le Vendredi 15 août 2025
le Vendredi 15 août 2025 11:15 Chronique «esprit critique»

Contrastes et similitudes

Le 15 août, temps de réflexion et d’ascension spirituelle, approche. Il est fêté en Acadie comme en Espagne. Photo : Frédérick Audet
Le 15 août, temps de réflexion et d’ascension spirituelle, approche. Il est fêté en Acadie comme en Espagne. Photo : Frédérick Audet
Me revoilà en ce mois d’août installé sur les hauteurs de Cumbre del Sol, une belle petite station balnéaire située à Benitatxell dans la communauté valencienne de la province d’Alicante. L’Espagne m’a déjà inspiré par le passé deux chroniques pour le compte du Franco.
Contrastes et similitudes
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Vous vous souvenez peut-être que j’adore le silence qui règne ici, surtout à partir de 5h du matin. Moment idéal pour écrire et méditer, où l’aube, l’aurore, le ciel et les nuages reflètent à la surface de la Méditerranée. Je trouve ici l’inspiration pour exprimer mes pensées et mes états d’âme.

Le contraste est assez saisissant toutefois avec mon Acadie natale où j’ai passé une bonne partie du mois de juillet. La Méditerranée espagnole est bordée par d’immenses falaises et des forêts de pins, qui descendent parfois jusqu’à la côte. À Benitaxtell, envahie par les touristes et les retraités du nord de l’Europe, principalement de Belgique, de Hollande et d’Angleterre, le décor va bien au-delà de la simple esthétique; il respire le luxe, un certain raffinement, voire une forme d’opulence et d’insouciance. 

L‘Atlantique canadien et tout particulièrement le littoral acadien du Nouveau-Brunswick ne sont pas aussi touristiques qu’ici. Certes, ils regorgent de résidences et de chalets en bordure de mer, mais l’ensemble du territoire est surtout ceinturé par d’immenses forêts de sapins. On y trouve également une faune et une flore resplendissantes — où le Pluvier siffleur peut féconder et prospérer, mais pour combien de temps encore? —, ainsi qu’une nature animale omniprésente (ours noir, orignal, chevreuil, coyote, renard, etc.) et des plages sauvages infinies. C’est là, à mes yeux, la vraie richesse de mon pays et de ma région natale, la péninsule acadienne.

Les effets de la colonisation économique

J’imagine bien le lecteur me demander : «Quel endroit préférez-vous?». En aucun cas, je ne voudrais choisir. L’Espagnol de la classe moyenne ne bénéficie pas toujours de la richesse générée par l’industrie touristique de son pays, et ce, malgré le coût de la vie qui est moins élevé qu’ailleurs en Europe et une économie post-COVID très florissante. Celui-ci ne dispose pas non plus d’énormes périodes de vacances, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, notamment la France. En dépit de l’évolution des mœurs, l’esprit espagnol reste encore assez centré sur la famille, la religion et le travail. On doit réussir sa vie et assurer le confort des siens. 

Tout comme la société espagnole, la culture acadienne se modernise; elle se développe et se transforme au contact de l’économie de marché, de l’innovation et, phénomène beaucoup plus récent qu’en Espagne, d’une main-d’œuvre issue de l’immigration. Le progrès et le changement s’accompagnent toujours d’une révolution des mentalités, ainsi que d’effets plus ou moins prévisibles, mais non désirés. Il faut donc s’en accommoder au mieux, «vivre avec» comme on dit souvent. C’est dans ces moments de prise de conscience profonde qu’on découvre que tout est loin d’être rose et parfait derrière les belles parures et les façades. Il est difficile de mesurer exactement les effets de l’évolution des styles de vie, du tourisme, des loisirs de masse et des modes de consommation sur l’environnement et sur la nature. La pratique de l’ethnologie, activité à la portée de tous, réserve pourtant des surprises fort désagréables… 

Non loin d’ici, à quelques encablures, se trouve une merveille, Cala Granadella, une petite crique nichée dans la partie sud de Jávea, près de la limite avec Benitatxell. Réputée pour son environnement naturel préservé, elle est entourée de collines et de forêts de pins. On peut y accéder en parcourant à pied le sentier de la réserve naturelle. Au terme d’une heure de marche environ, que découvre-t-on en arrivant sur le site? Un lieu absolument sublime, mais bondé de touristes et surtout le triste constat que les vingt-cinq derniers mètres du sentier donnant accès à la plage sont jonchés de détritus de toutes sortes; un dépotoir à ciel ouvert, non loin duquel se trouvent allongés des plaisanciers, faute sans doute de pouvoir trouver un meilleur emplacement afin de profiter du lieu pour la journée.

De l’autre côté de l’atlantique, un phénomène à peu près semblable… Je veux parler de la plage de mon enfance. On l’appelle la Facterie à Bastien parce que c’était le lieu d’une ancienne usine de transformation des produits de la mer. Dans les années 1970 et 1980, les dunes du littoral étaient encore immenses. Il n’y en a pratiquement plus aujourd’hui, la nature ayant en partie fait son œuvre, surtout lors des grosses tempêtes. L’un des deux stationnements pour y accéder tend également à devenir un vrai dépotoir. Sans compter les camions (4×4) et les quads, pourtant interdits au nom de la protection de la faune, ainsi que de gros vélos de randonnée qui circulent sur la plage, mettant ainsi en danger la reproduction du Pluvier siffleur, une espèce de petit oiseau vulnérable et en voie d’extinction. À quoi s’ajoutent les pêcheurs de bar rayé avec leur longue canne à pêche et qu’il faut absolument contourner si l’on souhaite marcher au bord de l’eau. À tel point que c’en est devenu détestable pour les plaisanciers bien élevés et les riverains. 

Contrer l’insouciance?

Cela dit, je ne vois pas d’autres plages comme elle dans les environs. C’est une très belle plage… Elle est infinie. C’est ce qu’ont sans doute très bien compris les propriétaires de Melodus Retreat, eux qui indiquent, sur un site d’hébergement en ligne de Tourisme Nouveau-Brunswick, que leurs clients ont accès à une «plage privée». À toutes celles et à tous ceux qui la maltraitent, je ne peux que suggérer une chose : «restez chez vous, n’y venez pas». J’ai un attachement profond pour cette plage. J’encourage les touristes et les plaisanciers qui aiment les plages sauvages et qui les respectent de se battre pour protéger celle de Rivière-du-Portage.

Tourisme, loisirs, densité de la population et appât du gain sont destructeurs. Sous couvert de développement économique local, il semble n’y avoir aucune limite aux idées de grandeur, aux caprices et aux initiatives personnelles. Même les élus et les différents paliers de gouvernement s’y mettent. Pas étonnant qu’à Barcelone, à Venise, en Albanie ou à l’île d’Oléron les bonnes consciences organisent la résistance contre un système mis en place depuis près d’un demi-siècle et qui perdure malgré ses ravages. Les gens commencent à dire haut et fort «Ça suffit! Puisque vous pillez les ressources communes de l’humanité, parce que vous manquez de respect et de gratitude à l’égard de la nature et des autres espèces, sans redonner votre juste part, alors vous devez en payer le prix». 

«Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres», dit Jean-Jacques Rousseau. Il ne s’agit pas d’interdire le tourisme ou les activités récréatives, chose impossible. Il faut plutôt se demander — si, bien sûr, l’on est suffisamment courageux, juste, honnête et respectueux de sa personne — ce que nous souhaitons construire et préserver pour l’avenir. Sommes-nous encore disposés à faire une place aux êtres, aux espaces et aux choses qui nécessitent notre protection, notre soin, notre bienveillance? 

Certains penseront peut-être qu’on n’y peut rien, que c’est le cours normal des choses…, et ainsi, advienne que pourra. Si l’on ajoute à ce déficit de responsabilité et de conviction les «redneck», ces têtes vides et extrémistes, et une jeunesse occidentale de plus en plus sceptique qui vote à 30% pour des partis extrêmes, nous sommes en droit de nous demander si nous ne nous dirigeons pas plutôt vers un effondrement.

Le tourisme de l’immigration…

Tous les prétextes sont bons pour renoncer à nos responsabilités à l’égard de la nature : augmentation du coût de la vie, difficulté à boucler les fins de mois, manque de moyens, etc. Pourtant, l’économie du tourisme, elle, ne semble pas souffrir. Elle cherche même de nouveaux débouchés aux quatre coins de la planète. Si nous sommes devenus à ce point incapables de veiller à la beauté et au respect du monde qui nous entoure, qui le fera à notre place? Comment pourrait-on alors reprocher aux réfugiés, aux travailleurs étrangers et aux migrants dans le besoin d’y renoncer à leur tour, eux qui ne souhaitent qu’une chose, accéder au même niveau de vie que nous? 

L’accueil de nouveaux arrivants était par le passé quelque chose de merveilleux et d’enrichissant à plusieurs points de vue. Malheureusement, dans les circonstances actuelles, l’immigration ne nous sauvera pas du désastre. C’est même devenu une grave erreur que d’encourager des politiques migratoires. C’est le cas de l’Initiative du siècle, organisme qui suggère une densification de la population canadienne jusqu’à 100 millions d’habitants en 2100 afin de développer l’économie, soutenir la consommation et maintenir notre niveau de vie. 

La nécessité de protéger la nature et l’environnement est bel et bien devenue une vertu mondiale, universelle. Mais c’est pourtant une victoire de courte durée dès lors que l’immigration n’est qu’une simple variable d’ajustement économique : c’est-à-dire davantage un problème à long terme qu’une solution immédiate au point de vue écologique et environnemental. C’est malheureux de le dire ainsi, mais l’immigration est désormais le terrain où se développe et se répand notre vision touristique occidentale du monde centrée sur la consommation et l’exploitation des ressources. «Formule à la carte s’il vous plaît», c’est ce qu’exigent désormais les nouveaux clients, de plus en plus capricieux.

En Espagne comme en Acadie, le moralisme gouvernemental invite à embrasser de grandes visions universalistes qui sont souvent aux antipodes du progrès et du développement humains. Il ne suffit pas de bien gagner sa vie, d’accéder au bien-être et à des richesses éphémères; il ne suffit pas de savoir si, après son séjour en Espagne, son avion pourra bel et bien partir d’Alicante, malgré le mouvement de grève chez Ryan Air, pour se rendre à Beauvais, et ce, en vue d’y rejoindre un proche afin d’aller visiter l’Italie pour deux semaines. Tout le monde ou presque a désormais accès à ce type de fantaisie. Du moins, c’est devenu une possibilité pour un grand nombre d’individus sur la planète. 

La source de tous nos malheurs

Derrière cette vision touristique occidentale, quelque chose ne tourne pas rond. L’un de mes anciens professeurs d’école m’expliquait en juillet ne pas comprendre pourquoi les gens si éduqués ne réfléchissent plus. J’ai aussitôt nuancé son propos en reformulant le problème. Nous avons atteint un niveau de technicité et de maîtrise du monde qui est sans précédent dans l’histoire humaine. Nous disposons en effet de tous les moyens techniques possibles pour assurer notre bien-être. Nous y rêvons même jour et nuit. Et nous en voulons toujours davantage. Au point où l’effort de penser et la réflexion ne suivent plus. Laissés à nos propres critères de jugement, nous manifestons constamment la volonté de combler tous nos désirs, phénomène qui est plutôt la marque de gens malheureux et insatisfaits. 

Parions tout de même qu’un chasseur paraplégique en fauteuil roulant fera un meilleur usage de son fusil de chasse cet automne qu’une bande d’imbéciles cruels en quad pourchassant un orignal en hiver jusqu’à épuisement. Bête n’est pas animal. Le bête, c’est nous : créatures écervelées que nous sommes devenues, nous nous comportons désormais comme tels. 

Le 15 août, temps de réflexion et d’ascension spirituelle, approche. Il sera fêté en Acadie comme en Espagne. La religion n’est plus le socle fédérateur. Quant à la famille (nucléaire), celle-ci a du plomb dans l’aile. Quant au travail, le philosophe Hegel souligne qu’il «n’est pas abêtissant et déshumanisant, parce qu’il ne s’oppose pas à ce qui est le plus proprement humain : l’intellect». Il continue de guider et d’orienter nos actions. Or, si le travail nous rend libres, n’oublions jamais toutefois que le tourisme planétaire peut devenir l’antithèse de la liberté.

Glossaire – Resplendissante : Qui se distingue par des coloris vifs, des nuances chatoyantes