le Vendredi 26 avril 2024

Le Comité permanent des langues officielles du Sénat réclame la mise en place d’un programme d’immigration francophone distinct. Une demande déjà portée par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

Francopresse – Inès Lombardo

Il s’agit de la quatrième recommandation sur les 12 que comprend le rapport du Comité permanent des langues officielles du Sénat intitulé L’immigration francophone en milieu minoritaire : une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée.

Dans ce rapport, publié le 30 mars 2023, le Comité demande que ce programme distinct soit conçu en fonction des besoins de main-d’œuvre des communautés francophones en situation minoritaire.

«Bien qu’Entrée express ait permis des avancées, le Comité sénatorial favorise l’approche d’égalité réelle défendue dans DesRochers c. Canada (Industrie), et selon laquelle les minorités peuvent s’attendre à des programmes au contenu distinct de ceux de la majorité», justifie le Comité dans son rapport. 

Ainsi, l’éducation, la petite enfance et la santé bénéficieraient de mesures spéciales.

Par ailleurs, des volets francophones seraient créés au sein des programmes déjà existants de parrainage familial, de réinstallation des réfugiés et de candidats des provinces.

L’accent serait aussi mis sur un programme pilote d’immigration francophone dans les communautés rurales, ce que plusieurs témoins ont revendiqué devant le Comité.

Une nouvelle cible à fixer

Le gouvernement fédéral a finalement atteint sa cible de 4,4 % d’immigration francophone en 2022, soit presque 20 ans après l’avoir établie. Cet objectif a été atteint «de peine et de misère», souligne le Comité, qui recommande de fixer une nouvelle cible pour les immigrants d’expression française qui s’établissent à l’extérieur du Québec.

Admission de résidents permanents de 2017 à 2022 selon la province ou le territoire. Photo : Capture d’écran — Source Rapport L’immigration francophone en milieu minoritaire pour une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée

«En retardant l’atteinte de sa cible, le gouvernement fédéral a privé les minorités francophones d’une population qui aurait pu s’installer, s’intégrer et contribuer à leur épanouissement», peut-on lire dans le document. Les sénateurs ne recommandent toutefois pas de cible précise, se gardant de «prendre position». 

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) avait de son côté réclamé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) des «cibles de réparation» dès 2022, pour rétablir le poids démographique des francophones au Canada à son niveau de 2001.

Selon le rapport sénatorial, un élément a aidé le gouvernement fédéral : le changement de définition de la proportion d’immigrants francophones en 2019. Cette année-là, la cible a dépassé les 2 %.

Comme le rappelle le rapport du Comité permanent des langues officielles du Sénat, avant 2019, la définition des immigrants francophones d’IRCC incluait les personnes ayant le français comme langue maternelle ou ayant une langue officielle connue à l’admission comme immigrant.

Le changement de définition est plus inclusif en 2019 : soit les personnes avaient le français comme seule langue officielle connue à l’admission ; soit elles avaient une connaissance des deux langues officielles, avec pour condition d’être plus à l’aise avec le français.

Pour parvenir à une cible juste, le rapport du Comité recommande la mise à jour des données de Statistique Canada fondées sur le Recensement de 2021. Les auteurs du rapport demandent une collaboration avec les provinces et territoires, «en consultation avec les municipalités et les communautés francophones en situation minoritaire» pour cibler la proportion de candidats francophones dans chacune des catégories d’immigration. Le ministère de l’Immigration devra rendre des comptes au Parlement et au public.

Par ailleurs, le Comité sénatorial demande au ministre de l’Immigration et à la ministre des Langues officielles une bonification du budget pour l’immigration francophone dans le prochain Plan d’action pour les langues officielles, notamment pour aider les employeurs qui recruteront des immigrants francophones.

Le budget fédéral 2023 a en partie répondu à cette demande, avec une injection de 123,2 millions de dollars.

À lire aussi : Budget fédéral — Un milliard de plus pour les langues officielles

Miser sur les bassins francophones

Entre autres recommandations phares, le Comité souhaite voir également le recrutement d’immigrants dans des bassins francophones «prometteurs» notamment en Afrique et dans d’autres pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). 

«Le Comité sénatorial convient que les capacités d’IRCC en Afrique subsaharienne ne sont pas suffisantes», précise le rapport. C’est pourquoi les sénateurs demandent d’«accroitre les capacités des bureaux des visas en Afrique subsaharienne et évaluera les besoins dans les autres pays de la francophonie».

Fin juin 2022, le ministre de l’Immigration Sean Fraser a annoncé l’ouverture d’un bureau des visas en plus de celui de Dakar, pour «améliorer le traitement des demandes pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, dans les deux langues officielles».

Le ministre y voyait «une grande opportunité pour augmenter le nombre de nouveaux arrivants de l’Afrique de l’Ouest». Dix mois plus tard, le bureau du ministre Fraser a affirmé dans un courriel à Francopresse que cette «nouvelle section bureau» ne traite pas les demandes de visas des immigrants, mais «sera chargée de l’impression des visas, ce qui réduira les délais et les couts d’acheminement des documents».

La recommandation d’accroître* le traitement des demandes en Afrique de l’Ouest permettra de faciliter un autre dossier sur lequel IRCC s’est fait épingler à maintes reprises ces dernières années : le recrutement d’étudiants provenant de pays africains francophones.

C’est pourquoi le Comité souhaite voir IRCC adopter une «meilleure promotion des réalités des communautés francophones en situation minoritaire dans l’ensemble des pays de la Francophonie», incluant celle des établissements postsecondaires hors Québec.

Le ministère d’Affaires mondiales Canada est censé soutenir IRCC dans cette démarche, en fournissant des «ressources» aux institutions et organismes francophones minoritaires pour recruter et promouvoir à l’international.

Glossaire – Accroître : rendre plus grand par une augmentation d’ordre quantitatif ou qualitatif

La décision du gouvernement Trudeau de fermer la frontière avec les États-Unis à l’immigration irrégulière va à l’encontre de la Convention de Genève, rappellent des experts. Loin d’être fondé sur le souci des droits de la personne, ce choix prioriserait le maintien de l’électorat et augmenterait les dangers de toutes sortes pour les immigrants qui passent la frontière.

Francopresse – Inès Lombardo

Annoncé officiellement le 24 mars 2023 par Justin Trudeau et le président américain Joe Biden, en visite officielle à Ottawa, l’élargissement de l’Entente sur les tiers pays sûrs est entré en vigueur le 25 mars à minuit une.

Depuis, de nombreuses personnes qui ont essayé de passer la frontière terrestre entre le Canada et les États-Unis ont été interceptées. L’élargissement de l’Entente a pour effet de les renvoyer au poste frontalier canado-américain le plus proche. Mais les deux pays se sont entendus pour que le Canada reprenne 15 000 immigrants des États-Unis de manière régulière.

Le 24 mars dernier, Justin Trudeau a profité de la visite officielle de Joe Biden à Ottawa pour annoncer qu’un accord avait été passé entre le Canada et les États-Unis, pour élargir l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Entré en vigueur le 25 mars, cet accord commun ferme les passages irréguliers de la frontière terrestre canado-américaine, comme le chemin Roxham au Québec. Les personnes interceptées sont renvoyées vers des postes frontaliers réguliers.

L’accord vise également les personnes qui ont traversé la frontière entre les points d’entrée officiels, y compris «certains plans d’eau déterminés par les États-Unis et le Canada», dans les 14 jours après leur entrée au Canada, a précisé Justin Trudeau lors d’une conférence de presse conjointe avec Joe Biden.

Des routes désormais «plus risquées»

«C’était relativement sécuritaire de passer par Roxham, confirme la professeure Victoria Esses, professeure et directrice du Centre de recherche sur les migrations et les relations ethniques à l’Université Western de London, en Ontario. Mais les gens vont prendre des routes plus risquées. Ça semble presque impossible de détourner des migrants qui veulent passer une frontière longue de 6 000 kilomètres.»

Les conditions de détention aux États-Unis, pays vers lequel les migrants irréguliers qui tentent désormais de passer la frontière sont renvoyés, inquiètent Victoria Esses, professeure à l’Université Western de London, en Ontario. Photo : Courtoisie

«Les États-Unis sont présumés être un pays sûr pour les demandeurs d’asile, mais le sont-ils vraiment?», interroge celle qui est aussi codirectrice de l’organisme Pathways to Prosperity Partnership.

«Il y a un risque de détention quand les immigrants y sont renvoyés. Les conditions sont misérables. Les enfants sont séparés de leurs parents. Les gens sont parfois renvoyés dans leur pays d’origine où ils risquent des poursuites, de la torture, l’emprisonnement…»

Un point sur lequel Cheolki Yoon, bénévole au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) et chercheur affilié à l’Université McGill de Montréal, la rejoint. Il ajoute : «Certains points de la décision ne sont pas clairs. L’élargissement de l’Entente mentionne que si les personnes sont interceptées dans les 14 jours suivant leur entrée au Canada par la frontière, ils seront détenus et expulsés. Mais comment prouver la date d’entrée? Et est-ce que ces personnes seront admises comme réfugiés?»

Dans tous les cas, Victoria Esses et Cheolki Yoon assurent que la décision ne va faire qu’amplifier les dangers pour les migrants.

«C’est possible qu’ils tentent de se cacher pendant 14 jours quelque part [après avoir passé la frontière]», commente Cheolki Yoon.

Vers une prolifération de passeurs

Luisa Veronis, professeure de géographie à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche en immigration et communautés franco-ontariennes, affirme que les gens qui prennent un autre chemin le font par désespoir. «Ils ne peuvent pas être chez eux, ils doivent fuir. Ce n’est pas pour profiter du système! S’ils font ce périple, c’est parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’aller ailleurs.»

La professeure à l’Université d’Ottawa Luisa Veronis déplore une décision «politique» du gouvernement Trudeau au détriment des droits de la personne prônés dans la Constitution canadienne et la Convention de Genève, que le Canada a signée. Photo : Courtoisie

La professeure montre aussi du doigt une autre conséquence : la prolifération d’acteurs intermédiaires. Ils font partie de «ce que l’on appelle “l’industrie de la migration”. Ce sont des passeurs, des agents, des recruteurs, des consultants, qui offriront des services pour “aider” les potentiels demandeurs d’asile à traverser la frontière, ce qui peut contribuer à mettre ces personnes en danger».

Les acteurs de cette sombre industrie demandent aussi des «sommes faramineuses» selon Luisa Veronis. Un résident canadien qui aurait fait passer un millier de personnes par le fleuve Saint-Laurent a d’ailleurs été extradé vers les États-Unis récemment. Le problème, connu depuis des années, risque donc de s’intensifier à en croire les experts.

«Une stratégie politique pour maintenir le pouvoir»

Pour Luisa Veronis, fermer le chemin Roxham donne l’impression que le gouvernement Trudeau contrôle les frontières et l’immigration, dans un contexte où il est empêtré* dans des affaires comme l’interférence étrangère dans les élections fédérales, la Commission Rouleau, la corruption éventuelle de députés libéraux etc.

Elle précise : «Vu l’inflation et tous les soucis dans le domaine de la santé et du logement au Canada, cette décision assure qu’il n’y aura pas de migrants qui viendront profiter du système canadien. C’est une stratégie politique juste pour maintenir le pouvoir.»

Par ailleurs, le chiffre de 15 000 immigrants sur lequel se sont entendus les deux pays est une «aberration complète, car cela va à l’encontre de la Convention de Genève. Alors que notre Constitution prône le droit à l’asile», déplore Luisa Veronis. La chercheuse rappelle que l’Entente sur les tiers pays sûrs est examinée par la Cour suprême du Canada depuis l’an dernier.

«Les États-Unis et le Canada ont négocié le nombre de 15 000 personnes provenant de l’Amérique centrale, qui est l’endroit qui représente le plus gros souci en termes d’immigration pour les États-Unis, observe Victoria Esses. Donc oui, 15 000 ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà quelque chose pour les États-Unis.»

Vers davantage de programmes d’immigration régulière?

Autre point flou : on ne sait pas quelle voie d’immigration régulière le gouvernement privilégiera pour accepter ces migrants au Canada. Sur ce point, le ministre fédéral de l’Immigration Sean Fraser a évoqué en mêlée de presse de «nouveaux programmes», qui ne sont pas encore développés.

«Mais on continuera tout de même d’augmenter les programmes existants pour aider les personnes vulnérables», a-t-il martelé.

«Depuis Harper, les programmes d’immigration sont comme un bar avec une liste de cocktails devenue de plus en plus longue», ironise Luisa Veronis. Selon elle, les programmes d’immigration sont pensés «à la carte» par le gouvernement fédéral.

«On a besoin de gens qui travaillent dans l’agriculture, mais on ne veut pas qu’ils restent ici. Le programme des travailleurs agricoles temporaires existe depuis les années 60 et il a été réajusté plusieurs fois depuis. On a plein de programmes de travailleurs temporaires, généralement peu qualifiés, qui ne mènent pas à la résidence permanente. On peut s’attendre à une multiplication des programmes», fait valoir la professeure.

Luisa Veronis avance une piste de solution : créer une catégorie de permis de travail temporaire, comme pour les Ukrainiens. «Des permis ouverts, pour éviter l’exploitation et qui pourrait mener à la résidence permanente», assure-t-elle.

Glossaire – *Empêtré : Être dans une situation difficile ou inextricable

Depuis la pandémie, le télétravail s’est largement développé, notamment au sein des organismes francophones. Certaines équipes travaillent même entièrement à distance, depuis une autre province. Une situation qui comporte ses avantages, mais aussi ses défis.

Francopresse – Camille Langlade

«Les partenaires sont habitués. Même les bailleurs de fonds font leur rencontre sur Zoom. Tout le monde y trouve son compte». Martin Bouchard.

​Sur le site Internet du Comité FrancoQueer de l’Ouest, section «Contact», la transparence est de mise : «L’équipe du Comité FrancoQueer de l’Ouest œuvre en télétravail.»

Si le siège de l’organisme se situe à Edmonton, un seul membre de son personnel y demeure. «On loue un espace dans les bureaux de la Cité francophone à prix modique», explique Martin Bouchard, qui travaille à la direction générale depuis chez lui, à Victoria, en Colombie-Britannique.

Martin Bouchard réside à Victoria, en Colombie-Britannique. Il travaille à la direction générale du Comité FrancoQueer de l’Ouest, dont le siège se situe à Edmonton. Photo : Courtoisie

«La pandémie a mis tout le monde au même niveau sur les technologies comme Zoom, Teams, etc. Dix minutes Zoom ça fait autant l’affaire qu’une rencontre en personne d’une heure. On sauve du temps, tout est plus rapide. Ce n’est vraiment pas un problème», estime-t-il.

Selon lui, «les partenaires sont habitués. Même les bailleurs de fonds font leur rencontre sur Zoom. Tout le monde y trouve son compte».

Gain de temps et d’argent

Pour Martin Bouchard, l’avantage du travail à distance reste avant tout financier : «On peut mettre des sous ailleurs que dans un loyer.» À noter que lorsqu’il a postulé pour travailler au sein du Comité FrancoQueer de l’Ouest, en 2021, l’offre permettait déjà le télétravail.

«C’est vraiment un outil de recrutement de dire “OK, on ne peut pas te proposer un salaire aussi élevé, mais par contre, on te propose de travailler chez toi et d’être flexible sur les horaires”, remarque Thomas Kriner, directeur général de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM). C’est devenu un argument de négociation dans les contrats.»

Les bureaux physiques de l’APCM se trouvent toujours à Ottawa, mais son équipe travaille également à distance. Une situation plus subie que voulue ; l’association a récemment dû revoir son mode de fonctionnement.

«Les choses ont changé de façon plutôt rapide, avoue Thomas Kriner. Jusqu’à octobre dernier, sur cinq employés, trois allaient encore au bureau. C’est vraiment nouveau où on est dans une dynamique où la majorité des employés sont au Québec et plus en Ontario.»

Pénurie de main-d’œuvre

«Ça fait presque dix ans que je suis à l’APCM et j’ai toujours personnellement gardé mon domicile à Montréal.» Thomas Kriner.

«Ce n’est pas une situation que je préconise forcément», nuance le directeur, qui confie avoir notamment des difficultés à recruter des employés francophones en milieu minoritaire qualifiés et intéressés par l’industrie musicale. «On les trouve plus facilement au Québec ou en France qu’en Ontario ou dans d’autres territoires.» 

Le recrutement dépend aussi du bassin d’emplois et des besoins de l’organisme. «Si je cherche un profil administratif, j’ai plus de chance de le trouver à Ottawa. Mais pour quelqu’un d’hyper connecté à la musique, il y a plus de chance à Québec, qui est le berceau de l’industrie musicale en français», constate Thomas Kriner.

Le directeur rappelle toutefois que le télétravail a toujours été accepté au sein de l’organisme. «Ça fait presque dix ans que je suis à l’APCM et j’ai toujours personnellement gardé mon domicile à Montréal.» 

«C’est vraiment un problème soit de rétention de personnel, qui fait des choix de vie […] ou d’embauche. Thomas Kriner.

Au début, il travaillait quatre jours par semaine à Ottawa et une journée depuis chez lui. Puis, pour des raisons personnelles, il s’est davantage relocalisé à Montréal. Pour le reste de son équipe, il a dû faire du cas par cas et s’adapter au marché de l’emploi actuel. «C’est vraiment un problème soit de rétention de personnel, qui fait des choix de vie […] ou d’embauche. Quand on met une offre d’emploi, c’est majoritairement des CV du Québec qui nous arrivent.»

Cohésion d’équipe

Si le travail à distance convient tout à fait à Martin Bouchard, il comporte quand même certains défis, notamment sur le plan de «l’esprit d’équipe».

«Le travail en présentiel crée des situations où les employés deviennent peut-être plus amis, où les situations amicales peuvent se développer. Donc, nous, on trouve important de faire des retraites d’équipe.»

«Intégrer une équipe, ça veut dire aussi connaitre les gens avec qui on travaille et là, on se rend compte des limites du télétravail, qui a tendance à axer le travail sur la tâche», décrit Lucie Enel, doctorante en communication à l’Université du Québec à Montréal.

Selon elle, le format même des réunions à distance et autres visioconférences avec ordre du jour se prête moins aux conversations spontanées.

De l’importance de l’informel

«Le télétravail coupe l’individu de la présence des autres au travail et de tous ces petits moments informels de l’avant et après la réunion où la parole circule, [des moments] qui permettent de favoriser le sentiment d’appartenance à l’entreprise», poursuit Lucie Enel. 

Elle précise que «pour que cet informel réussisse à survivre, il faut qu’il se soit déjà construit en présentiel».

Les rencontres hebdomadaires permettent de garder ce lien social, témoigne Martin Bouchard. «On prend le temps quand même de parler d’autres choses que de travail. On fait des check-in, on parle un peu de nos vies personnelles.»

«Des employés qui ne se voient pas souvent, qui se connaissent peu, forcément ça ne crée pas une énorme cohésion d’équipe. On compense, on organise beaucoup d’évènements, on se voit une fois par mois minimum à travers des évènements. Mais la cohésion d’équipe est plus forte quand on est tous au bureau», admet de son côté Thomas Kriner, lucide.

«Le télétravail coupe l’individu de la présence des autres au travail et de tous ces petits moments informels de l’avant et après la réunion où la parole circule, [des moments] qui permettent de favoriser le sentiment d’appartenance à l’entreprise.» Lucie Enel. 

Qu’en est-il des liens avec la communauté?

Néanmoins, le télétravail transporte aussi avec lui encore quelques idées reçues. «Ça a été souvent tabou. Je ne le disais pas trop au départ que je vivais à Montréal», confie Thomas Kriner.

Il croit que «ça peut, pour certains membres, porter à confusion et de se dire “ah ben lui il habite au Québec, il est Français d’origine, qu’est-ce qu’il y connait de notre réalité de francophones en situation minoritaire?”. Sauf que ça fait 15 ans que je travaille dans la francophonie minoritaire, et les enjeux, je les connais.»

Martin Bouchard tient à garder des liens physiques avec la communauté franco-albertaine. «C’est important d’assurer une présence sur place pour rencontrer les partenaires. Je me rends à Edmonton quand même assez souvent à la Cité francophone.

«À Victoria, je travaille aussi dans la communauté francophone, explique-t-il. J’ai un petit bureau, un espace dans lequel je peux aller pour rencontrer les autres membres de la communauté.»

Le réseautage reste en outre essentiel. «Je manque un peu d’Ottawa pour tout ce qui est politique […] être présent sur des évènements un peu mondains*, où les politiques et les bailleurs de fonds sont là», concède Thomas Kriner.

Mais le directeur de l’APCM se veut pragmatique : «J’ai plus une stratégie d’industrie musicale que communautaire ; essayer d’être plus connecté à l’industrie musicale, un peu moins à la communauté malheureusement. […] Je trouve plus mon compte en étant à Montréal qu’en étant à Ottawa ou à Sudbury.»

Glossaire*Mondain : Qui est propre à la société des gens en vue

L’Observatoire de l’immigration francophone au Canada (OIFC) est un projet issu d’une réflexion entre plusieurs chercheurs spécialisés en immigration, dont Amin Moghadam. Le chercheur de l’Université métropolitaine de Toronto explique les objectifs du futur Observatoire, dont il a été question lors du Symposium annuel sur l’immigration francophone, en début de semaine à Ottawa.

Francopresse – Inès Lombardo – Journaliste

Amin Moghadam fait partie de la Chaire d’excellence en recherche du Canada (CERC) sur la migration et l’intégration, à l’Université métropolitaine de Toronto, qui participe à la mise en place du projet de l’Observatoire.

«L’un des objectifs est d’associer la recherche sur l’immigration francophone à l’immigration internationale.» Amin Moghadam.

FRANCOPRESSE : Quel est l’objectif d’un projet comme l’Observatoire de l’immigration francophone au Canada (OIFC)?

Amin Moghadam : L’un des objectifs est d’associer la recherche sur l’immigration francophone à l’immigration internationale. Ensuite, un observatoire répond à un besoin, observe une crise, comparé à un centre de recherche par exemple. Là, on a identifié deux éléments.

Le premier concerne la question démographique des communautés francophones au Canada, en contexte minoritaire notamment.

Le deuxième vise à intégrer la perspective des immigrants francophones qui arrivent au Canada et qui viennent de contextes sociaux et nationaux très différents. Ils n’ont pas le même rapport à la francophonie au Canada.

Selon Amin Moghadam, l’idée de l’Observatoire est de proposer une «complexité» dans la compréhension de l’immigration francophone. Photo : Courtoisie

On a parlé en atelier [au Symposium annuel de l’immigration francophone, NDLR] sur comment faire pour associer une approche utilitaire, qui est celle du gouvernement, à la compréhension du parcours des immigrants, notamment sur leurs conditions de vie et d’employabilité.

Un autre objectif est de produire de nouvelles données sur l’immigration francophone à partir de perspectives différentes, très internationales.

L’Observatoire permettra aussi de comprendre ce qui manque. Par exemple, [au Symposium] il y a eu des remarques sur les approches intersectionnelles, qui existent déjà dans la recherche, mais qui sont peut-être moins représentées dans des études plus générales qui concernent les questions raciales, de classe, etc.

Au sein de la Chaire, on est aussi plusieurs francophones à s’intéresser à la consolidation d’un réseau de chercheurs francophones pour l’Observatoire.

Vous avez mentionné que l’Observatoire répond à un besoin, à une crise. Laquelle? 

«En fait, il répond à un problème dans les provinces hors Québec, où les immigrants francophones sont attirés, mais où ils rencontrent souvent des soucis d’employabilité.» Amin Moghadam.

En fait, il répond à un problème dans les provinces hors Québec, où les immigrants francophones sont attirés, mais où ils rencontrent souvent des soucis d’employabilité.

Au-delà des questions d’emploi, la vie quotidienne pour les immigrants francophones est aussi importante, avec des espaces de sociabilité, de rencontres. Il y a aussi la question des services en français. Il y a eu du travail là-dessus ; il n’empêche que si on ne parle que le français en contexte minoritaire, on ne s’en sort pas. Tout ça alors qu’il y a plusieurs programmes [d’immigration] pour les francophones en contexte minoritaire.

L’approche de l’Observatoire, c’est d’inscrire cette problématique dans une perspective* internationale plus large.

Si on veut comprendre les préoccupations de l’immigration francophone au Canada, il faut aussi parler de la francophonie d’ailleurs, des pays d’origine des immigrants, et même des pays où le français n’est pas forcément développé, mais qui ont mis en place des infrastructures pour faire venir des immigrants au Canada. Comme en Iran, d’où je viens, où il y a tout un réseau d’instituts français qui s’est développé et qui privilégie les immigrants francophones.

«Si on veut comprendre les préoccupations de l’immigration francophone au Canada, il faut aussi parler de la francophonie d’ailleurs.» Amin Moghadam.

Les recherches de l’Observatoire seront-elles destinées au gouvernement?

En partie au gouvernement, mais aussi au grand public, aux acteurs communautaires… Il s’agit de consolider les connaissances sur l’immigration francophone pour tous les acteurs concernés.

C’est pour cela qu’on insiste sur le fait que l’Observatoire va être un lieu de partage et de sociabilité. Un lieu physique et virtuel, de rencontre d’acteurs qui viennent de milieux très différents : universitaires, communautaires, privés et gouvernementaux.

Quand le lancement est-il prévu?

On envisage un lancement de l’Observatoire en septembre, mais rien n’est confirmé. On attend encore du financement des partenaires impliqués.

Vous faites partie de l’Université métropolitaine de Toronto. Quel est l’intérêt pour un établissement anglophone de faire partie du projet?

La Chaire d’excellence à l’Université métropolitaine de Toronto a été créée en 2019. C’est dans notre mandat depuis le départ de mener des activités sur l’immigration francophone, en français ou pas.

Il y a aussi une collaboration avec le consulat de France à Toronto. On a mis en place une première rencontre début 2021 sur les mots des migrations. Nous sommes très intéressés par l’usage des mots anglais, français ou arabes. «Immigration», «migrants», «immigrants»… Est-ce que l’on parle de la même chose dans toutes les langues?

Notre hypothèse, c’est que lorsqu’on écrit dans une langue, on ne réfléchit pas forcément de la même manière. C’est notre volonté d’intégrer différentes manières de réfléchir et de penser.

Les réflexions autour de l’Observatoire de l’immigration francophone du Canada (OIFC) remontent à quelques années.

«On essayait de comprendre les perspectives manquantes en termes de production de la recherche scientifique au Canada, sur l’immigration francophone au Canada», explique le chercheur.

Dès 2021, Linda Cardinal, professeure à l’Université de l’Ontario français (UOF), a contacté la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la migration et l’intégration de l’Université métropolitaine de Toronto [anciennement Université Ryerson, NDLR] pour inscrire les problématiques de l’immigration francophone au Canada dans une perspective plus large.

Glossaire*Perspective : Manière particulière d’envisager les choses

Le budget fédéral 2023 réserve 1,1 milliard de dollars pour le prochain Plan d’action pour les langues officielles, qui devrait être déposé d’ici la fin avril. Le nouveau financement se divise notamment entre l’accès à des services d’enseignement dans la langue de la minorité, l’immigration francophone et l’accès à la justice en français.  

Francopresse | Inès Lombardo – Mélanie Tremblay

En tout, la ministre des Finances, Chrystia Freelan a annoncé réserver près de 3,8 milliards sur cinq ans pour le prochain Plan d’action pour les langues officielles. Le nouveau financement, qui s’élève à 1 077 400 000 $ s’ajoute aux 2,8 milliards déjà inclus dans le Plan d’action précédent, qui arrive à échéance le 31 mars 2023. 

En 2022, ni le budget fédéral ni l’énoncé économique de novembre ne comprenaient de mesures supplémentaires pour les langues officielles ou la francophonie. 

Plus d’un demi-milliard pour l’enseignement de la langue de la minorité 

Le gouvernement investit 679,2 millions sur cinq ans dès 2023-2024 dans l’accès égal à des services d’enseignement «de qualité égale» dans la langue de la minorité. Cette somme, gérée par Patrimoine canadien, servira aussi à offrir des possibilités d’apprentissage de la langue seconde et à offrir des services gouvernementaux bilingues dans l’ensemble du Canada. 

Le budget fédéral ne réserve aucune somme pour les établissements postsecondaires, en contexte minoritaire ou majoritaire. Le gouvernement vise les étudiants en consacrant 813,6 millions dans l’amélioration de l’aide financière et en faisant passer le plafond des retraits pour les régimes enregistrés d’épargnes études (REEE) de 5000 $ à 8000.

Peu pour les organismes communautaires, rien pour les médias 

Une somme de 373,7 millions sur cinq ans, dès 2023-2024, est répartie en quatre piliers, avec l’immigration francophone en tête.

Distribution des sommes destinées au Plan d’action pour les langues officielles. Source : Gouvernement du Canada

 

Toutes les sommes couvrent une période de cinq ans

123,2 millions — Immigration francophone

Somme destinée principalement à l’appui au recrutement des travailleurs francophones et à l’augmentation de l’aide fournie aux immigrants après leur arrivée.

117 millions — Services en français

Sommes divisées entre les organismes sans but lucratif, la formation d’infirmières et de préposés aux soins aux personnes bilingues et à la promotion de la recherche en français.

111,4 millions — Bilinguisme dans la justice, activités culturelles et petite enfance

Somme divisée entre le soutien au bilinguisme dans la justice canadienne, l’appui aux activités culturelles et à la formation d’éducatrices et éducateurs de la petite enfance dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

25,5 millions – Programme de contestation judiciaire

Somme destinée à fournir de l’aide dans les dossiers juridiques d’importance nationale qui clarifient* et confirment certains droits en matière de langues officielles et de droits de la personne.

22,1 millions — Respect de l’application de la Loi sur les langues officielles

Somme destinée au financement d’un centre d’expertise qui veillera à ce que les institutions fédérales se soumettent à leurs obligations inscrites dans la Loi sur les langues officielles.

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a demandé l’automne dernier un financement de 300 millions pour les organismes francophones en situation minoritaire, en mal de financement. Selon le budget de cette année, ces organismes devront se partager 117 millions sur cinq ans avec d’autres initiatives appuyées par le gouvernement fédéral. 

La création d’un programme économique à part pour l’immigration francophone ne fait pas partie du budget 2023, tel que l’avaient demandé des experts.

Peu pour les arts et la culture, rien pour les médias

Le Fonds des médias du Canada, piloté par Patrimoine canadien, recevra 40 millions sur deux ans entre 2023 et 2025, pour appuyer la sous-représentation dans les médias et l’augmentation au contenu de langue française à l’écran. Le budget réserve aussi 14 millions sur deux ans pour développer les communautés par le biais des arts et du patrimoine et 10 millions sur deux ans pour l’Office national du film.

Aucune somme n’est annoncée pour appuyer le secteur des médias spécifiquement. La plateforme TV5MONDEplus recevra quatre-millions sur deux ans à compter de 2024-2025. 

Glossaire – *Clarifier : Rendre plus compréhensible ce qui était ambigu, confus.

Pour certaines personnes au Canada, l’appartenance à une minorité sous-entend la nécessité d’un engagement politique, même s’il peut être difficile de se faire entendre, parfois même au sein de sa propre communauté.

Francopresse
Marianne Dépelteau – Journaliste

«Les membres des minorités sont conscients qu’à tout moment, leurs droits peuvent leur être facilement retirés […]» Luc Turgeon.

Être Autochtone au sein d’une majorité allochtone, être une personne noire ou de couleur dans un milieu blanc ou être un jeune inquiet de son avenir n’est pas toujours de tout repos. Pour faire valoir son existence et ses droits, il faut souvent montrer beaucoup de détermination et parfois se mobiliser pour manifester.

Luc Turgeon est professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Photo : Erin Duncan.

«Les membres des minorités sont conscients qu’à tout moment, leurs droits peuvent leur être facilement retirés et qu’ils doivent souvent faire des coups d’éclat pour pouvoir se faire entendre», explique Luc Turgeon, professeur agrégé à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

Pour lui, les mobilisations les plus marquantes, comme les grandes manifestations, sont le fruit d’inégalités.

Il s’agit de moyens de «dernier recours» : «C’est parce qu’on n’a pas accès, comme les membres de la majorité publique, à des recours plus traditionnels au sein des institutions politiques en place.»

Or, assez paradoxalement, les inégalités peuvent aussi représenter un frein à la mobilisation. «Quand on n’a pas accès à des besoins de base, c’est beaucoup plus difficile de se mobiliser politiquement, observe l’universitaire. Si on doit travailler 60 heures par semaine pour survivre, c’est sûr qu’on n’a pas les mêmes occasions.»

Activisme et écologie

Bill Jones fait partie de ceux qui n’hésitent pas à monter aux barricades. Lauréat du Prix Eugene-Rogers pour l’environnement en 2021, l’ainé de la Première Nation des Pacheedahts en Colombie-Britannique et ancien bucheron milite contre l’exploitation forestière dans cette province depuis plusieurs années.

«Je n’ai pas accordé un grand intérêt à l’activisme écologique jusqu’en 2012, quand je me suis engagé dans ce que nous appelons la lutte de Walbran. Je me suis joint à un groupe appelé les Friends of Walbran et nous avons fait des lignes de piquetage, des barrages routiers, des barricades pendant longtemps.»

En 2020, il a rejoint la manifestation contre l’exploitation des forêts anciennes à Fairy Creek, où il a été confronté à une répression musclée. «Il y a eu beaucoup de violence, d’intimidation et de harcèlement.»

Il raconte que «l’injonction est arrivée et la police a commencé à intensifier sa violence contre les manifestants, les écogardiens de la forêt, et nous nous sommes retrouvés avec, il me semble, quelque 1100 arrestations et un millier d’accusations en cours».

«[À cause de] l’expérience des pensionnats, la plupart des Premières Nations de ma génération ont appris à se méfier.» Bill Jones.

Selon lui, cette série d’évènements lui a permis de comprendre l’aspect politique de sa vie. «Tout est politique en ce qui concerne les relations familiales et la résidence. Même votre chat est politique. Vos relations avec vos voisins sont des outils politiques qui seront utilisés pour limiter l’infrastructure politique des réserves [autochtones].»

«[À cause de] l’expérience des pensionnats, la plupart des Premières Nations de ma génération ont appris à se méfier, confie le diplômé de 1959 du Pensionnat indien d’Alberni, sur l’ile de Victoria. C’est encore une structure des relations raciales au Canada en raison de la connotation politique de ce que veut dire être Indien.»

Militer envers et contre tout

Bill Jones est bien conscient des foudres qu’il s’attire par ses actions. «Je ne suis pas un homme très populaire, et je sens que je suis peut-être même en danger parfois parce que je suis d’avis que nous devons faire les choses un peu différemment si nous voulons sauver les longues luttes pour nos droits et notre liberté qui sont maintenant continuellement bafoués.»

En invitant des manifestants dans le territoire traditionnel de la nation Pacheedaht, Bill Jones a parfois été une épine dans le pied du conseil de bande, qui ne voulait pas de leur présence.

Dans une lettre de 2021, il insiste sur le fait que «les personnes de tous les âges, genres, races, cultures et classes sociales doivent marcher ensemble pour contribuer à la guérison des blessures causées par le colonialisme et la destruction environnementale».

Et les jeunes dans tout ça?

«Étant moi-même issu de la communauté racisée, il y a beaucoup d’enjeux auxquels nous faisons face […] beaucoup de barrières systémiques.» Olivier Hussein.

Olivier Hussein ne craint pas non plus de s’engager sur le plan politique, et ce, malgré son jeune âge.

Originaire de la République démocratique du Congo, il est arrivé à Moncton en 2009. Au Nouveau-Brunswick, il a été bénévole dans plusieurs organismes francophones pour favoriser l’accueil et l’intégration des immigrants et des réfugiés.

«Je pense que c’est ma personnalité, qui je suis en tant que personne, analyse-t-il. Je suis humanitaire, je suis une personne qui connait les différents enjeux qui touchent surtout les personnes racisées. Étant moi-même issu de la communauté racisée, il y a beaucoup d’enjeux auxquels nous faisons face […] beaucoup de barrières systémiques.»

Selon lui, «ça prend des jeunes qui ont [du] dévouement. Il ne faut pas avoir peur. Je dirais que la peur doit quitter l’esprit de certaines personnes parce que je sais que souvent il y a des jeunes qui ont tendance à avoir la peur de pouvoir aller s’impliquer.»

Olivier Hussein s’est aussi engagé en politique et appelle un plus grand nombre de jeunes à faire de même. «Les jeunes ont cette tendance de pouvoir changer les choses. On le voit notamment au niveau de nos gouvernements, il y a beaucoup de jeunes impliqués. Pourquoi pas aussi voir plus de jeunes ministres?»

«Je vais mettre l’accent sur les jeunes issus des communautés racisées, donc les jeunes Noirs, les jeunes Autochtones. Il faut que nos politiques, nos gouvernements, donnent plus d’opportunités à ces jeunes pour pouvoir s’exprimer», déclare-t-il.

Le militant voit d’ailleurs un lien entre les combats des personnes autochtones, noires et acadiennes : «[La communauté acadienne] a beaucoup milité pour la francophonie, pour avoir le français, pour avoir ce privilège et cette fierté d’avoir la langue française comme deuxième langue de cette province.»

Parler une langue, un geste politique?

«Que ce soit d’inscrire nos enfants à l’école en français ou de demander un service en français […]; on ne prend pas la voie la plus facile.» Michelle Landry.

«La francophonie, c’est vraiment un combat, c’est quelque chose qui me tient à cœur», poursuit Olivier Hussein.

Pour Michelle Landry, professeure de sociologie à l’Université de Moncton, être francophone en milieu minoritaire et vivre en français, c’est déjà devoir faire des choix au quotidien, «que ce soit d’inscrire nos enfants à l’école en français ou de demander un service en français gouvernemental ou dans un commerce ; on ne prend pas la voie la plus facile».

Michelle Landry, de l’Université de Moncton, est titulaire de la Chaire de recherche au Canada sur les minorités francophones canadiennes et le pouvoir. Photo : Nigel Fearon Photography.

Différentes raisons peuvent motiver une personne à choisir le français en milieu linguistique minoritaire : «Ça peut être des influences* familiales, à l’école […] un évènement dans la vie de quelqu’un, une histoire de vie personnelle, des rencontres, des occasions.»

«Il y a toutes les activités aussi qui sont organisées dans la francophonie canadienne, que ce soit les Jeux de la francophonie, les Jeux de l’Acadie, les camps de leadeurship. Il y a toutes sortes d’évènements qui visent à consolider l’identité, mais aussi l’engagement», renchérit la sociologue.

Mais les questions de la francophonie se cachent souvent derrière d’autres causes. «Souvent, les militants, les groupes et autres personnes engagées vont se rendre compte des enjeux de pouvoir au sein même de leur secteur d’intérêt, par exemple, si on remarque qu’il y a peu de services aux femmes dans les régions francophones ou pour les personnes âgées.»

Glossaire – *Influence : Action qui s’exerce sur les opinions morales, intellectuelles, artistiques d’une personne

«L’intelligence artificielle, ou IA, est devenue l’un des domaines les plus en vogue de la technologie.» Ces mots ont été générés par ChatGPT, un système d’intelligence artificielle pouvant composer du texte. Même si l’IA semble être l’une des voies vers le futur, ses origines remontent à un passé lointain, à l’époque des Grecs.

Francopresse
Marc Poirier – Chroniqueur

«Je sais que Frank et toi avez l’intention de me déconnecter. C’est quelque chose que je ne peux vous laisser faire.» Cette réplique de HAL 9000, l’ordinateur central du vaisseau spatial Discovery, dans 2001 : l’Odyssée de l’espace, avait de quoi donner des frissons dans le dos.

Dans son film culte de 1968, le réalisateur Stanley Kubrick laisse entrevoir les dangers de l’intelligence artificielle. HAL contrôle tout. Il pense à tout. Il voit tout. Et lorsqu’il se rend compte qu’on veut le détruire, il se protège. Et tue. (Divulgâchons : HAL finit bel et bien par se faire neutraliser.)

Entrons dans le rétroviseur pour découvrir que l’idée de créer des machines ou des objets pouvant se mouvoir d’eux-mêmes et imiter des êtres vivants remonte aux Grecs (toujours eux), plus précisément à leur riche mythologie.

Des Grecs visionnaires

Dans l’Iliade – œuvre qui précède l’Odyssée – le poète Homère raconte l’histoire d’Héphaïstos, dieu du feu, de la forge et de quelques autres trucs. Héphaïstos (Vulcain, chez les Romains), fils de Zeus, est moins célèbre que certains de ses six frères et sœurs, comme Apollon et Athéna. Mais il gagne à être connu.

Héphaïstos, dieu grec de la forge (entre autres), avait le pouvoir de créer des machines et des objets animés, dont des servantes en or. Photo : Cr. Wikimedia Commons, domaine public

C’est qu’Héphaïstos a un don particulier : il construit des trépieds capables de se placer eux-mêmes où ils doivent être. Il crée des chiens gardiens pour un palais qui sont «à jamais exempts de vieillesse» et d’autres figures animales du genre.

Mais le chef-d’œuvre d’Héphaïstos, ce sont les automates (du mot grec automatos, signifiant «qui agit de soi-même»).

Ces automates, faites en or, sont ses servantes. On ne les a pas vues cultiver des tomates au soleil, mais certaines peuvent penser et avoir des sentiments humains. Selon Homère, elles «incarnent parfaitement la richesse, la beauté, la force, la vitalité».

Plus tard, au IVe siècle av. J.-C., le philosophe Aristote (un autre Grec, bien sûr), précepteur d’Alexandre le Grand (ça parait bien dans un CV), s’inspirera de ces automatos imaginaires pour décrire un monde où les machines remplaceraient les esclaves.

Tout un visionnaire!

Les débuts de l’IA, son évolution

Ce n’est qu’au XXe siècle qu’on peut entrevoir l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA). Les impératifs de la Seconde Guerre mondiale donneront lieu à des avancées dans ce domaine.

En 1950, le mathématicien et cryptologue Alan Turing (dont les exploits ont fait l’objet du film Le jeu de l’imitation, ou Imitation Game en anglais), fait figure de pionnier de l’IA.

L’invention des microprocesseurs, en 1971, donne des ailes à cette quête. En 1997, un superordinateur nommé Deep Blue réussit à battre le champion russe des échecs, Garry Kasparov. Début des années 2010, les assistants virtuels, Siri, Alexa et compagnie, s’immiscent dans nos vies.

Enfin la dernière vogue : les ChatGPT de ce monde, des agents conversationnels qui peuvent répondre — pas toujours de façon exacte — à toutes nos questions, rédiger des textes complexes en un tournemain, et s’occuper de bien d’autres tâches.

ChatGPT a une grande qualité : il s’améliore rapidement, ayant par exemple appris en quelques mois à écrire un haïku correctement.

Malgré ces avancées, nous ne sommes pas encore arrivés à la «vraie» intelligence artificielle, celle qui rendra un objet, un robot — ou autre entité inventée — autonome, avec une conscience propre, avec des émotions, des rêves. Bref, une copie conforme de l’humain, mais encore plus performante.

À soir, on fait peur au monde

Et la fiction, pendant ce temps?

Le mot robot n’est pas issu du monde scientifique, mais de celui de la fiction. Il est dérivé de robota, un terme tiré du mot slave rob, signifiant «esclave», ou «corvée», utilisé pour la première fois dans la pièce R.U.R. du dramaturge tchèque Karel Capek pour nommer des machines à l’apparence humaine.

La pièce de théâtre R.U.R. (pour Rossum’s Universal Robots), présentée pour la première fois en 1921, connait un énorme succès. Mais c’est une histoire qui finit mal : on dote les robots d’une certaine intelligence et d’une sensibilité limitée. Ce qui devait arriver, arriva : dix ans après leur création, ils se révoltent et anéantissent l’humanité. Désolé pour cet autre divulgâchage!

Les producteurs de films sauront exploiter le filon de l’apocalypse robotique ou informatique. Parmi les plus connus, outre l’Odyssée de l’espace, les franchises Terminator et La Matrice nous ont présenté un monde où les machines créées par l’humain ont pris le contrôle de la planète.

Mais il n’y a pas qu’au cinéma où l’on craint que l’humanité crée ses futurs bourreaux et provoque ainsi son autodestruction.

Quelques années avant sa mort, l’astrophysicien britannique Stephen Hawking a mis en garde le monde par rapport au développement de «l’intelligence artificielle complète» qui, selon lui, «pourrait mettre fin à l’humanité». Rien de moins.

L’auteur de la théorie du tout a prédit que lorsque l’IA sera complètement développée, «celle-ci décollerait seule, et se redéfinirait de plus en plus vite. […] Les humains, limités par une lente évolution biologique, ne pourraient pas rivaliser et seraient dépassés.»

Ces prophéties de malheur ont cependant été qualifiées de trop alarmistes par certains.

Bref, on peut choisir notre anéantissement : le réchauffement de la planète ou la suprématie des machines intelligentes. Un jeu de pile ou face où on est assurés de perdre.

Dans un texte paru sur le site Web des Nations unies, Audrey Azoulay, directrice générale de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), jette un regard moins déprimant sur la situation.

Selon elle, «l’IA est la nouvelle frontière de l’humanité. Une fois que celle-ci sera franchie, une nouvelle forme de civilisation humaine verra le jour. […] Nous faisons face à une question cruciale, à savoir quel type de société nous voulons pour demain».

 «L’intelligence artificielle n’existe pas»

Luc Julia, comme d’autres spécialistes de l’IA, affirme que l’IA «n’existe pas» et «ne peut exister tant que l’intelligence humaine comportera du mystère». En d’autres mots, la psyché humaine est tellement complexe qu’aucune machine ne pourra l’imiter, encore moins la dépasser.

Qui croire? 

Les premiers automates imaginés pouvaient penser et avoir des émotions. Plus de 3 000 ans plus tard, la réalité n’a pas dépassé la fiction. Pas encore.

À leur arrivée au Canada, les immigrants sont souvent contraints de changer leurs habitudes alimentaires. Photo : Alexa – Pixabay

S’installer dans un nouveau pays signifie souvent qu’il faut composer avec la perte de repères, qui se fait notamment sentir dans l’alimentation. Or, l’intégration des immigrants et immigrantes passe aussi par la nourriture. Un enjeu à la fois culturel et sanitaire.

Camille Langlade – Francopresse 

Qui dit nouveau pays dit nouvelle alimentation. À leur arrivée au Canada, les immigrants doivent s’adapter au marché local et parfois changer leurs habitudes alimentaires.

À Toronto, il n’est pas difficile d’acheter des denrées venant du monde entier, témoigne Jean-Marie Nzoro Munoko, gestionnaire des Services aux nouveaux arrivants au Centre francophone du Grand Toronto (CFGT). 

«On trouve des épiceries exotiques où on peut acheter du plantain […] des magasins de Camerounais, de Congolais, de Burundais.» Les rayons de certains grands magasins aussi proposent des produits des quatre coins du monde.

À la ville et à la campagne

À l’extérieur des grandes villes, le choix n’est cependant pas le même.

Marc-Alexandre Lagacy, animateur culturel au programme de Communauté francophone accueillante (CFA) de Clare, en Nouvelle-Écosse, l’a bien remarqué.

Marc-Alexandre Lagacy est animateur culturel au programme de Communauté francophone accueillante (CFA) de Clare, en Nouvelle-Écosse. Photo : Courtoisie

«Ici, c’est une petite région rurale. Halifax est à environ trois heures de drive. […] C’est quand même assez difficile pour les nouveaux arrivants de trouver des produits qu’ils pourraient avoir dans les grands centres. C’est probablement le plus gros défi dans la région.»

Néanmoins, l’animateur évoque rarement le sujet avec les principaux intéressés. «Je n’ai jamais vraiment eu de conversation avec de nouveaux arrivants qui trouvaient ça difficile, remarque-t-il. Il y a certainement une période d’adaptation, mais je crois que les personnes se rassemblent entre elles et font des repas.»

La CFA essaie aussi d’organiser des repas traditionnels chaque mois, selon les pays d’origine des nouveaux résidents. Des excursions vers Halifax sont également organisées, notamment par l’Université Sainte-Anne.

«Les épiceries dans la région sont quand même assez ouvertes à acheter de la nourriture ou des produits de différents pays. Si elles ont assez de demandes, elles vont quand même faire un effort», assure Marc-Alexandre Lagacy.

«Dans les milieux ruraux […], on voit quand même une belle évolution », confirme Marianne Lefebvre, nutritionniste, conférencière et consultante spécialisée en nutrition internationale. 

Elle assure que «d’une part, les grandes surfaces font de plus en plus de place dans leurs étals pour les produits ethniques, et d’autre part il y a de plus en plus de gens qui vont opter pour la transformation, la commercialisation de certains produits de leurs pays d’origine. On a de plus en plus de producteurs agroalimentaires issus de la diversité.»

Adaptation et inflation

Se procurer des produits d’ailleurs reste donc possible, mais à quel prix?

«La vie est devenue trop chère, donc la marge de manœuvre est très étroite, constate Jean-Marie Nzoro Munoko. Il y a beaucoup d’inquiétudes […] Alors, nous on essaie d’aller trouver des ressources qui sont beaucoup moins chères.»

Le CFGT a établi des listes de magasins et de banques alimentaires qui s’adressent aux nouveaux arrivants. Il propose également des bons alimentaires aux familles les plus démunies. «On communique sur la façon d’essayer d’acheter à meilleur prix», ajoute le gestionnaire. Le CFGT indique les dates des soldes par exemple.

Jean-Marie Nzoro Munoko réfléchit par ailleurs à mettre à jour un guide, «un inventaire de magasins exotiques et de toutes les nationalités qui se trouvent à Toronto, avec l’adresse du magasin, le numéro de téléphone et qu’est-ce qu’ils vendent. Je pense que c’est une ressource qui va aider la communauté.»

Manger sain ou économique

Il reste que, pour alléger le portemonnaie, certains consommateurs vont se tourner vers les produits les plus abordables, pas forcément les plus sains.

Comme le souligne Marianne Lefebvre, au Canada, les denrées ultratransformées, très riches en sucre, en sel et en gras, sont souvent les moins couteuses. «Deux litres de boisson gazeuse sont parfois moins chers que deux litres de lait.»

«Souvent, les gens vont opter pour des aliments de moins bonne qualité plutôt que des denrées non transformées qu’ils avaient l’habitude de consommer plus quotidiennement dans leur pays, parce que c’est le plus accessible», poursuit la nutritionniste.

Mais ce type de régime peut mener à des problèmes de santé, comme le diabète, des maladies cardiovasculaires ou des maladies chroniques, détaille la spécialiste. «La consommation d’aliments ultratransformés est aussi directement en lien avec un déclin de la santé mentale.»

L’effet de l’immigrant en bonne santé

«L’effet de l’immigrant en santé, c’est le fait que l’immigrant moyen arrive au Canada avec un excellent état de santé», explique Marianne Lefebvre. 

Néanmoins, «cet avantage en matière de santé diminue avec le temps», observe Statistique Canada dans ses rapports sur la santé.

Les causes? «Les raisons de la dégradation de l’état de santé varient énormément d’une culture à l’autre, du statut d’immigration. […] Les gens sont beaucoup plus sédentaires ici, notamment à cause du climat plus froid», analyse Marianne Lefebvre.

«Les enjeux vont beaucoup varier selon le type d’immigration», ajoute Marianne Lefebvre. Ils ne seront pas les mêmes pour un réfugié ou une personne issue de «l’immigration économique», souligne-t-elle.

Marianne Lefebvre est nutritionniste, conférencière et consultante spécialisée en nutrition internationale. Photo : Claudia Dumontier

De même, les préoccupations d’immigrants venant de pays occidentalisés seront différentes de ceux originaires d’un pays en développement, selon la spécialiste.

Conjuguer les cultures

Mais immigration ne veut pas forcément dire acculturation.

«Quand on quitte un pays, on laisse derrière nous tellement de choses de notre culture. Mais la culture alimentaire, c’est quelque chose qu’on peut trainer avec nous et qu’on peut aussi partager», est d’avis Marianne Lefebvre.

«Les personnes sont vraiment très attachées à leur culture, donc elles essaient de conserver leur héritage. Même sur le plan alimentaire», renchérit Jean-Marie Nzoro Munoko.

Mais alors, comment trouver une diète équilibrée sans renier ses origines? Pour la nutritionniste, une partie de la solution réside dans le mélange des cultures. Autrement dit, garder ses coutumes tout en y intégrant des composantes de la culture locale canadienne.

«Prendre le meilleur des deux mondes […] essayer que notre double culture se reflète également dans l’alimentation», résume-t-elle.

Produits de substitution

«Souvent, les gens vont me dire “moi je mange exactement de la même façon que dans mon pays d’origine et je prends du poids”. Ça, je l’entends énormément, se désole-t-elle. Étant donné que l’environnement des gens a changé, il doit y avoir un changement également au niveau des habitudes alimentaires.»

Marianne Lefebvre conseille aussi de consommer des produits de substitution. «Au lieu de remplacer la banane plantain par du riz instantané ou par des pâtes alimentaires, je vais leur suggérer des céréales locales, comme l’orge.» 

Ainsi, rien ne se perd, tout s’adapte.

L’accès aux sports en français se fait à échelle variable au pays. Il dépend souvent de la volonté de quelques francophones de démarrer un club sportif. Mais pour les sportifs de talent, l’accès à un niveau supérieur se passe généralement en anglais.

Francopresse

«Quand je suis arrivé en 1992, j’ai cherché un club de football [soccer], mais je n’en ai pas trouvé. Alors je suis allé sur les terrains pour demander aux gens qui jouaient si je pouvais me joindre à eux. Il y avait des communautés étrangères qui se regroupaient pour pratiquer leur sport et les francophones se sont retrouvés à chercher une équipe qui voudrait bien les accueillir.»

Arrivé de France, Jean-Pierre Boué s’est retrouvé à Toronto confronté à une difficulté que rencontrent beaucoup de familles francophones en milieu minoritaire : offrir l’opportunité à leurs enfants de pratiquer une activité sportive en français.

Céline Dumay, directrice générale de la Fédération du sport francophone de l’Alberta (FSFA) est bien consciente du problème.

«Certaines personnes ne parlent pas anglais et le premier réflexe des parents, ça va être de chercher des équipes en français. C’est sûr que pour les enfants, au début, c’est difficile et ça peut faire peur de ne pas comprendre la langue. Après, souvent, ils s’adaptent et vont se mêler à la masse.»

Selon elle, le défi est surtout pour les parents qui souhaitent que leurs enfants participent à des activités parascolaires en français. «Ils ne veulent pas que le français soit juste dans le milieu scolaire, mais que les enfants aient l’opportunité de pratiquer dans d’autres domaines», précise-t-elle.

«On parle en français à la maison et quand on cherche des leçons de natation, on cherche d’abord à leur en offrir en français parce que ma fille de 4 ans, surtout au début, ne parlait et ne comprenait que le français, donc on ne pouvait pas la mettre dans un cours en anglais», indique Chantal Young, installée au Manitoba.

Cette mère de famille connait d’autant mieux le sujet qu’elle occupe, depuis janvier 2020, le poste de directrice générale de Sports en français, un organisme franco-manitobain qui dispose d’un double mandat : «le sport et unir la francophonie manitobaine». «On veut voir les francophones se rassembler autour du sport», indique Chantal Young.

La Fédération du sport francophone de l’Alberta offre des évènements sportifs et des animations aux jeunes francophones albertains. Crédit : Courtoisie FSFA

Sortir le français de l’école

«Nous, on veut pratiquer le français», assure Jean-Pierre Boué, qui a créé le club de soccer Franco Foot en 2007, à ce jour la seule section de l’Association sportive des francophones du Grand Toronto.

«Dans un pays comme le nôtre, la deuxième mission, en dehors de la mission sportive, c’est quand même de développer la langue française pour les francophones, poursuit-il. Une langue qui a des hauts et des bas. L’idée ce n’est pas de s’opposer aux anglophones ; c’est de permettre à tout le monde de parler français.»

Céline Dumay note par ailleurs que le contact avec la langue française dans la pratique sportive intéresse aussi des jeunes issus de foyers anglophones. «Des jeunes anglophones qui sont dans les écoles d’immersion et qui suivent des cours en français vont vouloir participer à des activités pour avoir des occasions de pratiquer leur français», relate Céline Dumay.

La tenue d’évènements en français ou à composante francophone devient une bonne occasion de promouvoir la pratique du sport dans la langue de Molière. Chantal Young a pu l’observer au Bonspiel de la francophonie manitobaine, le plus grand tournoi de curling annuel en français de la province, qui existe depuis 1972. 

«L’année dernière, il y avait une équipe nouvellement arrivée de la France avec deux jeunes enfants qui avaient autour de 12 ans, témoigne-t-elle. Les parents se sont lancés là-dedans avec leurs enfants et ils ont découvert un sport qu’ils ont beaucoup aimé.»

L’entraide entre les clubs sportifs est aussi importante pour faire la promotion de diverses activités.

«On est chanceux en Alberta parce qu’on collabore et qu’on peut promouvoir les services entre nous, se réjouit Julianna Damer, directrice générale de lAssociation la Girandole d’Edmonton, qui propose des cours de danse à une cinquantaine d’enfants cette année. C’est quelque chose d’important. Le plus de gens qui en parlent, le mieux c’est.»

Le plafond de verre du haut niveau

Cependant, un manque de communication entre les structures sportives peut constituer un frein important à la pratique, explique Céline Dumay. 

«On essaie de travailler avec le gouvernement de l’Alberta pour que tous les coachs soient répertoriés au niveau de la langue. Ça nous permettrait d’avoir une idée de combien d’entraineurs sont bilingues en Alberta. Pour le moment, ils sont enregistrés avec leur spécification, leur discipline, mais souvent on ne sait pas quelle langue ils parlent. Ils peuvent très bien être francophones sans qu’on le sache, et auraient la possibilité d’offrir leur cours en français.»

L’avancement à un niveau supérieur dans la pratique d’un sport peut cependant être limité en français, se désole Céline Dumay. «Si c’est au niveau communautaire, on a des options, mais dès qu’on va à un niveau plus élite, souvent ces jeunes-là se retrouvent à aller en anglais. Ils n’auront pas de possibilités en français.»

Jean-Pierre Boué a été témoin de cette fuite de talents juste avant la pandémie, alors que son équipe de jeunes obtenait de bons résultats. «On s’est dit qu’on allait prendre des jeunes qui vont devenir une équipe fanion [l’équipe principale du club, composée essentiellement d’adultes, NDLR], mais pas du tout. Ils sont partis à l’université, quelques fois en dehors du Canada. Ça n’a pas marché comme on le croyait.»

Il a donc décidé de relancer une équipe fanion avec l’espoir de pouvoir, un jour, reconstituer une équipe de jeunes francophones. «Ça viendra quand les parents auront l’habitude d’aller voir l’équipe fanion jouer et gagner. Ils viendront avec leurs enfants et ça donnera envie aux enfants de jouer», considère le Franco-Ontarien.

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).

Loin de ses origines dans les communautés noires aux États-Unis et de sa reprise au moment des mouvements Black Lives Matter, l’idée de demeurer en éveil, ou woke, a récemment reçu une connotation péjorative. Ce retournement de l’idée contre les demandes qui s’y rattachent n’est pas inoffensif ni innocent: il continue une tradition de racisme antinoir et de refus du démantèlement des structures qui portent ce racisme partout dans nos sociétés.

Francopresse – Jérôme Melançon

Le journaliste Elijah C. Watson décrit les origines du terme «woke» à Harlem, là où une renaissance spirituelle, artistique et politique avait lieu dans les années 1960. Cette renaissance, ou cet éveil, était une prise de conscience, mais également une célébration des personnes et communautés noires, et l’expression d’un amour pour celles-ci.

Être woke, c’est cette conscience; c’est aussi le fait pour les personnes noires de comprendre ce que leurs ancêtres ont vécu, l’histoire de l’esclavage et de leur résistance.

«Être woke, c’est cette conscience ; c’est aussi le fait pour les personnes noires de comprendre ce que leurs ancêtres ont vécu, l’histoire de l’esclavage et de leur résistance.»

C’est ce que l’autrice-compositrice-interprète Erykah Badu avait aussi en tête lorsqu’elle a enregistré la chanson «Master Teacher» de la musicienne Georgia Anne Muldrow, chantant «I stay woke» ou plus tard affichant son soutien au groupe russe dissident Pussy Riot.

Pour elle, être woke, c’est le désir et le besoin de rester éveillée à ce qui a lieu autour de soi afin de garder l’espoir, mais aussi d’éviter le pire des brutalités et violences dirigées contre le groupe auquel on appartient.

Le mot «woke» a également été repris par certaines figures du mouvement Black Lives Matter comme une manière d’encourager l’activisme malgré la répression policière du mouvement.

Retourner la critique contre elle-même

Comme Georgia Anne Muldrow l’explique à Watson, la plupart des gens qui sont wokes en ce sens ne se disent pas wokes. Il s’agit d’une aspiration plutôt que d’une identité ou sa défense.

À la suite de l’émergence des mouvements des communautés noires, l’idée d’une menace woke s’est étendue en réponse aux autres mouvements pour la justice sociale.

Les personnes aujourd’hui qualifiées de wokes par ceux et celles qui se présentent comme anti-wokes sont simplement des personnes qui critiquent différentes formes de discrimination et remettent ainsi en question l’ordre en place. Celles, autrement dit, qui refusent de rester à la place qui leur a été assignée.

L’usage actuel du mot «woke», et surtout lorsqu’il s’agit d’un supposé «wokisme», s’inscrit dans une longue lignée de retournement des discours critiques afin de les discréditer. Il s’accompagne souvent d’accusations de racisme anti-blanc, qui est une autre manière de reprendre et renverser les discours qui critiquent les structures sociales. Autant de manières d’ignorer la critique.

Ce retournement est particulièrement fréquent en relation aux idées et mouvements des Noirs, comme l’explique l’auteur Michael Harriot.

Ce dernier donne l’exemple de l’expression «Black Power» retournée en «White Power» et la création de mouvements pour empêcher le changement que les organisations noires cherchent à apporter.

C’est aussi ce qui a lieu lorsque des francophones (québécois, mais pas seulement) se défendent d’être racistes, comme l’explique le chercheur Philippe Néméh-Nombré: ils se montrent comme opprimés, reprennent les mots et la position des Noirs et des peuples autochtones pour faire valoir leur oppression, et cachent ou nient leurs propres manières d’opprimer autrui.

Une question de racisme systémique

Ces retournements et cet anti-wokisme sont évidemment différents des débats et des critiques à propos des stratégies à adopter.

La différence est que ces réactions aux critiques et aux revendications de personnes noires et de mouvements anti-racistes participent à une logique raciste, avant tout parce qu’elles servent explicitement à maintenir les structures du racisme qui sont critiquées et visées pour une transformation sociale.

Je fais référence ici au racisme systémique, celui qui dépasse les intentions et les actes individuels et dont les effets sont mesurables.

Les idées et les pratiques racistes sont présentes, imbriquées, reproduites dans les structures sociales tout comme dans les institutions comme les universités ou les hôpitaux.

Il est certainement possible d’agir pour éviter de les reproduire soi-même, mais cela n’empêche aucunement d’y être exposé constamment ni même d’y participer. Toute personne, peu importe sa position et sa manière d’être racialisée, cherchera une manière d’y répondre, ou non.

Reconduire ou combattre le racisme

Le racisme n’a pas à être présent dans les intentions ou à être explicite, en pleine conscience, pour passer dans nos gestes et paroles.

Les idées et les discours politiques ont une capacité à se détacher de leur point d’origine – ici, la réaction aux mouvements d’émancipation des Noirs – tout en se rattachant à d’autres questions et débats, à d’autres réalités vécues. Au final, il devient possible de se faire servir un discours politique sans en connaitre les dynamiques.

En adoptant un discours, nous jouons le jeu de ceux et celles qui l’ont élaboré – nous devenons leurs allié·es.

S’il y a un héritage des Lumières, héritage qu’on réclame souvent en dénonçant le wokisme, c’est bien celui d’examiner les idées avant de les adopter et d’examiner ses propres idées.

«S’il y a un héritage des Lumières, héritage qu’on réclame souvent en dénonçant le wokisme, c’est bien celui d’examiner les idées avant de les adopter et d’examiner ses propres idées.»

C’est d’ailleurs cette idée des Lumières qui est a été utilisée pour parler d’Erykah Badu en 2019 (il y est question directement d’enlightenment).

L’artiste elle-même explique que demeurer éveillée signifie pour elle : «porte attention à tout, ne t’appuie pas sur ta propre compréhension ou celle des autres, observe, évolue, élimine les choses qui n’évoluent plus.»

Cela n’a rien à voir avec le fait de juger les autres, même si elle-même accepte d’être critiquée et au besoin d’ajuster sa position, comme elle le fait dans l’entrevue en question.

Ce désir de porter un jugement, cette position moralisante, fait partie des premières étapes d’un éveil, mais n’en est pas le but.

Et pour Erykah Badu, l’idée d’un amour inconditionnel pour autrui permet d’écouter les critiques et de se critiquer soi-même, de trouver la différence entre ce qu’on veut continuer de penser et ce que l’on devrait repenser au nom de cet amour, de ce respect pour autrui.