Gisèle Bourque est la directrice exécutive de la Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta. Photo : Courtoisie
En trois ans, le Campus Saint-Jean est passé d’environ 600 étudiants à plus de 1300, selon le doyen Jason Carey. Une hausse portée en partie par les efforts de l’établissement postsecondaire pour attirer davantage d’étudiants internationaux et diversifier son offre de programmes. La transition vers les études postsecondaires en français et surtout la rétention des élèves issus des conseils scolaires francophones et de l’immersion française demeurent toutefois au cœur des préoccupations.
«On voit encore cet exode à partir de la dixième année, avec cette idée qu’en allant à l’école secondaire anglophone, il y aura peut-être un meilleur accès à des cours spécialisés. Mais on travaille très fort pour offrir le meilleur menu possible nous aussi», rappelle Gisèle Bourque, directrice exécutive de la Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta (FCSFA).
Pour encourager davantage les élèves à poursuivre leurs études en français au secondaire et favoriser leur transition vers le postsecondaire, le leadership scolaire francophone tente notamment d’élargir l’offre de cours à double reconnaissance de crédit. Une tâche toutefois plus complexe qu’elle n’y paraît.
«On a écrit une lettre au ministère de l’Éducation pour dire qu’on avait besoin d’aide dans ce dossier. En septembre 2025, on a eu notre première réunion avec les quatre directions générales des conseils, moi-même et des fonctionnaires du ministère. On essaie de trouver des façons d’avoir un meilleur éventail de cours», souligne Mme Bourque.
Plusieurs avenues sont explorées : des installations mobiles pour offrir certains cours de métier dans plusieurs écoles simultanément ou encore des partenariats avec des établissements situés à l’extérieur de la province. «On a espoir qu’on va arriver à un modèle qui fonctionne mieux», ajoute la directrice exécutive avec enthousiasme.
On voit encore cet exode à partir de la dixième année, avec cette idée qu’en allant à l’école secondaire anglophone, il y aura peut-être un meilleur accès à des cours spécialisés.
Michael Tryon est le directeur exécutif de la section albertaine de Canadian Parents for French. Photo : Courtoisie
L’immersion française, des enjeux différents
Le portrait est plus complexe du côté de l’immersion française. Bien que la rétention soit, elle aussi, freinée par le choix limité de cours offerts au secondaire, ce n’est qu’une partie du problème.
D’autres éléments expliquent tout autant la difficulté à assurer une transition vers le postsecondaire en français, observe Michael Tryon, directeur exécutif de la section albertaine de Canadian Parents for French (CPF). «Il y a la question de la sécurité linguistique. Pour des élèves qui ont fait l’immersion, faire le saut dans un environnement purement francophone peut être épeurant», explique-t-il.
Il rappelle qu’il n’existe aucune norme minimale provinciale pour l’immersion française, ce qui entraîne de fortes disparités dans le niveau de langue des jeunes. À Calgary, un élève suit jusqu’à trois cours en français au secondaire, alors qu’à Edmonton, l’offre est un peu plus large. Dans les milieux ruraux, un ou deux cours seulement sont offerts.
«Sans cette exposition régulière à la langue, les élèves n’ont pas la confiance nécessaire. Leur compétence reste fragile et ils sont donc moins susceptibles de poursuivre leurs études en français au postsecondaire», observe-t-il.
Malgré ces enjeux, l’immersion française a longtemps représenté une part importante des inscriptions de nouveaux étudiants au Campus Saint-Jean. Une réalité qui est en cours de changement, puisque les étudiants internationaux et les résidents permanents occupent désormais le premier rang.
«Il faut relativiser, nuance cependant Michael Tryon. Même si, à une certaine époque, environ 60% des étudiants du Campus venaient de l’immersion, il faut se rappeler qu’il y a aussi 47 000 élèves inscrits à l’immersion en Alberta. En réalité, seule une fraction très faible poursuit ses études en français.»
Il y a la question de la sécurité linguistique. Pour des élèves qui ont fait l’immersion, faire le saut dans un environnement purement francophone peut être épeuran
Le collégial : un acteur essentiel à mieux faire connaître
Pour améliorer ce ratio, Michael Tryon estime que le postsecondaire francophone doit redoubler d’efforts pour faire connaître ses programmes aux élèves issus de l’immersion française. Selon lui, peu d’entre eux sont réellement au courant des possibilités offertes par le Campus Saint-Jean et encore moins par le Centre collégial de l’Alberta (CCA).
«Beaucoup de jeunes ne connaissent pas les options en français et se tournent uniquement vers les établissements anglophones pour tout ce qui n’est pas un programme universitaire», précise-t-il.
Cette analyse trouve écho chez Patrick Vanasse, directeur du CCA. «On a un travail à faire pour se faire connaître, notamment par les conseils scolaires anglophones qui offrent l’immersion. Certains ne savaient même pas qu’on existait avant tout récemment. Nos programmes sont trop peu connus», dit-il.
Même au sein de la francophonie albertaine, le CCA peine encore à se tailler une place. Pour l’instant, environ 60% de sa clientèle est composée d’étudiants internationaux. «On doit augmenter nos efforts au niveau local. C’est très important pour moi», insiste le directeur.
L’élargissement de la carte de programmes constitue d’ailleurs un levier clé pour attirer davantage d’élèves francophones. Le CCA mise déjà sur trois programmes bien établis – éducation à la petite enfance, administration des affaires et préposé aux soins de santé –, mais souhaite faire rayonner d’autres options.
Deux microcertificats ont récemment été lancés, l’un en tenue de livres, l’autre en accompagnement de l’enfant autiste. Un certificat pour former des aides pédagogiques (ou aides-élèves), un besoin criant dans les conseils scolaires francophones, est également en développement. Un programme d’infirmière auxiliaire pourrait aussi être envisagé, mais sa mise en place dépendra des coûts liés aux infrastructures requises.
«On doit choisir des programmes qui seront viables. Les programmes liés à des métiers spécialisés comme pompier, par exemple, ne pourront jamais être offerts parce qu’on manque de clientèle potentielle et que ça exige des installations très coûteuses», explique-t-il.
Beaucoup de jeunes ne connaissent pas les options en français et se tournent uniquement vers les établissements anglophones pour tout ce qui n’est pas un programme universitaire
Patrick Vanasse est le directeur du Centre collégial de l’Alberta. Photo : Courtoisie
Il n’y a pas que l’université
Le développement de l’offre collégiale demeure cependant essentiel, rappelle Patrick Vanasse, car tous les élèves de 12ᵉ année ne souhaitent pas se diriger vers l’université.
«Il y a des raisons financières, de goût, de capacité ou de temps qui expliquent ça… Par exemple, nos diplômés ont des frais de scolarité deux fois moins élevés et des programmes deux fois moins longs que ceux de l’université», souligne-t-il.
Michael Tryon rappelle, par ailleurs, que seuls 33% des diplômés du secondaire poursuivent leurs études à l’université, selon Statistique Canada. À ses yeux, la francophonie doit s’adapter à cette réalité.
«On a tendance à valoriser surtout les parcours universitaires, observe-t-il. Mais qu’est-ce qui arrive à l’élève d’immersion ou au jeune francophone qui veut devenir mécanicien d’équipement lourd? Que fait-on pour ceux qui aiment le français, mais pour qui une formation de carrière en français n’est même pas une option?»
Selon lui, le défi dépasse donc le seul recrutement : il s’agit aussi de renforcer le «sentiment d’appartenance» à la langue et à la communauté pour que les jeunes puissent continuer «à vivre en français», même en dehors du cadre collégial ou universitaire.
Glossaire – Éventail : offre, choix diversifié