfois être lu comme un documentaire, avec des paroles et des actes d’une véracité poignante, où la mort, le rejet de l’autre et de la culture ont toute leur place.

 

Mais n’hésitez pas à visionner les autres films présentés cette année : Phénix de Jonathan Beaulieu-Cyr, Pédalo de Stéphane E. Roy, Une si longue lettre d’Angèle Diabang Brener, Sur la route de papa d’Olivier Dacourt et de Nabil Aitakkaouali et, pour les plus jeunes, le film d’animation Hola Frida coréalisé par Karine Vézina et André Kadi.

 

Arnaud Barbet

Glossaire Galvauder – Diminuer (quelque chose) en l’utilisant mal