Étienne Haché est philosophe et professeur de Lettres/Philosophie.
Il y a tant de choses à dire au sujet de ce petit bijou local et communautaire. Je dis «petit» alors que ce journal est grand en réalité. Il est à la hauteur des attentes du public franco-albertain et au-delà, de la francophonie canadienne. Donc, mis à part le lecteur, pas de compte à rendre pour assurer sa continuité. C’est l’essence même d’un journal. Il ne lui manque que du financement, problématique qui ne doit pas, par ailleurs, être l’objet d’un chantage éditorial.
Un journal d’exception
Le Franco est non seulement fait de nouvelles et d’événements originaux, mais il est constitué d’histoires réfléchies. Plus que réfléchi, le journal possède une composante philosophique. Je sais que ce terme peut être un repoussoir. Mais si j’entends par là davantage qu’un mouvement de pensée — que, par ailleurs, au nom de la liberté d’expression et du pluralisme, un journal se doit de soutenir —, cela changerait-il quelque chose? En effet, dans Le Franco, il est également question de culture, d’art, d’économie, d’environnement, de politique, de géopolitique, bref, de notre condition humaine s’exprimant entre l’idéal et le réel.
Au cours de son histoire et tout particulièrement lors de la dernière année, Le Franco a traversé des misères. Mais il n’est pas mort. Déjà avec son ancien directeur, Simon-Pierre Poulin, dont je salue la contribution au passage, il a fait peau neuve. Progressivement, par son mode de présentation, le journal est devenu tout à fait exceptionnel au sein de la francophonie canadienne. Ainsi, le retour prochainement au format papier permettra au lecteur, je l’espère, de contribuer plus fortement à la survivance du journal. La visibilité et la tangibilité du journal sont un besoin réciproque dans la mesure où l’essor de la communauté franco-albertaine en dépend.
Une institution ouverte sur le monde
Plus généralement, un journal, c’est une institution à laquelle nous nous référons, et ce, même davantage qu’à nos institutions politiques courantes. C’est une institution d’opinions publiques qui nous représente, qui traduit en pensée et en actes ce que nous sommes. Autant dire qu’un journal est l’instrument communautaire par excellence par lequel nous nous reflétons et projetons. Le journal, en l’occurrence Le Franco, est à ce titre une composante culturelle d’expression identitaire incontournable. Impossible de sous-estimer la dimension existentielle du journal dans la vie d’un peuple, d’une communauté soucieuse de préserver sa langue, son histoire et ses valeurs.
Il n’aura échappé à personne qu’un journal a aussi besoin d’un contenu afin de répondre à tous ces besoins. Outre le fait qu’il permet de développer un sentiment d’appartenance, il n’est pas interdit cependant de faire preuve d’audace, d’inventivité et de créativité. Bien au contraire. Comme je l’ai souligné auparavant, les efforts déployés ces derniers mois offrent un excellent aperçu de ce que doit être Le Franco : représentatif des quatre coins de l’Alberta; mettant en évidence une relève extrêmement dynamique, Kaylie en est la preuve; qui plus est transculturel — regroupant des identités de langue française du Québec, de l’Ontario, de l’Acadie, du continent africain, de l’Europe au sein de la sphère franco-albertaine; couvrant une variété de sujets; soucieux du respect du lecteur jusqu’à la dernière ligne; et surtout faisant preuve d’un esprit critique dans un univers mondialisé, mais qui tend malheureusement de plus en plus à se refermer sur lui-même, avec pour seule logique la pensée unique.
Le combat politique
Le Franco est tout cela à la fois… Une institution d’opinions publiques, certes, mais par-dessus tout, par-delà son caractère communautaire, il est aussi une institution politique qui épouse les revendications et les ambitions de la sphère franco-albertaine. On a pu apprécier son rôle de premier plan notamment dans le dossier concernant l’avenir du Campus Saint-Jean, ainsi qu’au sujet du projet de réforme des langues officielles ou encore dans celui du nouveau curriculum proposé par le ministère de l’Éducation de l’Alberta dans l’enseignement primaire. Autant qu’il me soit permis d’en juger, L’Acadie Nouvelle ou encore Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, Le Droit, La Liberté, L’Express de Toronto, tous ces journaux locaux francophones hors Québec mènent un combat similaire, animé par un militantisme politique bien raisonné.
Ainsi, plutôt que de s’en offusquer, d’y voir de la partisanerie, des conflits d’intérêts, arrêtons de rechercher le diable dans les détails et saluons plutôt ce privilège d’avoir à portée de main un média écrit tel que Le Franco pour la défense de nos droits et libertés. Ce réalisme est d’autant plus valable que la globalisation et l’homogénéisation ont pénétré jusqu’aux pensées. De nos jours, les grands journaux font partie d’un vaste conglomérat souvent dirigé par un seul homme, capable de nommer à la tête d’un journal un idéologue avec des convictions personnelles situées à mille lieues de l’intérêt général; un homme dont nous ne suspectons pas suffisamment malheureusement les intentions les plus diaboliques et la tentation de céder à des orientations politiques extrêmes.
Le meilleur des mondes
À l’heure où tout paraît se jouer sur les réseaux sociaux, nouveau lieu des prophéties, de la nouvelle ignorance, du journalisme amateur et des fausses nouvelles, l’annonce du retour en force du journal Le Franco à l’édition papier est incontestablement la plus grande, sinon l’une des meilleures nouvelles de l’année 2023 en Alberta et au sein de la francophonie canadienne hors Québec. Une bonne nouvelle, originale, réfléchie, philosophique. C’était aussi sans doute la meilleure réponse aux rumeurs propagées ici et là de la mort du journal.
En réalité, le retour au format papier est le choix le plus inactuel qu’ait pu faire l’équipe du journal et le comité chargé de relancer l’institution vieille de plus d’un siècle, avec à sa tête, un ancien dignitaire et directeur du journal pendant quelques années, Étienne Alary. Un choix inactuel au regard de l’étourderie ambiante… Mais en réalité plus actuel que jamais. C’était l’unique option si nous souhaitions éviter le conformisme et l’effet de mode consistant à tout balancer sur un site Internet… On a maintenant la certitude que dans l’Ouest on réfléchit et qu’on ne se contente pas de demi-mesures. On pourra ainsi nous regarder et apprécier notre sortie de crise comme des individus émancipés et capables de prendre les bonnes décisions; capables d’agir sans perdre de vue l’intérêt premier du journal, à savoir : informer la communauté, nourrir la réflexion, développer l’esprit critique.
Projets d’avenir…
J’ai parlé de l’importance des contenus susceptibles de faire du Franco un journal de qualité et, pourquoi pas, un exemple que d’autres journaux régionaux pourraient suivre. Mis à part le format qui est une réussite et qui permet au journal de se distinguer, il ne m’appartient pas de spécifier le type de contenu du journal et je n’ai pas l’ambition non plus de proposer une grille de lecture normative. Mon rôle est celui d’un chroniqueur. Je ne peux donc parler que pour ma chapelle.
Or, à ce titre, j’aimerais vous faire part de quelques projets en cours. Ma prochaine chronique va poursuivre une réflexion sur les limites de la pensée rationnelle. Ce qui me semble être en parfaite adéquation avec cet amour du bien commun que représente Le Franco. Un autre dossier auquel j’attache beaucoup d’importance, c’est la pauvreté. Une chronique en deux parties ferait l’affaire. Nous voilà ainsi rendus fin septembre début octobre. Outre certains sujets d’actualité auxquels la rédaction pourrait me demander de m’ajuster, j’aimerais aussi proposer une réflexion originale, dépourvue d’effets de mode, sur la condition autochtone. Voilà un avant-goût de quelques-unes de mes chroniques jusqu’en décembre 2023.
D’ici là, bonne rentrée à tous et longue vie à notre journal!
Glossaire – Conformisme : Comportement et prise de décision adaptés à la norme dictée par l’ensemble