Ensemble pour le respect de la diversité est un organisme québécois dirigé par Rafaël Provost. Photo : Courtoisie
«L’objectif, c’était vraiment d’établir un premier contact : rencontrer les organismes communautaires et le réseau scolaire pour créer des liens. On aimerait offrir nos ateliers en Alberta, dans les écoles francophones», explique le directeur général, Rafaël Provost.
Chaque année, l’organisme rejoint plus de 36 000 jeunes au Canada grâce à ses ateliers de sensibilisation. Et d’après les observations de M. Provost, une «haine décomplexée» semble gagner du terrain. «C’est généralisé. On observe une montée des propos contre les personnes LGBTQ+, mais aussi une hausse du racisme et même du sexisme, en raison des mouvements masculinistes», note-t-il.
Pour freiner ces courants et prévenir leur propagation, la prévention en milieu scolaire est essentielle, insiste-t-il. Mais l’accès à des programmes en français demeure limité en contexte minoritaire. «Nous, on peut offrir ces services. On sait que les besoins sont importants et qu’il y a vraiment un manque de ressources», dit-il.
C’est généralisé. On observe une montée des propos contre les personnes LGBTQ+, mais aussi une hausse du racisme et même du sexisme, en raison des mouvements masculinistes.
Le directeur général de Dare to Care, Mathieu Constantin. Photo : Courtoisie
En Alberta, Dare to Care propose déjà ce type d’intervention dans les écoles, en présentiel comme en virtuel. Toutefois, l’organisme n’offre pas encore de services en français, précise son directeur général, Mathieu Constantin, lui-même francophone.
«Nous sommes justement en train d’évaluer de traduire l’ensemble de nos programmes qui sont actuellement offerts uniquement en anglais. Nous venons d’embaucher une autre personne qui parle français pour nous aider dans cette démarche afin de pouvoir desservir les écoles francophones partout au pays. Ce ne sera pas prêt demain matin, mais la traduction de nos programmes fait partie de nos priorités», souligne-t-il.
Il estime, lui aussi, que les cas d’intimidation, surtout ceux de cyberintimidation, sont en hausse dans la province. Le phénomène de sextorsion, où une personne menace de diffuser des images intimes, est aussi en augmentation.
«Ce qu’on remarque, c’est que les jeunes apprennent maintenant des comportements en ligne et les reproduisent. Leurs influences ne sont plus juste de la maison, mais de tout ce qu’ils voient sur Instagram, Snapchat et Tik Tok», explique-t-il.
Ce qu’on remarque, c’est que les jeunes apprennent maintenant des comportements en ligne et les reproduisent.
Répondre à une intimidation qui se transforme
Dans son approche, Dare to Care mise sur le développement des habiletés de la «majorité bienveillante», ces élèves témoins d’actes d’intimidation qui restent souvent silencieux.
«Dans 80 à 85% des cas, l’intimidateur agit devant quelqu’un. Il faut mobiliser celles et ceux qui n’interviennent pas : leur donner confiance pour qu’ils prennent la parole. Ce sont eux qui ont le plus grand pouvoir. Et ça, ça passe par la prévention. L’intervention au cas par cas ne change pas durablement les comportements», explique Mathieu Constantin.
L’organisme Ensemble pour le respect de la diversité adopte une approche similaire. Selon Rafaël Provost, la meilleure méthode d’intervention consiste à laisser les jeunes passer à l’action eux-mêmes pour lutter contre l’intimidation. «On met en place dans les écoles et les milieux jeunesse des comités par et pour les jeunes. Ça a un immense impact», partage-t-il.
Deinera Exner-Cortens est professeure agrégée à l’Université de Calgary et codirectrice scientifique de PREVNet. Photo : Courtoisie
Ces comités mènent des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux, organisent des collectes de fonds et réalisent des capsules éducatives sur divers sujets, dont les micro-agressions.
Cette volonté de responsabiliser les témoins et d’impliquer les jeunes rejoint les constats des chercheurs qui observent de près les tendances en matière d’intimidation au pays. Deinera Exner-Cortens, professeure agrégée à l’Université de Calgary et codirectrice scientifique de PREVNet, organisme national voué à la prévention de la violence interpersonnelle chez les jeunes, insiste sur le fait que l’intimidation est d’abord un problème relationnel.
«On ne peut pas se concentrer seulement sur l’enfant qui est intimidé ou sur celui qui intimide. Dans la grande majorité des cas, d’autres jeunes sont témoins et il faut les outiller pour qu’ils se sentent capables d’intervenir et de dire que ce n’est pas acceptable», explique-t-elle.
On ne peut pas se concentrer seulement sur l’enfant qui est intimidé ou sur celui qui intimide.
Activer la majorité silencieuse
Selon elle, la prévention passe d’abord par l’apprentissage de compétences sociales : la gestion des conflits, l’empathie et la bienveillance au primaire, puis une réflexion plus poussée au secondaire sur les dynamiques d’intimidation, les identités ciblées et la manière de devenir des défenseurs plutôt que des témoins passifs.
Mais comme l’intimidation repose sur un rapport de pouvoir, les adultes doivent, eux aussi, être prêts à intervenir. Les enseignants peuvent, d’ailleurs, agir de différentes façons pour protéger les élèves vulnérables. «Par exemple, ils devraient éviter de laisser les élèves former eux-mêmes leurs groupes. Dès qu’on laisse les jeunes choisir, certains se retrouvent exclus.»
Si les écoles et les organismes jouent un rôle essentiel, Mme Exner-Cortens rappelle aussi que la prévention ne peut pas reposer uniquement sur le milieu scolaire. «Les interventions en milieu scolaire sont essentielles. Mais ce ne peut pas être la seule solution. On a aussi besoin d’initiatives dans le système de santé et dans les communautés parce que certains jeunes échappent complètement au cadre scolaire.»
La professeure Exner-Cortens rappelle que cette vigilance est d’autant plus nécessaire que le climat social actuel risque d’exposer davantage certains élèves. «Je suis vraiment inquiète pour les jeunes trans. Les enfants reproduisent ce qu’ils voient chez les adultes : si on leur envoie le message que ces jeunes-là ont quelque chose de “pas normal”, ils vont intégrer ça et les cibler», conclut-elle.
La Semaine de sensibilisation à l’intimidation se déroulait du 17 au 21 novembre 2025.
Glossaire – Propagation : Progression par extension