IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO
Initié par Charlie Mballa, professeur de science politique au Campus Saint-Jean (CSJ), et le Groupe de recherche sur les Afriques et l’Amérique latine (GRAAL), en partenariat avec le Centre d’analyse et de prospective sur les Afriques (CAP-Afrique) de l’Université du Québec à Montréal et la Faculté de droit économique de Rabat, cet événement a réuni chercheurs, experts, diplomates et membres de la société civile. Les représentants de sept pays, dont la France, le Maroc, la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Sénégal, étaient réunis aux côtés de Québécois, d’Ontariens et d’Albertains. Des délégations africaines étaient aussi présentes en ligne.
S’inspirer du Québec
«Le Québec est plus présent en Afrique que les autres provinces», souligne Charles Mballa. Avec des délégations permanentes à Dakar, Rabat et Abidjan, le Québec a développé, depuis 2018, une stratégie concrète de relations internationales avec l’Afrique francophone. «Le Québec a quelque chose à partager avec les autres provinces, surtout en matière de diplomatie décentralisée», poursuit le professeur franco-albertain.
Ces journées de juin visaient notamment à favoriser le transfert d’expertise entre provinces canadiennes. «Nous voulions que le Québec inspire l’Ouest canadien. Les provinces ont un rôle à jouer dans l’élaboration d’une politique africaine canadienne.»

Des débats relevés à l’Institut d’été des Prairies. Photo : Courtoisie
Une mobilisation à renforcer
Malgré la richesse des échanges, le professeur Mballa déplore tout de même qu’aucun fonctionnaire du gouvernement canadien ou même un représentant n’ait été présent à l’événement. «Le gouvernement du Canada, à travers Affaires mondiales, nous avait dit oui, puis a reculé en voyant la liste des experts» sans en connaître les raisons exactes. «On a beaucoup parlé de la stratégie canadienne pour l’Afrique… mais sans le gouvernement canadien…», rappelle ce dernier.
Lancée en mars dernier, cette première stratégie globale canadienne pour l’Afrique a fait l’objet d’un panel durant le forum. Selon le chercheur, les États-Unis ont poussé le Canada à revoir ses priorités internationales, mais les politiques publiques canadiennes tardent à suivre. «On est encore dans les intentions, pas encore dans les stratégies.»
Si la rencontre a touché à l’économie, elle a aussi abordé d’autres questions. «L’objectif, c’était le renforcement des capacités de négociation, notamment pour corriger les déséquilibres entre pays africains et grandes puissances», précise le professeur Mballa. Les discussions ont couvert des thèmes aussi variés que le droit des affaires, les modèles de négociation interculturelle ou encore la responsabilité sociale des entreprises.
M. Mballa a lui-même présenté une conférence sur la négociation asymétrique, soit la manière dont des acteurs moins puissants peuvent mesurer et affirmer leur influence dans des relations internationales déséquilibrées.

Ils étaient nombreux à participé du 23 au 28 juin dernier au colloque d’envergure internationale au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Photo : Courtoisie.
Une force plutôt qu’une division
Le forum a aussi attiré des représentants d’organismes communautaires comme Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP) et Communauté Francophone Accueillante (CFA), ainsi que des chefs d’entreprise venus s’informer sur les marchés émergents. Des universitaires, interpellés par le continent africain, se sont aussi présentés.
Le professeur Pierre Rousseau, spécialiste des études religieuses et de la philosophie de l’éducation, enseigne au CSJ depuis une trentaine d’années. Pour lui, cet événement démontre la nécessité d’écouter les voix de la diaspora africaine et de reconnaître leur apport fondamental à la société canadienne. «Toutes ces personnes-là qui quittent leur pays pour venir au Canada, elles le font pour avoir un meilleur avenir pour eux-mêmes. Il n’y en a pas qui viennent ici juste pour devenir des millionnaires, puis s’en aller après», insiste-t-il lors de son entrevue avec la rédaction.
Selon lui, ces récits de migration sont porteurs de valeurs, d’humanité et de solidarité qu’il faut cesser d’ignorer. «Je suis profondément convaincu que ces gens-là apportent avec leurs histoires une belle solidarité humaine à nous autres.»
Rousseau mentionne que «le Sud va changer le Nord! Plus encore, le Sud doit changer le Nord». Il ne croit pas idéaliser quoi que ce soit lorsqu’il souligne l’aspect essentiel de ce que ces gens du Sud apportent à nos sociétés, tout en réitérant l’importance du message du philosophe et pédagogue brésilien Paulo Freire : «l’éthique du marché ne doit pas avoir préséance sur la dignité humaine».
Si lui aussi regrette l’absence de représentants des gouvernements provincial et fédéral, une intervention ‒ celle de maman Élisabeth ‒ a toutefois retenu son attention et l’a profondément marqué lors de ces rencontres de fin juin, au CSJ. Pierre Rousseau connaît cette dame de 90 ans, originaire du Cameroun, depuis trois ans. Il l’avait rencontrée dans le cadre d’une série de conférences de la Fédération des ainés franco-albertains (FAFA).
Lors de sa prise de parole au CSJ, Pierre Rousseau rapporte que maman Élisabeth a offert un témoignage émouvant. Celle-ci évoquait la distribution de sacs de riz par l’aide humanitaire, notamment par USAID, dont la contribution a été récemment amputée par l’administration Trump. Il cite : «Je suis une maman… J’ai sept enfants… J’avais besoin de sacs de riz. Je n’ai jamais eu un « sac de riz »… Au mieux, une tasse de riz pour moi et mes enfants…» Une anecdote explicite de ce qui est vécu parfois à la veille de trouver un pays d’accueil.

Moment de détente pour les participants, au café bicyclette, entre deux sessions. Photo : Courtoisie
Le professeur originaire du Québec souligne l’importance de tenir ce genre de conférences au CSJ, qu’il voit comme un catalyseur d’ouverture sur le monde. «Le Campus Saint-Jean est une place extraordinaire pour la diffusion de ces idées-là parce qu’avec la diversité qu’on a, ce qui nous rassemble, la langue française.» Il affirme que le CSJ doit devenir un «fer de lance par rapport aux échanges avec l’Afrique».
À cet effet, Charlie Mballa rappelle qu’un tel forum se tiendra désormais en alternance entre le Canada et le continent africain, où il sera programmé l’an prochain. Malgré les défis, l’Institut d’été devrait porter fruit. «On travaille maintenant à la rédaction d’un guide du négociateur qui synthétisera les savoirs partagés pendant la semaine. Il devrait être prêt d’ici décembre.»
Glossaire – asymétrique : dont les forces sont différentes