le Lundi 22 Décembre 2025
le Lundi 22 Décembre 2025 15:47 Chronique «Culturelle»

L’opéra pour tous? Bien sûr!

Carmen et Don José réunis. Photo : Florida Grand Opera, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons — Carmen et Don José réunis. Photo : Florida Grand Opera, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons
Carmen et Don José réunis. Photo : Florida Grand Opera, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons
Carmen et Don José réunis. Photo : Florida Grand Opera, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Il est de tous les styles d’art vivant dans une classe à part. Élitiste, suranné, il s'éloignait des tendances actuelles et de ce que l’on peut voir sur scène. Pourtant, de jeunes artistes osent aujourd’hui lui redonner sa place d’honneur.

L’opéra pour tous? Bien sûr!
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Originaire de France, Denis-Daniel Boullé est journaliste et chroniqueur depuis 30 ans au magazine Fugues au Québec. Outre les arts et les spectacles, il couvre aussi l’actualité sociopolitique.

Ils et elles n’hésitent plus à plonger dans l’immense vivier (un répertoire de plus 6 000 œuvres) pour faire découvrir ou redécouvrir des perles et les dépoussiérer par des mises en scène audacieuses se servant de la technologie sans pour autant changer la musique et les livrets. Et surtout le rendre accessible à un très large public.

Par son histoire, l’opéra a souffert pendant des siècles d’être réservé dans un premier temps à l’aristocratie, puis à la très grande bourgeoisie. Pour cette dernière, l’exercice n’était pas dans un amour du chant, mais plutôt l’occasion de se faire voir dans des toilettes somptueuses. 

De leur côté, les compositeurs n’ont cessé d’exceller dans la recherche plus formelle pour mettre la voix en valeur comme l’expression ultime (et sublime pour certains) des émotions et de leur large spectre – de la douleur à la joie, du chagrin à la peine et, bien sûr, du sentiment amoureux – souvent poussées à l’extrême. 

Pourtant, la publicité, tout comme le cinéma, a utilisé des airs d’opéra, des arias, et tout le monde en a déjà entendu et même retenu. Ces courts extraits se sont inscrits dans notre mémoire même si le plus souvent nous ne savons pas le nom de l’œuvre dont ils sont tirés, et encore moins celui du compositeur. 

L’histoire et les histoires…

La définition la plus simple de l’opéra se retrouve dans son histoire même. Né en Italie au 17e siècle, l’opéra est une forme des arts lyriques ayant pour but une œuvre musicale et théâtrale, chantée et parfois dansée. 

Les premiers compositeurs voulaient rendre accessible l’art lyrique en s’attachant à ce que la musique reflète la signification des textes presque mot à mot et ne soit plus qu’un exercice de style parfois trop ardu pour les profanes. 

Pour celles et ceux qui considèrent que l’opéra ne représente que des drames où l’héroïne meurt dans de longues souffrances, accompagnées de lamentations chantées, il existe différents registres et qui se développent en parallèle, et ce, dès la naissance des premiers opéras. 

On parle alors d’opéras tragiques, romantiques, mais aussi d’opéras-comiques, d’opéras bouffes ou encore de tragi-comédies, il y en a pour tous les goûts, et les frontières entre les genres sont très poreuses, tout comme les musiques, renaissance, puis baroque, classique, romantique et enfin dite contemporaine. 

Pour commencer, s’essayer avec la Flûte enchantée de Mozart (création en 1791). Le livret est en allemand avec la volonté de s’adresser à la population, rompant avec la tradition des livrets en italien. Comme beaucoup d’intrigues que l’on retrouve dans les opéras de l’époque, les rebondissements se succèdent jusqu’à un dénouement heureux. Ici, un prince égaré, Tamino, attaqué par un serpent est sauvé par les dames d’honneur de la Reine de la nuit. Celle-ci a une fille, Pamina, qui est prisonnière qu’elle promet à Tamino s’il la délivre. Tamino devra subir des épreuves, en compagnie de Papageno, un oiseleur amoureux, de son côté, de Papagena. Le duo à la fin de l’acte de trois est absolument savoureux. Un opéra qui s’adresse aussi bien aux enfants qu’aux adultes. Dès sa création, les effets techniques nombreux permettaient de créer un décor fantastique, propre aux légendes et à la quête d’un héros. 

Les opéras de Mozart sont peut-être les plus accessibles pour s’initier à l’univers opératique. Il en est ainsi avec Don Giovanni, que Mozart désignait comme une tragi-comédie (création en 1787). L’histoire est simple, Don Giovanni est un séducteur invétéré, on dirait aujourd’hui un prédateur, qui délaisse ses conquêtes une fois séduites. Il tue le père d’une d’entre elles et tente d’échapper à la justice. Pourtant, à la toute fin, il est invité par le fantôme du père (le commandeur) à dîner pour se repentir. Don Giovanni accepte l’invitation, mais refuse de se repentir. Les mises en scène actuelles transposent Don Giovanni dans des univers contemporains. Le metteur en scène anglais, Robert Icke, a même situé l’action dans une station de métro londonien (création pour le Festival d’Aix-en-Provence, en 2025). 

Qui ne connaît pas Carmen? Une adaptation d’une nouvelle de Prosper Mérimée mis en musique par Georges Bizet (création en 1875). Considéré comme un opéra-comique, Carmen est plus un mélodrame aux accents tragiques. À Séville, au début du 19e siècle, Don José est un Dragon (un soldat) qui tombe en amour avec Carmen, ouvrière d’une manufacture de tabac. Pour l’amour de la belle, Don José se retrouvera même en prison et se liera avec des contrebandiers. De son côté, Carmen a un autre prétendant, un torero nommé Escamillo et dont on loue les victoires. À la fin de l’acte IV, Don José, éperdument amoureux et jaloux, poignarde Escamillo avant de se rendre. 

L’opéra bouffe va connaître un grand succès à la fin du 19e siècle. L’un des compositeurs les plus connus est Jacques Offenbach qui, sur les livrets de Henri Meilhac et Ludovic Halévy (qui ont signé aussi le livret de Carmen), propose deux opéras bouffes complètement délirants : La Belle Hélène en 1864 et La Vie parisienne en 1866. Dans le premier, on retrouve l’histoire d’Hélène de Sparte, enlevée par Pâris, fils du roi de Troie, déguisé en berger. Les dieux sont ridiculisés, l’époux d’Hélène et roi de Sparte caricaturé en un homme stupide et aveugle. Une très drôle mise en scène de Laurent Pelly, à Paris, en 2000, avec l’incroyable Felicity Lott dans le rôle d’Hélène, situe l’action, entre autres, sur une plage d’une station balnéaire grecque. On s’amuse d’un bout à l’autre de la captation que l’on peut retrouver sur certains sites. La Belle Hélène est l’un des opéras les plus joués. La Vie parisienne s’inscrit dans la lignée de La Belle Hélène, deux hommes délaissés par la même maîtresse tentent leur chance auprès de femmes du monde. S’ajoute l’arrivée d’un Brésilien venu dépenser son argent dans les folles nuits parisiennes de l’époque. Les rebondissements sont nombreux, comiques, les quiproquos se multiplient et certaines scènes complètement surréalistes. 

L’opéra baroque peut être rébarbatif. Les histoires et les airs composés n’ont qu’un prétexte : mettre en valeur les voix, dont celles des contreténors en vogue à l’époque en raison de l’interdiction pour elles de se retrouver sur une scène dans certains pays. Les contreténors chantent alors les rôles des personnages féminins. Les narratifs s’inspiraient souvent de la mythologie et les librettistes en prenaient souvent à leur aise avec l’histoire. Aujourd’hui, plusieurs metteurs en scène et spécialistes de la musique baroque tentent de remettre à l’honneur l’opéra baroque en dépoussiérant les anciennes mises en scène, en situant l’action dans des temps et des lieux complètement improbables. Ainsi, en 2024, alors que Paris accueillait les Jeux olympiques, Alexandre Daumas a choisi de monter Olimpiade de Vivaldi (création en 1734). Le décor, un vestiaire de stade, où les protagonistes joueront, chanteront et danseront dans des vêtements de sport, genre body. L’intrigue est légère. Un athlète, Licida, demande à un ami de le remplacer dans des compétitions sportives. Le vainqueur remportera la main de la fille du roi dont Licida est amoureux. Une rupture saisissante entre la musique et le livret et l’univers représenté. Le contreténor Jakub Józef Orliński, qui est aussi breakdancer de haut niveau, interprète magistralement l’athlète Licida. L’opéra se termine bien, même si Licida n’obtient pas la main de sa bien-aimée, car grâce à un coup de théâtre totalement imprévu, alors qu’il est condamné à mort, on découvre qu’il est le fils du roi et donc le frère de celle qu’il aime. 

Réalisme, onirisme, drame, tragédies, des rires, et des larmes, et le tout porté par des voix où des hommes et des femmes rivalisent dans la maîtrise de la voix, en explorent tous les registres. Les voix deviennent l’outil le plus parfait pour nous faire ressentir les émotions dans leur plus grande pureté. La séduction alors opère et nous donne le goût de nous plonger dans cet art vivant qui s’adresse à tout le monde.

Glossaire – Livret :  texte littéraire d’une œuvre lyrique