le Mardi 30 septembre 2025
le Mercredi 17 septembre 2025 14:47 Éducation

Grandir en français dès la petite enfance

Les services éducatifs en milieux familiaux sont appelés à prendre une part croissante du continuum francophone, selon Mireille Péloquin.
Les services éducatifs en milieux familiaux sont appelés à prendre une part croissante du continuum francophone, selon Mireille Péloquin.

L’identité francophone commence à se construire bien avant l’entrée à la maternelle. En contexte minoritaire, elle prend racine à la maison et se cultive souvent dans les milieux de garde. Malgré les défis, parents et éducateurs en Alberta cherchent à tisser au quotidien un environnement où la langue et la culture française s’ancrent durablement chez les tout-petits.

Grandir en français dès la petite enfance
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Ce début septembre n’a pas été simple pour notre équipe de rédaction. Toujours très heureuse de vous faire participer à la rentrée des jeunes Franco-Albertains, le doute a subsisté jusqu’à la dernière minute quand à la décision du corps professoral de faire la grève ou non. Nous remercions donc l’ensemble des conseils scolaires d’avoir fait le maximum pour collaborer avec la rédaction. Certains impératifs que nous comprenons nous ont obligés à mettre des articles de côté, cela fait partie de «la job», pour ainsi dire. D’autres seront publiés dans les prochains jours sur le site web de votre journal.

Bonne lecture!

IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Les services éducatifs en milieux familiaux sont appelés à prendre une part croissante du continuum francophone, selon Mireille Péloquin.

La directrice générale de la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA), Mireille Péloquin, est sans équivoque : le continuum de l’éducation en français devrait débuter dès la petite enfance. Les tout-petits ont avantage à fréquenter des milieux francophones, comme des centres familiaux et des garderies, pour entrer tôt dans la langue.

«Je dis ça, mais on sait qu’on a beaucoup de rattrapage à faire pour que ça devienne possible pour tous les francophones en Alberta. On n’a pas encore assez de services pour que ça se réalise», prévient-elle. 

Faute de places dans les centres de garde, la maternelle absorbe souvent la mission de francisation. «C’est la réalité actuelle. Dans le système francophone, la maternelle sert à apprendre la langue parce que la majorité des enfants qui commencent ne [la maîtrisent pas encore]. En théorie, la maternelle devrait plutôt servir à préparer l’enfant à la vie scolaire», expose-t-elle. 

L’enjeu central, selon elle, c’est aussi que la garderie francophone ne sert pas seulement à initier les tout-petits à la langue. L’identité francophone ne se résume pas «à des mots correctement prononcés», mentionne-t-elle, elle s’enracine également dans la culture – comptines, histoires, fêtes, traditions –, autant de repères qui font du français une langue de vie et qui se transmettent au quotidien en centre de garde. 

«C’est pour ça que le rôle des garderies francophones est aussi important. On doit éveiller cette identité le plus tôt possible. Le plus d’heures qu’un enfant passe en français, le mieux va être l’acquisition de la langue et de la culture.» 

Surtout qu’en situation minoritaire, cette exposition ne va pas de soi. «L’anglais s’attrape; le français, il faut l’apprendre et le vivre. Il y a la langue, mais il y a aussi les auteurs, les chansons, les bandes dessinées francophones», rappelle la directrice générale.

Cynthia Ouimet (ici avec sa fille) dirige la garderie en milieu familial Les petits débrouillards à Beaumont. Photo : Courtoisie

Des options en français

Sur le terrain, de plus en plus de milieux de garde francophones montrent la voie, même si l’offre demeure concentrée dans les grands centres et leurs périphéries. Selon Mireille Péloquin, les milieux familiaux sont d’ailleurs appelés à prendre une place croissante, car les conseils scolaires ne peuvent à eux seuls assurer l’ensemble du continuum, et ce, même si plusieurs écoles francophones offrent aussi un service de garderie. «Leur mandat réel, c’est de la maternelle à la douzième», souligne-t-elle.

À Beaumont, le service éducatif en milieu familial de Cynthia Ouimet, Les petits débrouillards, fait du quotidien un bain de langue et de culture. «C’est très important pour moi d’être un milieu 100% en français», précise-t-elle.

Concrètement, l’éducatrice s’appuie sur la littératie, des rituels stables et une immersion constante pour que le français rythme les journées, des thématiques choisies par les tout-petits jusqu’aux activités. «Ces jours-ci, les enfants adorent les sauterelles, alors je trouve des livres en français sur le sujet et on déroule le fil pour explorer ce thème à partir de comptines inventées, de mots, de jeux et d’ateliers», dit-elle.

Chaque printemps, l’éducatrice organise aussi une cabane à sucre. Sirop d’érable du Québec à l’appui, les enfants sont invités à prendre part à cette tradition. «J’aime beaucoup leur faire découvrir ça, c’est spécial.»

Mais le quotidien des garderies et des milieux familiaux francophones comporte aussi son lot de défis. Pour Cynthia Ouimet, le manque de ressources pédagogiques en français en Alberta demeure une lacune majeure. Les éducateurs se retrouvent souvent à devoir faire leurs propres recherches, à adapter du matériel ou à devoir se rabattre sur du contenu en provenance du Québec.

«Ça nous met une grosse barrière. Ce serait vraiment important de se concentrer là-dessus dans les prochaines années. En plus, quand on suit des formations complémentaires en français, elles ne sont pas toujours reconnues en Alberta. On est perdants là-dedans», indique-t-elle.

Le rôle des éducateurs 

Pour que les milieux familiaux en français continuent de se multiplier dans la province albertaine, il faut aussi former la relève. Le programme d’éducation à la petite enfance du Centre collégial de l’Alberta cherche justement à préparer les étudiants au métier d’éducateur en français et s’attend à accueillir plus de trente étudiants cette année. Une hausse marquée par rapport à la vingtaine inscrite en moyenne les années précédentes.

Le programme s’intéresse en profondeur à la transmission de l’identité francophone et sur les façons dont les éducateurs peuvent y contribuer. Sa responsable, Sandra Hassan-Farah, explique que les étudiants sont invités à partir de leur propre parcours identitaire pour construire un pont afin d’accompagner les enfants dans le développement du leur. 

«Notre réalité, c’est qu’environ 90% de nos étudiants sont issus de l’immigration. Alors, on cherche à utiliser leurs cultures et leurs visions par rapport au français et aux cultures francophones pour voir comment ils peuvent les transmettre sur le terrain, dans les milieux éducatifs», dit-elle.

Sur le plan pédagogique, les futurs éducateurs sont notamment invités à partager, en classe, des comptines, des histoires et des contes issus de leurs pays d’origine, puis à les réinvestir auprès des enfants, une fois leurs stages amorcés. 

«Il faut éviter d’imposer des histoires aux étudiants et plutôt les motiver à transmettre leur propre héritage culturel francophone.» Dans la même optique, les éducateurs sont aussi invités à valoriser les différentes variétés du français et les accents afin que le plus grand nombre d’enfants se sentent concernés et légitimes dans l’identité francophone.

Sur le terrain, les effets de cette approche individualisée se font déjà sentir. «Avant, pendant le Mois de la francophonie, on voyait souvent la même “recette”. Désormais, on va plus en profondeur : on implique davantage les familles, on part d’où vient l’enfant et de son héritage pour célébrer les francophonies. C’est très positif», observe la responsable du programme.

Sandra Hassan-Farah est la responsable du programme d’éducation à la petite enfance du Centre collégial de l’Alberta. Photo : Courtoisie

Un travail d’équipe

Les parents ont, eux aussi, un rôle fondamental à jouer dans le développement de l’identité francophone chez leurs enfants. Ils gagnent à s’informer sur les meilleures pratiques de transmission du français en milieu minoritaire et ces questions devraient être abordées le plus tôt possible, insiste Mireille Péloquin, directrice générale de FPFA. «En fait, le travail des parents commence dès la grossesse et pendant le congé parental. Ça commence par reconnaître qu’ils devront faire un effort pour que leurs enfants parlent français.»

Si la fréquentation d’un milieu familial ou d’une garde francophone est importante, les centres de ressources familiales, comme l’Institut Guy-Lacombe de la famille ou le Centre d’Appui Familial du Sud de l’Alberta, jouent aussi un rôle clé. Ils constituent d’excellents outils pour les parents en quête de repères. «On peut commencer à fréquenter ces lieux dès [le congé parental]. Ça permet aux enfants de prendre part à des activités à l’extérieur de la maison et de comprendre qu’ils peuvent vivre leur français.» 

Or, la tâche s’impose plus difficilement aux familles bilingues lorsque l’un des parents ne parle pas la langue de Molière. Le risque est souvent de basculer vers l’anglais comme langue commune et de ne pas privilégier les activités en français. «C’est là que ça dérape pour beaucoup de familles. On veut inclure le conjoint qui ne parle pas français. Les couples doivent avoir ces discussions et choisir consciemment qu’il est possible qu’un des parents ne comprenne pas quand l’autre s’adresse à l’enfant», conclut-elle.

Glossaire – Francisation : Processus qui amène une personne à parler le français