David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.
Francopresse – David Dagenais
À moins que les élus républicains et démocrates ne parviennent à s’entendre d’ici le 1er juin, les États-Unis pourraient se retrouver en défaut de paiement. C’est l’équivalent pour un État de déclarer faillite. Les conséquences économiques advenant que la première puissance mondiale ne parvienne plus à payer les intérêts sur sa dette de plus de 31 billions (31 mille-milliards) de dollars sont difficiles à imaginer.
Cela causerait une crise financière majeure qui entrainerait assurément une récession aux États-Unis, la mise à pied de millions de travailleurs, une chute radicale des indices boursiers ainsi qu’une forte hausse des taux d’intérêt. De plus, le statut exceptionnel de devise de réserve dont jouit le dollar américain serait mis à mal.
Les États-Unis n’ont pourtant aucune difficulté à financer leur dette à cout très bas. Ceci n’est pas une crise économique, mais une crise politique créée de toute pièce par les républicains. Il est dur de croire que les élus à Washington risqueraient une telle catastrophe, et pourtant…
Dans la plupart des pays, le Parlement n’a pas à rehausser le plafond de la dette. C’est le cas au Canada où il n’existe pas de tel plafond. Lorsque les élus votent le budget, ils approuvent les dépenses du gouvernement.
À moins d’un grave imprévu, ils savent déjà dans quelle mesure le budget sera déficitaire ou non. Le gouvernement s’endette ensuite au besoin pour acquitter ses obligations.
Mais aux États-Unis, les membres du Congrès, en plus de voter le budget, doivent augmenter le plafond de la dette. La limite de la dette fédérale a été augmentée 78 fois depuis 1960. C’est donc une simple formalité.
Vous vous rappelez la crise entourant le rehaussement du plafond de la dette sous Donald Trump? Non? Et bien c’est normal, il n’y en a pas eu.
Lorsque les républicains ont le contrôle du Congrès et de la présidence, ils augmentent le plafond de la dette sans broncher. Mais lorsqu’ils ont le contrôle du Congrès et que la présidence est démocrate, comme c’est le cas actuellement, ils se servent de ce pouvoir pour faire du chantage et tenter d’imposer leurs priorités budgétaires.
Cette dynamique est renforcée par la division de la société américaine depuis l’émergence du Tea Party et ensuite de Donald Trump et de ses partisans du mouvement Make America Great Again (MAGA).
Déjà en 2011, les États-Unis avaient frôlé la catastrophe. Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama, était parvenu à une entente in extrémis avec les élus républicains qui avaient forcé le gouvernement à réduire ses dépenses de centaines de milliards de dollars. Ces compressions avaient mis un frein à l’importante bonification du filet social entamée par le président Obama.
Même si les États-Unis avaient évité le défaut de paiement, la réaction des marchés à cette incertitude et au recul des dépenses avait été très négative. Les principaux indices boursiers avaient dégringolé et l’agence Standard and Poor’s avait réduit la cote de crédit des États-Unis, ce qui a augmenté le cout des emprunts du gouvernement. Joe Biden s’était promis qu’on ne le reprendrait plus à faire des concessions aussi importantes.
Aujourd’hui, Joe Biden est président et les républicains sont encore plus radicaux qu’il y a douze ans. En échange d’augmenter le plafond de la dette, ils exigent que l’administration Biden abandonne la plupart de ses mesures phares, notamment les centaines de milliards que le gouvernement a promis d’investir pour lutter contre les changements climatiques.
Les premières rencontres entre le président Biden et le leadeurship républicain n’ont servi qu’à montrer le gouffre qui sépare les deux parties. Plus que jamais, l’impasse politique pourrait mener les États-Unis vers un défaut de paiement, même si cette option reste peu probable.
Les constitutionnalistes et les économistes débattent depuis déjà plusieurs semaines de voies de contournement possibles. Est-ce que le Trésor américain pourrait frapper une pièce de 1 billion de dollars? Est-ce que le gouvernement pourrait contester la constitutionnalité du pouvoir du Congrès à rehausser le plafond de la dette?
Plusieurs possibilités sont sur le tapis, mais il serait étonnant que l’administration Biden risque les conséquences désastreuses d’un défaut.
L’adage veut que quand les États-Unis éternuent, le Canada attrape la grippe. C’est une façon imagée d’exposer la relation de dépendance économique du Canada avec son voisin du Sud.
Malgré tous les efforts de diversification économique déployés par nos gouvernements, les États-Unis sont la destination de la grande majorité de nos exportations (76,4 %). C’est le principal marché pour l’exportation du pétrole canadien, la vache à lait du gouvernement fédéral.
Les succursales et les filiales de multinationales américaines sont très présentes au pays. Les réserves en devises étrangères du gouvernement fédéral sont principalement en dollars américains (71 %).
Si l’impensable venait à se produire, la première répercussion au Canada serait une hausse des taux d’intérêt parce que les chaines de crédit entre institutions financières seraient déstabilisées.
La hausse des couts d’emprunt réduirait la croissance. La baisse des exportations suivrait rapidement et réduirait encore l’activité économique au Canada. Les épargnants devraient s’attendre à voir la valeur de leur portefeuille grandement affectée par la chute des indices boursiers et de la valeur des bons du Trésor américain.
L’ampleur de ces chocs éventuels est difficile à prévoir. Une chose est certaine, le Canada se tire plutôt bien d’affaire malgré la hausse des taux d’intérêt actuelle et n’a pas les moyens de subir un tel choc.
Il reste à souhaiter que les élus républicains retrouvent la raison et que le gouvernement américain trouve une solution à long terme à ces crises récurrentes et auto-infligées.
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.
Francopresse – Guillaume Deschênes-Thériault
Les plans d’action quinquennaux pour les langues officielles sont le principal moyen du gouvernement fédéral pour définir ses priorités en la matière et mettre en place des outils et des programmes en vue d’appuyer la vitalité des communautés francophones en ciblant de multiples secteurs, dont l’éducation, l’immigration, la petite enfance, la justice, la santé, la culture, le développement économique, etc.
Depuis la publication du dernier plan quinquennal en 2018, le gouvernement a entrepris un travail de fond en matière de langues officielles dans le contexte de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. D’importants besoins dans des secteurs-clés à la vitalité des communautés francophones ont ainsi été mis en lumière.
Les attentes étaient donc élevées à l’égard du plan de la ministre Petitpas Taylor. Une reconduction des sommes précédentes aurait été loin d’être suffisante.
À lire aussi : La francophonie plutôt satisfaite du Plan d’action
Le nouveau plan d’action 2023-2028 prévoit un financement total de 4,1 milliards de dollars sur cinq ans, dont 1,4 milliard de nouveaux fonds.
Dans l’histoire du pays, il s’agit de l’investissement le plus important jamais consenti par le gouvernement fédéral pour les langues officielles, et ce, même en tenant compte de l’inflation.
Le record précédent à cet effet remontait au premier plan d’action pour les langues officielles 2003-2008, élaboré par Stéphane Dion, alors ministre dans le gouvernement libéral de Jean Chrétien.
Avant la publication du premier plan, en 2003, les dépenses quinquennales du gouvernement fédéral pour les langues officielles s’élevaient à environ 1,1 milliard de dollars. Cette somme a été bonifiée de 800 millions pour atteindre 1,9 milliard pour la période de 2003 à 2008.
Sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper, les nouveaux investissements ont été beaucoup plus limités. Après une augmentation de 300 millions de dollars dans la Feuille de route 2008-2013, il n’y a eu qu’une reconduction des fonds dans celle de 2013-2018.
Après 10 ans de stagnation sous les conservateurs, les libéraux, de retour au pouvoir, ont cherché à rompre avec le gouvernement précédent en injectant 500 millions de dollars supplémentaires au plan d’action 2018-2023.
Le montant du financement cette année marquera certes l’histoire, mais le contexte dans lequel s’inscrit le lancement du plan restera aussi dans les annales.
Le Comité permanent des langues officielles a mené l’étude du projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles. Le texte fera l’objet sous peu d’un vote en troisième lecture à la Chambre des communes.
Or, même si le volet législatif a fait couler beaucoup d’encre, la réforme des langues officielles à Ottawa n’est pas que législative. Elle doit s’accompagner d’actions concrètes pour protéger le français au Canada et appuyer la vitalité des communautés francophones.
Le guide de discussion qui a servi aux consultations pancanadiennes sur les langues officielles en 2022 soulignait d’ailleurs que la modernisation de la loi et la présentation du nouveau plan d’action «vont de pair et font partie d’un continuum».Le tout s’inscrit dans un contexte où le gouvernement canadien a reconnu, dans le discours du Trône de septembre 2020, la situation particulière du français au pays. Bien que l’on ait deux langues officielles, c’est le français qui est dans une situation précaire et le gouvernement reconnait sa responsabilité «de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec».
Cet engagement à protéger le français se reflète dans le contenu du plan d’action. Par exemple, par rapport au pilier sur l’immigration francophone, le premier ministre Trudeau a affirmé que l’objectif est le «rétablissement démographique des francophones au Canada».
Les données du recensement de 2021 ont montré que le poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec poursuit son déclin, une tendance lourde observée depuis une cinquantaine d’années.
Rappelons que le Commissariat aux langues officielles a montré que la cible actuelle de 4,4 % en matière d’immigration francophone, atteinte pour la première fois en 2022, est largement insuffisante pour maintenir, et encore moins accroitre, le poids démographique des francophones.
Reste à voir les mesures concrètes qui seront mises en place pour atteindre un objectif très ambitieux à caractère réparateur concernant le poids démographique des francophones.
Pour ce faire, le plan d’action prévoit un financement total de 221,5 millions de dollars sur cinq à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, dont 137,2 millions de nouveaux fonds.
Malgré d’importantes avancées à noter, le principal point faible du plan d’action 2023-2028 est l’appui insuffisant prévu pour les établissements d’enseignement postsecondaire.
Le contenu du plan n’est pas à la hauteur des attentes pour ce secteur, et les libéraux n’ont qu’eux-mêmes à blâmer pour avoir rompu une promesse électorale.
De prime abord, les investissements de 128 millions de dollars sur quatre ans en appui au secteur peuvent paraitre importants, mais ils sont bien en dessous de ce que les libéraux avaient promis lors de la campagne électorale de 2021.
Dans leur plateforme, ils s’étaient engagés à octroyer un financement permanent de 80 millions de dollars par année aux établissements d’enseignement postsecondaire dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cela représente 400 millions de dollars sur cinq ans, une somme de largement supérieure à ce qui a finalement été annoncé.Les États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire ont pourtant fait la preuve que les besoins dans le secteur sont réels et que les montants promis auraient été de l’argent bien investi.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.
Francopresse – David Dagenais
On peut lire dans le budget fédéral que vient de déposer la ministre des Finances, Chrystia Freeland, que «l’accélération de la transition vers la carboneutralité a déclenché une course mondiale pour attirer les investissements à mesure que nos alliés bâtissent leur économie propre».
Et le gouvernement Trudeau n’avait visiblement pas envie d’être largué à l’arrière du peloton.
Ottawa prévoit investir pas moins de 80 milliards de dollars sur 10 ans pour inciter les entreprises établies en sol canadien à développer des technologies vertes et de l’énergie à faible émission de carbone.
Le gouvernement actuel souhaite faire du Canada une superpuissance énergétique et doubler, voire tripler, la capacité de production d’électricité au pays d’ici 2050 pour répondre aux besoins des industries de pointe qui chercheront encore davantage à réduire leur empreinte carbone.
Des entreprises dans des secteurs cibles, comme l’extraction de minéraux critiques, la filière des batteries ou de leurs composantes et l’industrie automobile, profiteront ainsi de conditions financières privilégiées pour se développer.
Pour parvenir à cette transformation du tissu industriel canadien, le gouvernement offrira surtout des crédits d’impôt et du financement avantageux, notamment par l’entremise de la Banque de l’infrastructure du Canada.
Outre la tarification du carbone, les Libéraux souhaitent éviter de réguler trop étroitement le marché. Ils veulent aussi éviter les subventions directes, quoique le gouvernement a déjà montré sa souplesse en ce sens avec l’implantation de la méga-usine de batteries de Volkswagen en Ontario.
Il faut dire qu’un coup de barre s’imposait en raison de la pression venue du sud de la frontière.
Le gouvernement Trudeau a beau s’en défendre, la Reduction Inflation Act, loi phare de l’Administration Biden adoptée à l’été 2022 qui prévoit subventionner les technologies vertes à hauteur de 370 milliards de dollars américains au cours des 10 prochaines années, risquait de faire pencher la balance en faveur des États-Unis quand viendrait le temps pour les entreprises de choisir où investir.
Dans un contexte géopolitique incertain, où la mondialisation se transforme sous nos yeux et où les puissances occidentales cherchent à rapatrier leurs chaines de production névralgiques plus près de chez elles (et plus loin de la Chine!), il n’est pas étonnant de voir le Canada emboiter le pas aux États-Unis.
L’autre facteur, c’est qu’au rythme actuel, le Canada est loin d’être sûr d’atteindre ses objectifs climatiques à long terme.
Malgré un rapport encourageant à cet effet publié par le ministère de l’Environnement en début d’année, le Canada continue d’avoir une empreinte carbone insoutenable, près de dix fois plus élevée que le niveau nécessaire pour limiter l’augmentation de la température du globe à 1,5 °C.
En misant sur la production d’énergie propre et les technologies vertes, le gouvernement fait le pari du technosolutionnisme.
Tout va très bien, Madame la Marquise. Pas besoin de changer nos habitudes de vie, on aura tous une voiture électrique, on enfouira tout ce carbone, et puis hop, le problème sera réglé.
Si la solution proposée par le gouvernement est séduisante dans une optique économique à court et moyen terme, elle ne garantit pas que le Canada réussira à faire sa juste part dans la lutte aux changements climatiques.
Il n’est pas certain non plus qu’elle ait l’effet voulu. Pour profiter de crédits d’impôt, des entreprises doivent être prêtes à investir ici, et l’attrait du géant américain restera certainement fort.
Néanmoins il faut reconnaitre qu’il y a longtemps que le Canada ne s’était pas doté d’une politique industrielle digne de ce nom. Et si le gouvernement fédéral souhaite à terme se défaire de sa dépendance financière aux énergies fossiles, le développement des technologies vertes constitue probablement un pas dans la bonne direction.
Les finances publiques se sont détériorées depuis la dernière mise à jour économique du gouvernement à l’automne. On y prévoyait un déficit d’un peu plus de 30 milliards de dollars pour l’exercice financier de 2023-2024. Six mois plus tard, le déficit prévu atteint maintenant 40 milliards de dollars.
Cette dégradation des comptes publics s’explique entre autres par quelques nouvelles dépenses, dont les 7,3 milliards de dollars ajoutés au nouveau régime canadien de soins dentaires. Ce programme est au cœur de l’entente entre les Libéraux et le NPD et devrait garantir au gouvernement Trudeau l’adoption de son budget aux Communes.
Il y a aussi quelques mesures ciblées, telle la bonification du crédit de TPS pour aider les contribuables* les plus pauvres à boucler leurs fins de mois, qui coutera 2,5 milliards de dollars au gouvernement cette année.
Il faut ajouter à cela l’incertitude économique qui continue de peser lourd dans les comptes du gouvernement. L’augmentation des taux d’intérêt se répercute sur les paiements de la dette, et la croissance anémique prévue en 2023 (à peine 0,3% du produit intérieur brut [PIB]) limitera les revenus.
Pour compenser ces dépenses et ces baisses de revenus, le gouvernement Trudeau fera des compressions dans la fonction publique, qui était en croissance continue depuis son arrivée au pouvoir.
Malgré cela, sa marge de manœuvre sera plus mince qu’il y a quelques mois.
Même si le gouvernement ne prévoit plus revenir à l’équilibre budgétaire dans un avenir prévisible, le déficit reste soutenable par rapport à la taille de l’économie canadienne.
Un déficit prévu équivalent à 1,5% du PIB en 2023 reste enviable. Par exemple, les spécialistes prévoient que le déficit sera de 5,3% du PIB aux États-Unis et de 5,1% du PIB au Royaume-Uni en 2023.
L’inflation est en voie de se résorber et aucun analyste ne s’attend à ce que les banques centrales conservent des taux directeurs élevés au-delà de 2023.
La situation économique du gouvernement canadien devrait donc s’améliorer dans les années à venir, mais aujourd’hui sa marge de manœuvre est certainement réduite.
Glossaire – Contribuable* : Personne qui participe aux charges publiques en payant des impôts
Francopresse – Inès Lombardo
«Toutes les provinces et tous les territoires ont reçu la même offre» en matière d’accès à la santé dans la langue de la minorité, a indiqué le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos devant le Comité sénatorial des langues officielles le 17 avril.
Au début février, le gouvernement a conclu une entente avec les provinces et les territoires pour augmenter les transferts fédéraux en santé de 46,2 milliards pour les dix prochaines années.
Les ententes entre les provinces, les territoires et le fédéral comprennent des «indicateurs clés», comme l’embauche de personnel de la santé ou le taux d’accès à la médecine familiale, pour faire respecter les clauses linguistiques. Un suivi des progrès en matière d’accès aux soins dans la langue de son choix fait également partie du marché conclu avec les provinces.
«Lorsque [les provinces et territoires] acceptent une lettre d’entente de principe, ils doivent répondre essentiellement et explicitement qu’ils sont d’accord sur l’importance d’avoir des indicateurs dans leurs plans», a précisé le ministre.
Mais si le gouvernement les «encourage» à respecter leurs obligations linguistiques au sein des transferts, rien ne les y contraint réellement.
Certaines ententes en cours de négociation contiendraient un «engagement» de la part des provinces et des territoires pour améliorer les services pour les populations en quête d’équité, dont les CLOSM.
Ces ententes sont «un outil que nous pouvons utiliser, pour nous assurer qu’ils améliorent les services aux communautés de langue officielle en situation minoritaire», a renchéri la sous-ministre Jocelyne Voisin devant le Comité.
Tout au long de la rencontre, le ministre Duclos et les fonctionnaires du ministère fédéral de la Santé ont répété avec insistance que les provinces et les territoires étaient compétents pour gérer la livraison des services de santé.
Interrogé par le sénateur Pierre J. Dalphond sur la qualité des informations des usagers et des professionnels de santé, incluant les préférences linguistiques, le ministre Duclos a affirmé que pour bâtir les ententes avec les provinces, son ministère disposait de huit indicateurs «de haut niveau», dont la santé mentale, les travailleurs en médecine familiale ou encore l’usage des données.
Il a néanmoins reconnu que les données de base dont son ministère dispose sont peu exploitées pour tirer des analyses, notamment en ce qui concerne la santé publique dans les CLOSM.
«Dans la plupart des cas, nous n’avons pas d’information sur l’accès à la médecine familiale en milieu rural» a pointé Jean-Yves Duclos.
Un travail plus approfondi «au cours des prochaines années» avec l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) permettrait d’exploiter ces données, a indiqué le ministre, qui ne s’y est pas formellement engagé pour autant.
L’assurance de Jean-Yves Duclos a plutôt porté sur le consensus «dans les prochains mois» concernant la mobilité des professionnels de santé entre les provinces et territoires. Le Conseil de la fédération l’aurait pratiquement décidé.
Le ministre a pris l’exemple du registre régional de médecins et chirurgiens, porté par les provinces de l’Atlantique. «Un médecin qui travaille dans l’une des quatre provinces [de l’Atlantique] pourra travailler dans l’une des quatre autres», a-t-il rappelé.
Le ministre a parlé d’un «consensus encore meilleur» pour les professionnels de la santé formés à l’étranger, pour qui la reconnaissance des titres et compétences est ardue au Canada.
«Lorsqu’une province pourra reconnaitre les compétences de travailleurs formés à l’étranger, ces derniers pourront plus facilement se déplacer ou offrir leurs services de manière virtuelle et collaborative*. Cela comprend les populations vivant en situation linguistique minoritaire.»
Mais au moment de répondre sur la vérification des titres de ces personnes, le ministre de la Santé s’est contenté de réitérer que les provinces et territoires étaient compétents. «Si on facilite la venue des travailleurs étrangers, on facilite la venue de ceux qui peuvent venir en milieu minoritaire», a-t-il fait valoir.
Jean-Yves Duclos a notamment fait valoir qu’il existait le Programme pour les langues officielles en santé (PLOS), créé en 2003, qui a formé 10 000 professionnels de la santé bilingue.
Il a aussi rappelé que le Budget 2022 avait aidé 11 000 personnes à travailler dans les CLOSM. Mais, encore une fois, aucun engagement n’a été pris devant le Comité.
Glossaire – Collaborative* : Destinée à travailler en commun
Francopresse – Inès Lombardo avec des informations de Mélanie Tremblay
Les organismes qui desservent les francophones en situation minoritaire au pays s’accordent pour dire que les investissements du Plan d’action pour les langues officielles 2023—2028 n’ont jamais été aussi forts.
Sur cinq ans, 1,4 milliard de dollars s’ajoute aux 2,7 milliards du Plan précédent qui sont devenus permanents. Les nouvelles sommes sont toutefois temporaires.
Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, se sent «entendue» par le gouvernement avec ce nouveau Plan : «Lors des consultations avec la ministre, on avait identifié quatre axes et on les retrouve presque tous dans le Plan d’action!»
Même réaction du côté de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) : «Assez heureuse de voir quand même des investissements significatifs, nouveaux aussi», lance Marie-Christine Morin, directrice générale de l’organisme.
Cette dernière se réjouit surtout de la reconduction de programmes comme PassepART et Les vitrines musicales du Fonds de la musique, ainsi que de la bonification de l’enveloppe pour le projet La Ruchée, une «avenue intéressante» pour travailler de façon intersectorielle avec le milieu de l’éducation.
La présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), Marguerite Tölgyesi, se dit reconnaissante du premier investissement de 5 millions de dollars pour la mise en place d’une stratégie jeunesse visant le rapprochement des communautés linguistiques. «Je pense que ça va avoir un réel impact si la mise en œuvre est bien faite», affirme-t-elle.
Pour Liane Roy, le «grand gagnant» est le secteur de l’immigration, qui reçoit des investissements totaux de 221,5 millions dans le Plan.
La présidente de la FCFA sent un changement de ton : «On n’a jamais autant entendu parler de rétablissement de poids démographique. Avec C-13, et avec le Plan d’action, on est sur la bonne voie pour attaquer le déclin du poids démographique. Certains éléments du Plan devraient aider à atteindre des cibles plus hautes [que le 4,4 % d’immigration francophone hors Québec, NDLR].»
Mais pour la FCFA, le Plan n’est pas l’endroit pour l’annonce de nouvelles cibles. Il y a un an, l’organisme avait demandé des cibles «de réparation» progressives au gouvernement fédéral de 12 % en 2024, puis de 20 % d’ici 2036. «On n’appuiera pas de cible en dessous de 8 %», affirme Liane Roy.
Le Plan d’action a dévoilé 62,5 millions de dollars en financement de base pour les organismes pour les cinq prochaines années. L’augmentation du financement pourrait aller jusqu’à 25 % d’augmentation.
La FCFA se dit malgré tout inquiète, car le financement «ne change pas les défis structurels que connaissent nos organismes».
Marie-Christine Morin soulève aussi un «soupçon d’inquiétude», notamment pour des organismes qui n’ont pas accès au financement de base.
«Les montants pour le financement de base, donc les opérations des organismes, sont quand même limités. Ça ne répond pas à l’ensemble des besoins de ces organisations qui sont un peu les metteurs en œuvre du Plan d’action sur le plan local, régional, national, en déployant des activités très concrètes pour que les gens puissent continuer à vivre en français», lance-t-elle.
La FJCF pose le même frein : «La prochaine étape va être de participer aux consultations pour savoir si nos organismes peuvent avoir le 25 % d’augmentation. On veut s’assurer que les jeunes vont avoir leur place pour la mise en œuvre de ce plan-là», a fait savoir Marguerite Tölgyesi.
Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), se dit plutôt «partagé» quant au nouveau Plan d’action.
L’organisme a été «entendu d’une certaine manière» sur plusieurs de ses demandes, comme l’appui à la recherche en français, une nouveauté financée à hauteur de 8,5 millions dans le Plan d’action et plusieurs programmes de formation en petite enfance ou en santé.
«Le bémol, c’est que toutes ces initiatives-là ne sont pas permanentes», déplore le directeur.
Mais l’immense déception concerne davantage la promesse non tenue des libéraux lorsqu’ils étaient en campagne électorale, en 2021. Au lieu de 80 millions promis par an de façon permanente pour le postsecondaire en français, ce n’est plus que 32 millions sur quatre ans, non permanents.
Là où le gouvernement ouvre la porte en reconnaissant qu’il devra faire des efforts pour appuyer le secteur à long terme. On espère que le gouvernement continue de travailler pour obtenir le fonds de 80 millions de façon permanente.
À lire aussi : Le postsecondaire en français grand perdant du Plan d’action pour les langues officielles
Par ailleurs, le gouvernement n’a pas corrigé le tir en finançant un programme de bourse de français langue seconde pour les étudiants anglophones qui souhaitent fréquenter un établissement postsecondaire en français. Ce programme existe pourtant pour les étudiants anglophones depuis le Plan 2018 – 2023.
Martin Normand déplore également l’absence de référence aux étudiants étrangers dans le Plan : «On espérait des mesures pour attirer, retenir et appuyer les étudiants internationaux vers l’obtention de la résidence permanente.»
Ceci, dans un contexte où les étudiants étrangers francophones ont connu bien du mal pour rester au Canada, entre racisme de la part d’IRCC, reconnu l’an dernier par le ministre de l’Immigration, et obstacles administratifs.
https://youtu.be/Di-V1YSANFg
Extrait de la conférence de presse de ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, lors de la présentation du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, le 26 avril 2023.
Francopresse – Inès Lombardo
Le secteur postsecondaire francophone recevra 32 millions par année, totalisant 128 millions pendant quatre au lieu des 80 millions annuels permanents promis par les libéraux en campagne électorale. Cette somme devait faire suite aux 121,3 millions octroyés au secteur en 2021.
Le budget fédéral de 2023 prévoyait 1,1 milliard de dollars pour les langues officielles, dont 679 millions pour l’éducation dans la langue de la minorité.
Comme le budget de 2021 accordait 30,4 millions au secteur postsecondaire pour l’année 2023-2024, la distribution des 128 millions prévus au Plan d’action débutera en avril 2024. Le postsecondaire en français est donc confronté à un manque à gagner de près de 300 millions, alors que le secteur en attendait 400 millions, soit 80 millions annuels sur cinq ans.
Selon une source, le gouvernement a choisi de ne pas octroyer les fonds promis tant que l’enveloppe de 121,3 millions de dollars n’était pas épuisée.
À lire aussi : Encore trop peu de places en garderie pour les Franco-Albertains
«Dans le budget 2021, nous avons fait un investissement de 121 millions de dollars sur une période de trois ans. À ce point-ci, nous sommes en train, encore, de faire des annonces à ce sujet», a déclaré la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor en conférence de presse.
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Toujours dans le domaine de l’éducation, la petite-enfance bénéficiera notamment de 50 millions de dollars sur cinq pour appuyer les réseaux d’intervenants.
Le Plan d’action ne fait pas référence aux clauses linguistiques lors des ententes entre le fédéral et les provinces, alors qu’un « leadership » est attendu du fédéral de la part des organismes. La ministre des Langues officielles a indiqué qu’il faudra attendre l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles.
L’appui à l’enseignement dans la langue de la minorité bénéficie de 147,8 millions de dollars sur cinq ans. En tout, 275,8 millions de dollars sur cinq ans iront à l’appui de l’éducation dans la langue de la minorité. L’enveloppe d’appui pour l’immersion s’élève de son côté à 242, 8 millions de dollars.
À noter que le gouvernement injecte 2 millions de dollars sur cinq ans pour aider Statistique canada à mieux recueillir les données sur les enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire [les ayants droit, NDLR].
Cela permettra « aux provinces, territoires, conseils scolaires et communautés de langue officielle en situation minoritaire de mieux planifier la mise en œuvre de ce droit », selon le document.
L’enveloppe de l’immigration francophone sur la période 2023-2028 passe de 123,3 millions de dollars, annoncés dans le dernier budget fédéral, à 221,5 millions au total. Un montant développé pour rétablir le poids démographique des francophones au pays.
Un haut fonctionnaire a assuré que l’enveloppe du Plan se concentrera sur l’intensification de l’ensemble du continuum en immigration: « Le ministère a entendu le souci en lien avec l’enjeu démographique. On a tous senti le sol trembler à l’annonce du recensement. »
Francopresse – Camille Langlade
En petite enfance comme ailleurs, les défis ne manquent pas. Il y a notamment d’importantes difficultés de recrutement. «Il existe actuellement près d’une cinquantaine de postes non comblés dans les garderies francophones en Colombie-Britannique», constate Marie-Andrée Asselin, directrice générale de la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique (FPFCB).
Et la demande ne faiblit pas. «Il y a plus d’immigrants francophones qui viennent s’installer ici», rapporte Isabelle Thibault, vice-présidente à l’enseignement au Collège Éducacentre, le seul collège francophone de la province.
Qui dit plus d’enfants dit plus de demandes de places en garderie. «Il y a des listes d’attente impressionnantes, poursuit-elle. Certains mettent leur enfant sur une liste en bas âge ; [quand] l’enfant arrive à l’âge scolaire, ils n’ont pas réussi à trouver une place.» Une situation de plus en plus fréquente selon la vice-présidente.
Les postes en éducation de la petite enfance qui demandent une certification ne sont pas faciles à pourvoir. Les francophones ayant obtenu leur diplôme à l’extérieur de la province doivent surmonter toute une série d’obstacles pour faire reconnaitre leur formation.
«On peut les embaucher comme éducateurs assistants, comme adultes responsables dans les garderies après l’école, mais ils ne peuvent pas avoir la responsabilité d’un groupe d’enfants d’âge préscolaire», explique Marie-Andrée Asselin.
Deux options s’offrent alors aux personnes qui arrivent en Colombie-Britannique. La première : faire valider leurs acquis scolaires ou professionnels par ECE Registry, un organisme provincial. Mais pour cela, le candidat ou la candidate doit présenter un dossier en anglais, traduit — à ses frais — par une personne agréée en traduction.
Un dossier de candidature peut comporter «une centaine de pages» et couter «des milliers de dollars» en frais de traduction, évalue Marie-Andrée Asselin.
«C’est une aberration, lâche-t-elle. C’est disproportionné par rapport à la profession. C’est beaucoup demander à des personnes qui arrivent d’une autre province ou de l’immigration. La traduction de tous les documents est injuste pour les francophones, alors qu’on est dans un pays bilingue et qu’on a tant besoin de ces éducatrices dans nos centres.»
La deuxième option? Suivre une formation au Collège Éducacentre pour obtenir un diplôme en éducation à la petite enfance. Mais in fine, «c’est seulement en moyenne 50 % de la formation [initiale de la personne] qui est reconnue, nuance Marie-Andrée Asselin. On n’est jamais surs du niveau d’équivalence.»
«C’est un long processus pour les employeurs qui cherchent des éducatrices», résume-t-elle. Une attente qui peut conduire à l’impossibilité d’ouvrir un service de garde.
«La situation pour les nouveaux arrivants des autres pays est encore pire, ajoute la directrice générale. S’ils ont un permis de travail temporaire, ils ne peuvent pas suivre de formation en Colombie-Britannique de plus de six mois.»
«Les francophones n’ont toujours pas le même accès que les anglophones à la formation», déplore Catherine Rousseau, gestionnaire de programmes en petite enfance à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC).
L’offre de formation reste inégale selon les provinces et les territoires, et difficile d’accès. «Les francophones sont défavorisés», appuie la gestionnaire.
Selon elle, calquer le modèle anglophone ne fonctionne pas. «Les services éducatifs dans les communautés francophones en situation minoritaire ont un double mandat. Ils ne font pas le même travail que les services éducatifs anglophones. Il y a tout un rapport positif à la langue à développer.»
Une situation à laquelle veut aussi remédier le Collège Éducacentre. Le programme de formation en éducation à la petite enfance proposé par l’établissement est traduit de l’anglais, car il est offert en partenariat avec un collège anglophone, le Northern Lights College.
«Ce n’est pas un programme qui est fait par et pour les francophones, regrette Isabelle Thibault. Il n’est pas tout à fait adapté à la réalité des francophones.»
C’est pourquoi, pour répondre aux besoins de la communauté, le Collège Éducacentre va se doter de son propre programme en petite enfance. «Il est tout en ligne, il est prêt, mais on ne peut pas l’offrir, car on attend l’approbation de la province», assure Isabelle Thibault.
«Il y a des établissements postsecondaires francophones partout sauf à Terre-Neuve-et-Labrador et dans deux des trois territoires,» Catherine Rousseau.
À l’autre bout du pays, la situation est tout aussi déplorable. «Il y a des établissements postsecondaires francophones partout sauf à Terre-Neuve-et-Labrador et dans deux des trois territoires», note Catherine Rousseau.
Depuis 2020, la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FPFTNL) propose une formation gratuite de 45 heures. «Ce n’est pas un diplôme, mais un certificat, précise Martine Fillion, sa directrice générale. C’est surtout du développement professionnel pour venir soutenir le personnel de la région. […] On y parle de la francophonie à Terre-Neuve-et-Labrador.»
La formation est ouverte aux francophones, mais aussi aux francophiles. Virtuelle, elle reste accessible par-delà les frontières de la province.
Si les résidents de la province sont privilégiés, les futurs immigrants sont aussi les bienvenus. Car pour Martine Fillion, la formation peut constituer «un outil d’attraction», notamment à l’international. «On fait découvrir Terre-Neuve-et-Labrador et la communauté francophone à une francophonie mondiale.»
Car la profession attire les nouveaux arrivants. «Le recrutement dans les services de garde francophones se fait présentement principalement et de plus en plus à l’international», remarque Jean-Luc Racine, directeur général de la Commission nationale des parents francophones (CNPF).
Pour lui, le problème vient aussi d’en haut. «On a beaucoup de difficultés au niveau des gouvernements provinciaux et territoriaux à comprendre la dynamique francophone.»
Il est également impératif selon lui de soutenir davantage les services de garde en milieu familial, «sinon, progressivement, [les familles] vont glisser du côté anglophone. Et ça, les gouvernements ne comprennent pas parce que ce n’est pas un enjeu majeur du côté anglophone».
Le directeur général de la CNPF a d’ailleurs témoigné en comité parlementaire le 18 avril pour attirer l’attention des élus sur le fait que le projet de loi C-35, relatif à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada, avait besoin d’amendements pour remédier au manque de «clauses linguistiques robustes» et d’engagements financiers du fédéral dans les ententes provinciales.
Construction identitaire
La petite enfance est «la porte d’entrée du continuum de l’éducation en français», souligne Catherine Rousseau, gestionnaire de programmes en petite enfance à l’ACUFC.
«Les éducatrices et éducateurs accompagnent aussi les enfants dans leur développement langagier et leur construction identitaire, leur appartenance à la culture francophone.»
Un parent qui ne trouve pas de place dans un service de garde francophone risque de se tourner vers son pendant anglophone, alerte-t-elle. «À partir du moment où l’enfant est inscrit dans un service d’éducation en anglais, c’est très difficile de le retirer de là.»
Il est alors probable que l’enfant continue le reste de son parcours scolaire, jusqu’au postsecondaire, en anglais. «Alors que s’il se construit des bases solides en français durant sa petite enfance […] il risque de rester dans sa communauté, de devenir un leadeur. Alors ultimement, cela a une incidence sur la vitalité des communautés francophones», observe-t-elle.
«Il ne faut pas oublier que l’acquisition d’une identité culturelle passe également par l’apprentissage de la langue», rappelle Isabelle Thibault, vice-présidente à l’enseignement au Collège Éducacentre.
Alors que le robot conversationnel ChatGPT jouit d’une certaine popularité, des chercheurs se questionnent sur la place de la francophonie canadienne dans l’intelligence artificielle et de ses impacts à moyen terme.
Francopresse – Boni Kadio
«Quelle attitude a une intelligence artificielle qui essaie d’imiter au mieux possible la pensée et les actions de l’humain, la représentation de l’humain? Qu’est-ce que l’intelligence artificielle dira de moi, francophone en milieu minoritaire?» Francis Langevin.
«Quelle attitude a une intelligence artificielle qui essaie d’imiter au mieux possible la pensée et les actions de l’humain, la représentation de l’humain? Qu’est-ce que l’intelligence artificielle dira de moi, francophone en milieu minoritaire?» Francis Langevin, professeur agrégé au campus de l’Okanagan de l’Université de la Colombie-Britannique a soulevé ces questions lors d’un colloque sur les identités francophones tenu à l’Université Carleton à la fin mars.
Accompagné de Philippe Blouin, spécialiste en intégration technologique chez LGS, une société IBM, ils ont notamment discuté de l’agent conversationnel ChatGPT, de son impact sur les utilisateurs dans la francophonie nord-américaine et de son effet sur notre réalité.
«Pour chaque phrase de texte, l’ordinateur va découper en morceaux les mots. Il va les nettoyer, donc on va enlever la ponctuation, toutes les conjonctions et tous les articles vont être retirés.»Philippe Blouin.
«ChatGPT est construit à partir de sources directes comme Wikipédia, des bases de données de livres qui ont été utilisées», explique Philippe Blouin.
«Pour chaque phrase de texte, l’ordinateur va découper en morceaux les mots. Il va les nettoyer, donc on va enlever la ponctuation, toutes les conjonctions et tous les articles vont être retirés», poursuit-il.
Les données sont ensuite reliées par des jetons qui associent les éléments entre eux. «ChatGPT-4, la nouvelle version, en utilise 32 000 pour générer des contenus», ajoute le spécialiste.
Philippe Blouin a tenu à clarifier que ChatGPT a été créé initialement pour «automatiser les tâches quotidiennes et, un jour, voir se réaliser le vieux rêve de l’assistant virtuel, comme résumer un document».
«Si les bases de données sont en anglais, ou ont été traduites vers l’anglais, donc on a une retraduction qui repasse par l’anglais, qui est refaite vers le français. Donc, il y a un risque de changer le degré de véracité.» Francis Langevin.
Francis Langevin, qui enseigne le français, s’inquiète notamment de la proportion de documents francophones numérisés et indexés servant à alimenter les outils conversationnels. «Qui va numériser les documents historiques? Est-ce que ça va être disponible?»
Le système ChatGPT opère à la base en anglais, ce qui, selon lui, augmente le risque de diluer le sens initial des propos numérisés.
«Si les bases de données sont en anglais, ou ont été traduites vers l’anglais, donc on a une retraduction qui repasse par l’anglais, qui est refaite vers le français. Donc, il y a un risque de changer le degré de véracité.»
La même question se pose d’après lui pour le volume d’archives québécoises disponibles comparativement à celles de la francophonie canadienne.
«Le Québec a quand même une autorité en matière du nombre de documents disponibles, du nombre d’archives. Son système d’archives est beaucoup plus volumineux.» Il devient difficile, selon Francis Langevin, de savoir quelle importance le système accorde à un document plutôt qu’à un autre.
«La rareté, c’est très important, comme un manuscrit rare. On est juste dans le quantitatif. Si c’est réitéré 150 fois, c’est donc vrai?»
Le professeur souligne sans ambages que le «lien [intelligence artificielle] avec l’identité est très clair, en particulier dans la subjectivité de la représentation du récit qui sera faite des personnes et des collectivités».
En tant que chercheur, «on fait des recherches sur l’identité, la culture, mais là, les chercheurs et les chercheuses, c’est l’ordinateur et les milliards de dollars du marché financier qui vont produire ces données». Cela soulève, selon le panéliste, des interrogations pour les francophones.
À lire aussi : L’intelligence artificielle, une odyssée vers l’inconnue
Le spécialiste a pu détecter de grandes faiblesses dans les informations générées par ChatGPT-4. «On n’est pas capable de faire la vérification des faits. On n’est pas capable de détecter le vandalisme à l’intérieur des documents et la fausse information non plus», regrette-t-il.
ChatGPT pose aussi d’importants défis notamment en ce qui concerne la langue, met en garde Francis Langevin. «On connait les sources, les sources sont fixes de ChatGPT-3. Mais on ne connait pas l’étendue, ni la nature, ni la propriété des sources de GPT-4. Et les sources de GPT-3 ne sont pas multilingues. Les sources de GPT-3 sont en anglais.»
Toutefois, selon Philippe Blouin, il faut aller au-delà des défis réels posés par ChatGPT. «Il ne faut pas être craintif de l’intelligence artificielle. Le Canada est bien positionné avec ses projets de loi à l’heure actuelle pour encadrer, mais il faut rester vigilant*». Pour lui, «il y a une connaissance de la langue qui peut être enseignée via ces outils-là».
Francis Langevin recommande qu’il «faut réadapter les outils d’apprentissage si on veut l’utiliser comme un robot de la classe. Le talent de l’humain sera de configurer l’appareil pour qu’il rende des réponses satisfaisantes, donc de connaitre l’architecture». Enfin, «il faut traiter les sources comme celles générées par l’intelligence artificielle, non pas comme une source, mais un artéfact».
Glossaire – Vigilant* : Qui porte une attention soutenue à certains faits ou événements
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.
Francopresse – Guillaume Deschênes-Thériault – chroniqueur
La dernière année n’a pas été de tout repos pour la ministre Petitpas Taylor. Au moment du dépôt du projet de loi C-13 modernisant la Loi sur les langues officielles, le 1er mars 2022, peu de personnes s’attendaient à ce qu’un an plus tard, cette mesure législative ne soit toujours pas adoptée.
Après plusieurs retards, et des débats parfois houleux, l’examen du projet de loi au Comité permanent des langues officielles s’est enfin conclu le 31 mars dernier. Le texte de loi pourra maintenant faire l’objet d’un troisième et dernier vote aux Communes avant d’être envoyé au Sénat.
L’élément qui a permis en grande partie de faire débloquer les travaux est une entente entre les gouvernements du Canada et du Québec concernant une série d’amendements sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.
Au départ, le gouvernement québécois souhaitait que les entreprises situées au Québec soient obligatoirement assujetties à la Charte de la langue française du Québec. Ce ne sera pas le cas. Toutefois, les amendements adoptés font en sorte que le projet de loi C-13 comprend désormais des obligations très similaires à la législation québécoise sur ce sujet.
La ministre Petitpas Taylor et le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, ont tous deux mis de l’eau dans leur vin pour trouver un terrain d’entente plutôt que de rester campés sur leur position de départ.
Dans une époque marquée par le cynisme en politique, ce type d’entente est un vent de fraicheur. Ce sont les francophones de partout au pays et la langue française qui en ressortent gagnants.
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En obtenant l’appui du gouvernement du Québec à son projet de loi, la ministre Petitpas Taylor s’assure de son adoption aux Communes.
Sur Twitter, le ministre Roberge a qualifié la version amendée du projet C-13 «d’avancée majeure pour la vitalité du français au Québec et au Canada».
Les troupes de Pierre Poilievre souhaitent faire des gains au Québec lors des prochaines élections fédérales. Ce serait partir d’un bien mauvais pied pour eux que de voter contre un projet qui renforce la protection* du français, pas seulement selon les dires des libéraux, mais aussi ceux du gouvernement du Québec.
Francopresse – Marianne Dépelteau
«Pour avoir une bonne vie dans le monde de la comédie, il faut que tu deviennes moyennement connu. […] C’est difficile de faire assez d’argent pour vivre confortablement, tandis qu’avec la physique ou les sciences ou n’importe quel autre job, ce n’est pas un concours de popularité pour bien se faire payer.»
Apollo Sévigny entend ce discours sur l’art professionnel depuis toujours. «Je voulais vraiment être actrice et là [je me suis dit] que c’est dur la comédie.» Après sa dernière année au secondaire à Yellowknife, iel étudiera au baccalauréat en physique l’Université McGill à Montréal.
«J’étais toujours vraiment bon en mathématiques et en sciences, alors j’ai pensé à ça, poursuit-iel. À un point, mon père a fait une blague que je devrais découvrir la téléportation. C’est plein de petits commentaires et d’idées… Doucement, j’ai [décidé] que j’allais étudier la physique.»
À Saint-Jean de Terre-Neuve, Nyamae Alloway a toujours été passionnée par les sciences humaines et naturelles. Elle entamera une double majeure en arts et sciences à la Memorial University en septembre.
Sa sœur, Letta, qui termine sa 10e année à l’école secondaire Holy Heart of Mary à Saint-Jean de Terre-Neuve, est encore indécise : «J’aime l’art et je veux continuer avec ça, mais je n’ai pas vraiment pensé à ce que je veux faire, avoue-t-elle. J’aime dessiner, la peinture, les tatouages, le maquillage.»
Mais Nyamae Alloway garde un œil sur sa cadette et ne l’encourage pas à poursuivre une carrière artistique : «Elle va dormir sur mon [canapé]! Je l’aime ma sœur, promis. Mais en même temps, je veux qu’elle ait un travail qui donne de l’argent.»
«On associe les arts à la débauche, à la marge et la marge rend toujours inconfortable parce que ça dit des vérités qui sont inconfortables à entendre», rapporte Joël Beddows, professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa. Pour lui, les idées reçues sur le milieu artistique prennent aussi racine au-delà de la sphère privée : «L’État ne prend pas les arts au sérieux.»
«Je ne parle pas juste du financement, je parle du cadre légal, explicite-t-il. Quand ton État ne reconnait pas le bienfondé de ton existence dans un contexte politique plus large, tu arrives mal à convaincre tes parents de te permettre de poursuivre tes études et là, les clichés prennent beaucoup de place.»
Également conseiller auprès du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario, l’universitaire affirme que «les orienteurs dans les écoles secondaires ne font pas leur devoir […] ils parlent en clichés et pas en connaissance de cause, ils ne regardent pas vraiment les statistiques.»
«Les gens confondent précarité et capacité à faire de l’argent, poursuit-il. Souvent quand on est dans les arts, on a de longues périodes sans rien, mais c’est la moyenne qui compte. Ça, il y a des gens qui n’aiment pas ça, ils veulent le salaire régulier.»
Maxime Cayouette est responsable de la médiation et du développement des publics au Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) à Sudbury. Aujourd’hui, son choix est clair, mais pendant longtemps, les arts et les sciences ont partagé sa vie.
Élevé à Sudbury, il choisit l’école secondaire Macdonald-Cartier pour rejoindre la troupe de théâtre les Draveurs, tout en complétant un baccalauréat international en mathématiques.
À l’époque, il souhaitait compléter une Majeure Haute Spécialisation en arts. «On me disait souvent, famille et profs, que je devrais avoir un cours de science si jamais le théâtre ne marchait pas», raconte-t-il. Il s’inscrit donc à un cours de chimie qui l’empêchera, en raison d’un conflit d’horaire, de terminer sa majeure.
Son avenir parait alors dessiné : «Je me suis dit : “je ne me suis pas rendu aussi loin que j’aurais pu en arts, alors je vais continuer en sciences”.»
Au bout d’une année d’études en génie à l’Université d’Ottawa, le Franco-Ontarien décide de revenir à la maison. Pour être certain de son choix, il se pose alors une question simple : «Est-ce que je veux faire de l’argent ou quelque chose que j’aime?»
Il s’inscrit alors au programme de théâtre de l’Université Laurentienne. Au bout d’un an, l’établissement se met à l’abri de ses créanciers et le programme de théâtre est aboli. Maxime décide d’abandonner ses études et devient animateur culturel au Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario. «J’ai été très chanceux de connaitre le monde, d’être intégré dans la communauté. Je pense que c’est surtout pour ça.»
«Mon introduction [au théâtre] était dans des camps de théâtre du Carrefour francophone, quand j’étais très petit, avec Miriam Cusson, relate-t-il. J’ai grandi ici, c’est ça qui m’a formé comme artiste. J’allais souvent voir des pièces de théâtre au Théâtre du Nouvel-Ontario. C’est toujours resté une partie de moi.»
Maintenant à la retraite, Tibor Egervari a été professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa. Selon lui, la rencontre avec l’art doit commencer jeune et doit être diverse : «Le gout est quelque chose qui se forme.»
Pour lui, ce gout se forme d’abord dans la rencontre avec l’art : «Si vous avez 15 ans, 16 ans et que vous n’avez jamais entendu parler d’une tragédie française, grecque, d’une pièce du XIXe siècle ou du XXe siècle, et qu’on vous place devant ça, évidemment vous allez trouver ça terriblement ennuyeux, compliqué, différent, et vous avez forcément un préjugé devant ça.»
«Il y a très peu de personnes dans une société en général qui vont au théâtre. Ça peut être très facilement considéré comme élitiste, comme la musique classique, comme certaines formes d’arts visuels», remarque Tibor Egervari.
On entend souvent que faire carrière dans le théâtre est difficile. Un préjugé qui n’est pas totalement faux, estime le professeur. «J’aurais quand même assez d’hésitation, assez de réticence, à conseiller quelqu’un de devenir artiste, partage-t-il. Ça ne paie pas la plupart du temps, ce n’est pas très facile. Il y a beaucoup plus d’appelés que d’élus.»
Pour devenir artiste selon lui, «il faut avoir une volonté à soi […] qui devrait normalement naitre au contact de cet art. Il ne faut certainement pas attendre que quelqu’un vous dise “vous devriez devenir comédien ou comédienne ou artiste peintre”».