Crie, francophone, archéologue et artiste perleuse, Honey Constant est une jeune femme plus qu’inspirante. Originaire de la Première Nation de Sturgeon Lake en Saskatchewan, elle concilie à merveille travail, études et passetemps qui se rejoignent tous en un point névralgique : l’amour pour ses racines autochtones.
Marie-Lou Bernatchez – L’Eau vive
Honey Constant, 25 ans, a grandi principalement entre Saskatoon et Prince Albert et se définit comme une femme cri des Plaines du Nord, ou ninêhiyaw-iskwêw.
«Sturgeon Lake et sa région, c’est un mélange des grandes plaines et de la forêt boréale. Je suis à l’aise dans les bois d’épinettes et de pins gris comme je le suis dans les prairies et les terres plates», souligne-t-elle.
Diplômée d’archéologie de l’Université de la Saskatchewan, la jeune femme multiplie les passions. L’une d’entre elles est l’art du perlage. L’odeur nostalgique d’une peau d’orignal, la douce lueur de la lampe et des perles à perte de vue marquent ses premières rencontres avec cet art ancestral.
«Je me souviens avoir passé les vacances d’été avec mes grands-parents, nohkom et mosôm, à Sturgeon Lake et avoir regardé mon nohkom, ma maman et ma défunte tante assis à la table de la cuisine à travailler sur leur projet. J’avais environ six ans et je commençais à me familiariser avec les grosses perles et les cure-pipes qu’ils me donnaient», se remémore-t-elle.
Honey Constant se dit chanceuse d’avoir été entourée d’une famille talentueuse et artistique. «Ma mère a commencé à m’aider à apprendre à faire des boucles d’oreilles avec des épines de porc-épic lorsque j’étais au secondaire», illustre-t-elle.
À partir de 2019, la jeune artiste commence à perler régulièrement, presque tous les jours. «J’ai rencontré Randi Lynn Nanemahoo-Candline et Keith Sangrey Sunchild [des collègues de travail] au parc Wanuskewin, où je travaille comme guide d’interprétation et ils m’ont aidée à m’améliorer dans mon art. J’adore l’utilisation des couleurs de Randi et la fluidité du travail des lignes de Keith», dit-elle.
Sa passion pour le perlage est devenue virale lorsqu’elle a créé son compte Instagram «Honey Willow Creations». «Maintenant, je suis presque à 1 000 followers et cela me semble fou. Je suis très honorée et heureuse de faire de l’art que les gens aiment et veulent acheter», partage-t-elle.
«Pour moi, perler ressemble à une méditation. On m’a appris que lorsque vous créez des choses comme des perles ou même lorsque vous préparez un repas, vous devez mettre de bonnes intentions et de bonnes pensées dans le monde pendant que vous préparez et créez», rapporte Honey Constant.
La jeune femme explique ainsi qu’elle doit se trouver dans un état d’esprit positif lorsqu’elle crée des bijoux.
«Si je les porte ou si quelqu’un d’autre les porte, cette énergie est attirée et affecte la personne. Alors, quand je perle, j’ai besoin d’être d’humeur à mettre de bonnes pensées et intentions dans le monde. Cela m’a aidée à certaines périodes où la vie était difficile et en particulier pendant cette pandémie», confie-t-elle, affirmant pouvoir créer pendant des heures sans s’arrêter.
L’environnement est une grande source d’inspiration pour Honey Constant. Les couleurs chaudes et le crocus des prairies lui sont particulièrement stimulants : «Dans ma langue, nous appelons le crocus “le nombril de bison”. Tout dans la création a une histoire et un sens. Mon esprit a très tôt été attiré par le feu et cela influence beaucoup mon art. J’aime observer le monde qui m’entoure et créer des perles à partir de la nature.»
Le perlage demande beaucoup de patience et de précision. Les colliers peuvent prendre entre deux et six heures à fabriquer et les douleurs aux doigts et au cou sont courantes. «Perler tous les jours pendant près de deux ans vous aide à progresser!», s’exclame-t-elle.
En tant que femme crie des Plaines, Honey Constant parle et continue d’apprendre sa langue autochtone, le cri des Plaines, aussi appelé «le dialecte en y», l’une des cinq variantes présentes au Canada.
Le français lui a été enseigné en écoles d’immersion de la maternelle à la 8e année. «Quand j’étais plus jeune, j’étais la seule à parler français dans ma famille. Ma mère m’avait dit que mon oncle Jonathan le parlait aussi et que c’était un gars plutôt cool», lance-t-elle en riant.
Malgré tout, cette dernière s’est davantage concentrée sur la langue crie au secondaire. «Quand j’essaye de parler nêhiyawêwin [cri] et que je ne me souviens plus d’un mot, je finis par insérer un mot français à la place! C’est un fouillis parfois dans mon cerveau! Mais j’ai beaucoup de chance de grandir avec trois langues», explique-t-elle, comptant bien sûr aussi l’anglais.
Honey Constant travaille actuellement sur sa thèse de maitrise en archéologie à l’Université de la Saskatchewan, ayant choisi pour thème «la conception d’interprétation archéologique et la perspective autochtone».
Elle travaille aussi comme guide d’interprétation principale au parc Wanuskewin Heritage, à 10 km au nord de Saskatoon, «un lieu de rassemblement pour les peuples autochtones des Plaines du nord depuis 6 000 ans», souligne-t-elle.
La jeune femme se dit chanceuse d’avoir un travail en lien avec sa culture et son diplôme. «Je suis passionnée par ma culture nêhiyaw et j’explore comment l’archéologie peut avoir un impact sur l’éducation et la réconciliation avec nous-mêmes et les autres. Au secondaire, je savais que je voulais protéger les droits, les pratiques et la culture autochtones», explique-t-elle, passionnée.
Continuer sa maitrise, partager sa culture et son histoire est son ambition pour les deux prochaines années, mais Honey Constant reste ouverte à tout ce qui croise son chemin. D’ailleurs, il n’y a pas de traduction pour le mot «adieu» en cri.
«Il y a toujours une chance qu’on recroise une personne un jour, alors nous disons mwêstas, ce qui signifie “à plus tard”!»
«J’écrivais ; maintenant, je suis écrivain.» Voilà comment un auteur récemment publié par les Éditions de la nouvelle plume (ÉNP) résume son expérience avec la maison d’édition fransaskoise. À travers la publication d’auteurs de l’Ouest et du Nord canadiens, les ÉNP donnent ainsi une voix à un monde littéraire autrement inconnu.
Sarah Vennes-Ouellet – L’Eau vive
Les ÉNP offrent aux Fransaskois des romans, des recueils de poèmes et d’autres ouvrages en tous genres depuis 1984. En 37 ans de travail largement accompli par des bénévoles, la maison d’édition a pris son envol pour devenir la voix d’auteurs francophones à l’ouest de l’Ontario.
Plusieurs Fransaskois ont atteint le statut d’auteur grâce aux ÉNP, mais le mandat de la maison d’édition dépasse largement les frontières de la province. Selon Laurier Gareau, président des ÉNP, 40 à 50 % des auteurs sont issus des régions de l’Ouest et du Nord canadiens.
Bien qu’ayant pignon sur rue à Regina, les ÉNP ont pour mandat de publier des auteurs soit de l’Ouest canadien, soit qui traitent de la réalité de cette région.
«Comme les autres maisons d’édition de l’Ouest canadien [les Éditions du Blé et les Éditions des Plaines à Winnipeg, et les Éditions du Pacifique nord-ouest à Vancouver], nous avons le mandat de publier des auteurs de l’Ouest et du Nord canadiens, explique Laurier Gareau. Notre rôle est de donner une voix aux auteurs francophones de l’Ouest et du Nord qui ne seraient peut-être jamais publiés ailleurs.»
À titre d’exemple, le président des ÉNP se dit fier de publier cette année un auteur du Yukon, une traduction autochtone d’un auteur des Territoires du Nord-Ouest et une auteure du Manitoba.
«Nous voyons l’importance de faire découvrir une littérature francophone de l’Ouest et du Nord, résume-t-il. Tous ces auteurs contribuent au développement de cette grande communauté francophone que j’ai toujours perçue comme une seule entité, avec des liens communs, mais aussi des différences culturelles et linguistiques.»
Katarina Fasiangova, coordonnatrice de projets aux ÉNP, décrit le processus de sélection des manuscrits : «La présélection est faite par notre conseil d’administration qui sélectionne entre six et huit manuscrits par an. Ensuite, des comités de lecture sont établis pour évaluer les manuscrits. Ils remplissent un formulaire assez détaillé pour recommander ou non un manuscrit pour la publication. On en sélectionne finalement quatre.»
Après avoir été choisi, l’auteur est accompagné d’un éditeur pour entamer les processus de révision, d’impression et de promotion.
«Un livre d’un auteur yukonais est aussi important qu’un livre d’un auteur fransaskois» tient à souligner Laurier Gareau. Les écrivains hors Saskatchewan ont certes besoin des ÉNP, mais les ÉNP ont tout autant besoin de ces auteurs pour accomplir leur mandat.
«Les Éditions de la nouvelle plume ne pourraient pas survivre en publiant uniquement des auteurs fransaskois, confie le porte-parole. C’est une réalité qui est reconnue par l’un de nos principaux bailleurs de fonds, Creative Saskatchewan.»
Les deux publications les plus récentes des ÉNP sont Tu m’appartiens de l’auteure franco-manitobaine Margot Joli et Le boutte de la route du Franco-Yukonais Yves Lafond, toutes deux parues en avril dernier.
Margot Joli en est à sa deuxième publication avec les ÉNP. Pour son premier roman policier Le Fruit de la haine, cette dernière avait approché les éditeurs hors Québec et envoyé son manuscrit à chacun d’entre eux : «Les Éditions de la nouvelle plume ont été la première maison d’édition à accuser réception de mon texte et à me donner une réponse affirmative», se souvient-elle.
La relation avec les ÉNP s’est avérée importante pour sa carrière émergente d’écrivaine. «J’ai appris à mieux présenter mes idées et à les exprimer. À la suite de la publication de mon premier livre, j’étais plus encouragée à continuer d’écrire. C’est grâce à l’appui et à l’encouragement que j’ai reçus de cette maison d’édition que mon deuxième roman Tu m’appartiens vient d’être lancé», perçoit-elle.
Le boutte de la route est quant à lui le premier livre d’Yves Lafond. Angoissé par certaines pratiques dans le domaine de l’édition, ce camionneur des routes du Nord a demandé l’aide d’une agente littéraire.
«Négocier un premier contrat avait de quoi faire dresser d’angoisse mes cheveux sur la tête. Apparemment, certaines grandes maisons d’édition te signent pour te laisser ensuite t’empoussiérer pour la seule et unique raison de ne pas te voir aboutir dans la compétition. Il y a toutes sortes d’histoires de ce genre pour un écrivain débutant, ignoré au profit de ceux de renom», dit-il.
Ces peurs ont rapidement été abandonnées grâce aux ÉNP. «Avant même la signature du contrat, on a écrit à mon agent littéraire pour signaler l’intérêt et assurer un suivi dans le processus de sélection. S’ensuivit la signature avec Laurier Gareau m’expliquant les pourquoi du comment de l’intérêt autant artistique que stratégique. Ce sentiment d’épaulement ne se limita pas à la correction avec Martine Noël-Maw. Je fus à même de constater ses grandes connaissances littéraires, surtout en ce qui a trait au français canadien. Toute l’équipe m’a fait me sentir important. C’était très agréable. Depuis la sortie de mon livre, je collabore avec Katarina Fasiangova aux relations publiques. Là encore, je ne peux qu’exprimer une grande satisfaction et surtout un grand sentiment de sécurité», témoigne le nouvel auteur.
Marie-Pierre Laëns, l’agente littéraire d’Yves Lafond, a délibérément choisi les ÉNP pour son client.
«La résonance particulière du manuscrit d’Yves Lafond était davantage susceptible d’intéresser un éditeur francophone en milieu anglophone, un éditeur dont le regard se porte sur les Plaines et l’Ouest canadien, un éditeur capable de saisir comment la nature, le rythme de la vie au Yukon, le parler des truckers et des Yukonais animent ce si beau livre. Bref, il fallait que deux sensibilités coïncident, celle de l’auteur et celle de l’éditeur. Cela revient toujours à ça, en premier lieu.»
Le boutte de la route constitue la première occasion de l’agente de collaborer avec les ÉNP. Elle en avait déjà entendu parler et la maison d’édition s’est révélée à la hauteur de sa réputation.
«Monsieur Gareau a abordé le moment de la négociation du contrat d’édition dans le même esprit que le mien : équité et respect», se réjouit-elle.
L’impact des ÉNP sur la carrière d’écrivain d’Yves Lafond est profond : «Je constate que grâce aux ÉNP, j’apprends doucement et en confiance les rouages techniques de cette industrie, ce qui à mon avis est aussi important que l’œuvre elle-même. Avant la nouvelle plume, j’écrivais. Maintenant je suis écrivain.»