le Mardi 23 avril 2024

Spécialiste de la politique canadienne et québécoise, Frédéric Boily est professeur titulaire au Campus Saint-Jean (Université de l’Alberta). Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages et de collectifs portant sur la droite, le conservatisme et le populisme. Il est aussi chercheur associé au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR).

Source : Presse de l’Université Laval

On a beaucoup dit que les résultats de l’élection étaient similaires à ceux de 2019. De manière générale, les mêmes dynamiques de fond se sont reproduites avec des variations régionales. D’une part, le Parti libéral du Canada a augmenté légèrement le nombre de ses députés à 159, mais il reste toujours derrière les conservateurs en ce qui concerne le nombre de suffrages exprimés avec 32, 6% contre 33, 7%. 

Ensuite, dans l’Ouest, les libéraux restent cantonnés dans les villes comme Winnipeg. Ces derniers devraient d’ailleurs prendre note que le pourcentage de voix obtenu par les néodémocrates est maintenant supérieur aussi bien en Saskatchewan qu’en Alberta. L’efficacité du vote libéral ne doit pas faire oublier ses faiblesses.

Pour l’Alberta, les deux gains libéraux permettent cependant à Justin Trudeau de se sortir d’une situation particulièrement embarrassante, celle de n’avoir pu nommer, en 2019, un ministre de l’Alberta (et de la Saskatchewan) à la table du cabinet. On se désole souvent du manque de pouvoir des ministres, ce qui est vrai, mais on se désole encore plus lorsqu’une province n’est pas représentée. Il vaut mieux en effet se retrouver avec des interlocuteurs élus par les électeurs de la province au Conseil des ministres qu’avec un représentant des Prairies (Jim Carr) comme c’était le cas en 2019. 

Quant aux conservateurs, la dernière semaine de la campagne aura été particulièrement éprouvante. Erin O’Toole n’avait certainement pas anticipé que celui que l’on présentait en 2019 comme l’homme fort de la droite, Jason Kenney, qui est maintenant le cancre de la famille conservatrice, vienne faire dérailler sa campagne. 

Sa gestion catastrophique de la pandémie et les mea culpa, qui auraient dû survenir au plus tard dans les premiers jours de septembre, donnaient un souffle nouveau à la critique libérale selon laquelle on ne pouvait décidemment pas faire confiance à Erin O’Toole. De, plus sa volte-face apportait du carburant supplémentaire au message de Maxime Bernier puisqu’il pouvait mettre dans le même sac Justin Trudeau, Erin O’Toole et Jason Kenney comme étant des partisans de l’autoritarisme sanitaire. 

Tétanisé, O’Toole s’est alors muré dans le silence alors, que se présenter avec Brian Mulroney a seulement eu pour effet de décevoir les élus conservateurs de l’ouest qui considèrent toujours que l’ex-premier ministre qui incarne le mieux la droite reste Stephen Harper.

Pour Jagmeet Singh, la campagne positive qu’il a menée ne lui pas donné les résultats escomptés, son parti continuant de faire du surplace. Il a bien fait lors des débats, mais le programme intitulé «Oser mieux» apparaissait bien trop irréaliste pour être adopté. Décidemment, le NPD n’arrive pas, y arrivera-t-il un jour?, à se défaire de l’image d’être seulement un groupe de pression ou une chambre de réflexion pour les libéraux.

Enfin, un mot sur la polarisation politique. Le Canada est-il aussi divisé que plusieurs observateurs le croient? Certains vont dire que le Canada n’est pas vraiment divisé car les consensus du pays sont tout aussi solides qu’ils ne l’étaient : les grands partis ne remettent pas en cause la nécessité de l’immigration et les relations entre les Francophones et les Anglophones, la fameuse question ayant fait tant couler d’encre et de pixels au débat anglais, n’a pas propulsé la campagne du Bloc québécois autant que son chef l’espérait. Et le consensus progressiste domine, pour autant qu’on additionne le pourcentage des voix des libéraux à celui des néodémocrates. Il y a du vrai dans cette lecture et le Canada n’est pas les États-Unis. 

Mais après avoir dit ça, encore faut-il ne pas minimiser les problèmes de division qui sont les nôtres dans l’Ouest du pays. D’abord, malgré les deux gains des libéraux à Edmonton et Calgary et les quelques sièges supplémentaires à Vancouver, la fracture, le mot n’est pas trop fort, entre les régions rurales et le monde urbain reste intacte dans l’Ouest. Avec l’appel de Maxime Bernier, cette rupture régionale est dopée par une dimension idéologique encore plus grande que la dernière fois avec la montée d’un discours antivaccin qui se double de menaces envers les responsables politiques et sanitaires. Surtout, personne ne sait dans quelle direction la pandémie évoluera et si les discours anti-mesures ne se métamorphoseront pas dans d’autres directions.