le Samedi 13 septembre 2025
le Samedi 13 septembre 2025 10:00 Éducation

La diversité frappe à la porte des directions d’école francophones en Alberta

Longtemps absente dans les postes de direction, la diversité commence à trouver sa place dans le système éducatif francophone de l’Alberta. Au Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN), des nominations récentes à des postes de direction d'école et de direction adjointe témoignent d’un virage prometteur.

La diversité frappe à la porte des directions d’école francophones en Alberta
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Valéry Bazira est le nouveau directeur de l’École Alexandre-Taché, à Saint-Albert. Photo : Courtoisie

La sous-représentation des personnes noires dans les postes de direction d’école en Alberta avait été rapportée dans nos pages en février dernier. Depuis, le CSCN a annoncé la nomination de trois leaders originaires du continent africain, une avancée saluée par Valéry Bazira, qui vient tout juste d’entrer en fonction comme directeur de l’École Alexandre-Taché, à Saint-Albert.

«Le fait de voir quelqu’un qui te ressemble dans une position auquel tu pourrais aspirer éventuellement, c’est crucial. Je n’avais pas réalisé l’importance de ça jusqu’à ce qu’un enseignant, aujourd’hui membre de mon équipe, me confie qu’il avait choisi son métier après m’avoir vu enseigner. C’est ça qui l’a motivé», partage celui qui est originaire du Burundi.

Il se réjouit de constater que de plus en plus de personnes issues de l’immigration et originaires d’Afrique accèdent à des postes de direction au sein des conseils francophones de la province. «Je pense que, depuis qu’on a identifié cette problématique, il y a beaucoup d’efforts qui sont faits pour y répondre. Ça doit se passer au niveau des conseils, mais aussi dans notre formation postsecondaire», souligne-t-il.

Depuis quelques années, le CSCN s’est d’ailleurs doté d’une académie de leadership, ouverte à tous les candidats qui souhaitent gravir les échelons de la hiérarchie scolaire. Valéry Bazira avait fait partie de la deuxième cohorte en 2022. «Ça ouvre la porte à toutes les personnes intéressées à développer leurs habiletés de leadership. C’est assez exceptionnel», reconnaît-il. Il salue parallèlement le travail du Collectif des Enseignants Immigrants de l’Alberta, un organisme qui œuvre à mieux outiller les enseignants d’origine immigrante et «améliorer leur capacité à atteindre des positions de leadership scolaire». 

Après l’incendie à l’École Jean-Claude-Mahé 

Selon un communiqué de presse du 5 septembre 2025 dernier, le Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN) a informé le public sur les conséquences de l’incendie survenu le 30 août dernier à l’École Jean-Claude-Mahé. 

«Les dommages causés à l’édifice nécessitent d’importants travaux de réparation, ce qui oblige la relocalisation temporaire des élèves et du personnel afin d’assurer la continuité des

apprentissages dans un environnement sécuritaire», peut-on lire. À partir du 11 septembre 2025, «les élèves seront relocalisés à l’ancienne école Glendale, située sur la 161e Rue à Edmonton, et ce, jusqu’à la réouverture de l’édifice principal».

Le CSCN remercie «les familles pour leur collaboration et leur patience, ainsi que les équipes scolaires et administratives pour leur rapidité d’action et leur engagement à assurer le bien-être et la réussite des élèves». (Source CSCN)

Une boussole pour les jeunes immigrants 

Le nouveau directeur d’école souhaite aujourd’hui devenir un repère pour les élèves et les familles immigrantes. Son propre parcours l’a outillé pour mieux les comprendre et les accompagner. Arrivé à Calgary en 2004 alors qu’il était en douzième année, il se souvient des défis liés à l’adaptation – d’autant plus qu’au début des années 2000, la représentation des personnes noires dans le système scolaire francophone était encore plus inexistante.

«Je suis passé par là, j’ai terminé mon secondaire à l’École Sainte-Marguerite-Bourgeoys. Je sais ce que c’est que de devoir s’intégrer, de s’installer dans un nouvel environnement et d’avoir des priorités différentes de celles des autres. Cette expérience, je la vois comme un atout pour soutenir ceux qui vivent aujourd’hui la même réalité.»

Pour Valéry Bazira, accompagner les familles immigrantes, c’est aussi les aider à développer un véritable sentiment d’appartenance à la francophonie, malgré les défis liés à l’intégration. «Je pense que ça passe beaucoup par le fait de reconnaître qu’ils ont le français comme un outil dans un bagage qui contient déjà d’autres outils. Il ne faut pas oublier que, pour certains, le français est leur troisième langue.»

Selon lui, l’enjeu n’est pas de demander aux nouveaux arrivants d’être nécessairement des «guerriers» de la cause francophone, mais plutôt de leur donner les moyens de voir l’apport du français dans leur identité. «C’est de les amener à réaliser que oui, même si tu n’es pas le plus militant, tu dois reconnaître la place du français dans qui tu es. Et quand tu arrives à la reconnaître, tu peux mieux la valoriser.»

Cette réflexion rejoint celle d’autres nouveaux leaders issus de l’immigration. Pour plusieurs, le développement d’un sentiment d’appartenance à la francophonie passe par une compréhension plus large de ce que signifie vivre en français en contexte minoritaire. Jenny Martine Ngoie, récemment nommée directrice adjointe de l’École Boréale, à Fort McMurray, insiste notamment sur l’importance de reconnaître la pluralité de la francophonie pour bien accueillir les nouveaux arrivants. «Il faut valoriser la diversité au sein de la francophonie, accueillir les différentes formes de français. C’est comme ça qu’on favorise le sentiment d’appartenance des nouveaux arrivants», souligne-t-elle.

Dans son nouveau rôle, la Congolaise d’origine espère accompagner non seulement les élèves et enseignants immigrants, mais aussi soutenir les femmes. «Je me demande souvent : “Qu’est-ce que je peux apporter?” Des femmes noires dans ma position, il n’y en a pas beaucoup. Et si je peux changer le parcours, ne serait-ce que d’un seul enfant, alors ce sera mission accomplie.»

Jenny Martine Ngoie a récemment été nommée directrice adjointe de l’École Boréale, à Fort McMurray. Photo : Courtoisie

Encore des obstacles

Jenny Martine Ngoie reconnaît que des obstacles demeurent pour les personnes issues des minorités visibles qui aspirent à des postes de direction, mais elle estime que «les choses s’améliorent». Tout comme Valéry Bazira, à son arrivée au Canada, elle a connu des difficultés d’intégration, dans un contexte où la représentation des personnes immigrantes et noires en poste de leadership était presque inexistante.

Aujourd’hui, elle préfère toutefois mettre de l’avant la résilience et les occasions qui s’ouvrent. «Le CSCN permet à des enseignants de groupes minoritaires visibles d’accéder à des postes d’enseignement et d’administration. On ne peut pas se voiler la face : la majorité des francophones en Alberta viennent de l’immigration, notamment de l’Afrique. Alors, voir cette représentation, c’est vraiment très important», souligne-t-elle.

Dans ce contexte de dépaysement, le soutien de la famille devient aussi un facteur clé de réussite pour les élèves nouveaux arrivants. La directrice adjointe en sait quelque chose : son père, lui-même enseignant, l’a aidé à garder le cap malgré les difficultés. «Comme j’allais à la même école que lui, il savait ce qui se passait et il n’a pas arrêté de nous pousser. Mon père a joué un grand rôle », se souvient-elle.

Forte de cette expérience, elle invite aujourd’hui les parents immigrants à s’impliquer activement dans la vie scolaire de leurs enfants. «On fait les choses différemment ici qu’en Afrique. Ici, les parents doivent suivre ce qui se passe à l’école. Même si les élèves immigrants font face à des défis, avoir des parents qui croient en eux et qui sont présents, ça fait une grosse différence.»

Elle encourage enfin les familles à ne pas hésiter à demander de l’aide pour trouver des moyens d’appuyer leurs enfants et de nourrir leur sentiment d’appartenance. «Il y a plein de ressources et plein de personnes prêtes à vous aider», conclut-elle.

Fatou Thioune, originaire du Sénégal, a également été nommée à titre de directrice adjointe de l’École Jean-Claude Mahé.

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L’École Alexandre-Taché, à Saint-Albert. Photo : Courtoisie