le Samedi 20 avril 2024

Markoosie Patsauq (1941-2020) a publié le roman Chasseur au harpon en trois volets, entre 1969 et 1970, dans les pages de l’Inuktitut Magazine.

La version que j’ai lue est la première traduction rigoureuse en français d’Uumajursiutik unaatuinnamut, établie par Valérie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu. Auparavant, les versions françaises étaient faites à partir de la traduction-adaptation anglaise.

Chasseur au harpon, le premier roman en inuktitut

Chasseur au harpon est considéré comme le premier roman en inuktitut jamais publié.

Grâce à ce livre qui a grandement contribué à l’essor de la littérature autochtone au Canada, Markoosie Patsauq plonge dans la réalité d’une communauté du Haut-Arctique encore préservée de l’intrusion de la modernité où la coopération et la vigilance sont les seuls gages de survie.

Il faut savoir que, en 1953, le gouvernement fédéral était déterminé à renforcer sa souveraineté sur le Haut-Arctique. Outre une présence militaire et policière, le Canada avait besoin d’y installer des gens.

La GRC a contraint des centaines de résidents d’Inukjuak, sur la côte est de la baie d’Hudson, dans le nord du Québec, à se relocaliser à Resolute, dans le Haut-Arctique, soit plus de 1500 kilomètres au Nord-Ouest.

Dangereuse traque d’un ours blanc

À travers la traque symbolique d’un ours blanc et le dur apprentissage d’un jeune garçon, le roman met en scène le combat immémorial que ces hommes et ces femmes doivent livrer pour survivre. «Je peux mourir aujourd’hui même. Je ne vivrai peut-être plus demain.»

Markoosie Patsauq écrit que «la chasse à l’ours est la plus exigeante de toutes. Parfois, si un ours est arrêté par les chiens, il peut les tuer. Parfois aussi, il peut tuer un homme. Les ours blancs sont terribles. On les chasse malgré tout, car il n’y a pas le choix. Ils donnent de la nourriture et des vêtements».

Publié aux Éditions du Boréal, l’ouvrage comprend 128 pages, mais le roman Chasseur au harpon proprement dit n’occupe que 74 pages.

La postface de l’auteur et la note des deux traducteurs regorgent de renseignements fort intéressants. On y apprend que Marc-Antoine Mahieu a passé du temps avec l’auteur à Inukjuak en 2017, et qu’il a pu profiter des souvenirs de Patsauq, de même que de précisions sur de nombreux termes et expressions du manuscrit en inuktitut.

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Récit d’évènements réels

Valérie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu notent que, dans le titre de leur traduction, ils ont décidé d’adapter de manière très littérale les deux syntagmes nominaux Uumajursiutik unaatuinnamut et Maakusiup unikkaatuangit qui signifient «Celui-qui-traque-les-animaux avec-son-seul-harpon, récits-de-belle-longueur-de Markoosie».

Le choix du terme unikkaatuaq par l’auteur de Chasseur au harpon indique qu’il ne s’agit pas d’un mythe, d’une légende ou d’un récit totalement fictif. Le terme renvoie ici à un récit d’évènements qui ont eu lieu, semble-t-il, dans un passé non mythique.

Auteur bilingue, Markoosie Patsauq a lui-même traduit ses Récits-de-belle-longueur en anglais. «Les deux textes n’en demeurent pas moins asymétriques, chacun possédant ses propres valences, tant les dynamiques d’usage diffèrent selon qu’il s’agit de la langue dominée ou de la langue dominante.»

Chasseur au harpon : un style direct

Chasseur au harpon est l’adaptation anglaise Harpoon of the Hunter qui a fait connaitre Markoosie Patsauq à l’extérieur de sa communauté.

Or, «le langage employé dans l’adaptation est empli de fioritures, de qualifications enfantines et de dramatisations excessives totalement étrangères au texte original en inuktitut, son style direct se démarque radicalement et en fait une histoire sans doute bien meilleure que son adaptation.»

Chasseur au harpon est considéré comme le premier roman écrit en inuktitut et comme l’un des textes fondateurs de la littérature autochtone au Canada.