le Jeudi 11 Décembre 2025
le Mercredi 10 Décembre 2025 15:00 Éducation

À Calgary, devenir enseignant en français est une évidence

Jason Carey, doyen du Campus Saint-Jean, lors de sa présentation au brunch communautaire du Campus Saint-Jean qui a eu lieu à son campus satellite de Calgary. Photo : Arnaud Barbet
Jason Carey, doyen du Campus Saint-Jean, lors de sa présentation au brunch communautaire du Campus Saint-Jean qui a eu lieu à son campus satellite de Calgary. Photo : Arnaud Barbet

IJL - C’est lors du brunch communautaire du Campus Saint-Jean à son campus satellite de Calgary, en octobre dernier, que nous avons pu nous rendre compte du succès du programme en éducation qui y est offert. Des étudiants et aussi toute l’équipe du campus satellite étaient là pour célébrer. Mais derrière les chiffres, des ajustements semblent nécessaires.

À Calgary, devenir enseignant en français est une évidence
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Aka Kouame Charles Kouadio face à un ordinateur. Photo : Courtoisie

Jason Carey, doyen du Campus Saint-Jean, n’a pas caché sa fierté concernant le succès du campus satellite de Calgary et de son programme de baccalauréat en éducation. «Le succès, ici, est le même que sur le campus principal, c’est de changer le discours sur le campus, d’évoquer la qualité de nos programmes, d’être présents dans les écoles et de mentionner les opportunités d’emploi à la fin des programmes.»

Si Martin Poirier, gestionnaire du campus satellite de Calgary du Campus Saint-Jean, réfute que l’établissement forme assez d’enseignants pour combler la pénurie dans les provinces de l’Ouest, notamment en Alberta, mais il ne perd pas espoir et assure que «dans quelques années, on [le Campus Saint-Jean] atteindra ce seuil» grâce à des programmes en éducation de grande qualité. 

Il évoque à la rédaction ce besoin criant d’enseignants dans le monde, au Canada surtout, et estime que «le problème est encore plus aigu dans les régions où la francophonie est minoritaire». Il souligne aussi la ruralité comme facteur aggravant, tout en évoquant la solution grâce au programme en comodal du Campus Saint-Jean à Calgary.

«On peut ainsi avoir des étudiants déjà établis en région, explique-t-il, qui suivront ce programme d’éducation de deux ans après diplôme.» Il continue en indiquant que c’est aussi une manière de lutter contre un taux d’attrition toujours plus grand chez les étudiants d’autres universités. En effet, ce programme correspond surtout à des étudiants d’un certain âge, ayant une famille et donc un réel intérêt pour l’éducation. 

C’est notamment le cas d’Aka Kouame Charles Kouadio, Ivoirien d’origine. Il est arrivé au pays, avec sa femme Marie-Josiane et ses quatre enfants, «le 21 septembre 2024», précise-t-il. Ingénieur en finance et en comptabilité, il aurait voulu continuer dans son domaine, mais «toutes les tentatives étaient vaines à cause de mon niveau d’anglais», dit-il. Il avait déjà la passion de l’éducation dans son pays, il a donc été très logique pour lui de se tourner vers cette nouvelle carrière, en français.  

Le gestionnaire du campus satellite de Calgary accepte que certains nouveaux arrivants s’inscrivent au début plus par nécessité que par sacerdoce du fait de l’impossibilité pour eux de travailler dans leur branche, et ce, malgré leur grande qualification. Mais, pour les motiver, il aime répéter qu’«être professeur est le plus beau métier du monde». 

Martin Poirier, gestionnaire du campus satellite de Calgary du Campus Saint-Jean. Photo : Arnaud Barbet

Des cours offerts en comodal

Si le doyen est très fier du système mis en place pour offrir les cours «en comodal, car on veut donner accès à la même qualité de programme que vous soyez dans les classes, ici, ou au Nouveaux-Brunswick». Il indique aussi qu’il y a «de nombreux étudiants qui ont des familles, des emplois et qu’il faut donc s’adapter à tout le monde».

Installés à Red Deer, Aka Kouame Charles Kouadio et sa femme Marie-Josiane se sont inscrits au baccalauréat en éducation après diplôme (BEd AD) et font partie de celles et ceux qui n’ont que leur ordinateur comme instructeur. Et ce n’est pas forcément facile, si l’on en croit l’étudiant d’une quarantaine d’années. À l’inverse, il est heureux de ne pas être obligé de faire des allers-retours à Calgary et de rester proche des siens, avec sa famille.

Même s’il n’a débuté ses cours qu’en septembre 2025, il y a des moments où il préférait être en classe, car «le contact physique est bien différent que le contact virtuel pour apprendre». Il lui arrive de ressentir de la frustration à cause de petits détails anodins. «Parfois, les enseignants qui donnent le cours en classe amènent des petits gâteaux et nous, on ne peut pas en profiter, car on est de l’autre côté de l’écran.» 

Mais le plus dur reste la conciliation étude-travail-famille. Aka Kouame a des cours tous les jours de la semaine, le matin ou en début de soirée. Il avoue que «c’est très demandant, car à peine le travail terminé, il faut faire les cours et vice versa. C’est beaucoup de sacrifices, beaucoup d’organisation, mais on fait avec…», dit-il en riant. Car si sa femme s’occupe de leurs quatre enfants, lui n’a pas le choix de travailler à côté en tant que moniteur de langues.

Parfois, les enseignants qui donnent le cours en classe amènent des petits gâteaux et nous, on ne peut pas en profiter, car on est de l’autre côté de l’écran.

— Aka Kouame Charles Kouadio

Martin Poirier n’est pas étonné des défis liés à l’enseignement en comodal. Il le dit lui-même, le premier défi est d’apprivoiser la technologie, «ce qui n’est de toute façon pas une mauvaise chose, mais, oui, il existe des défis, surtout pour celles et ceux qui retournent aux études après quelques années». Il cite aussi «l’isolement», souvent difficile, surtout pour celles et ceux qui vivent en milieu rural ou loin, comme en Ontario ou en Colombie-Britannique. Mais il l’assure, «à chaque défi, il y a des solutions. Pour briser l’isolement, les professeurs essaient de donner des travaux d’équipe, des projets de groupe aux étudiants afin qu’ils puissent se réunir». Mais, comme le dit Aka, cela reste toujours virtuel.

Lorsque la rédaction évoque les risques de dépression liés à un tel apprentissage, Aka Kouame émet un rire discret avant de signaler : «j’avoue qu’au départ, j’étais un [op]pressé au niveau émotionnel parce qu’on reçoit beaucoup de cours, beaucoup de travaux à rendre en même temps», de très nombreuses lectures, «mais on essaie de s’adapter».

Mais il tient un discours rassurant quant aux ressources mises en place pour soutenir les étudiants. Il estime que La Centrale, le centre d’appui aux étudiants, est présente quand les étudiants en ont besoin. De la réussite académique aux problèmes de santé mentale, tout est couvert.

Martin Poirier le confirme, tout en y mettant un bémol. Il est vrai que les élèves de Calgary peuvent se sentir plus isolés que celles et ceux du campus à Edmonton, du fait que ces services sont généralement en ligne. Il n’est pas possible de voir un psychologue en personne, cette année, à Calgary, «tout est en ligne», mais il ajoute que cela sera certainement possible pour la rentrée universitaire prochaine.

À chaque défi, il y a des solutions. Pour briser l’isolement, les professeurs essaient de donner des travaux d’équipe, des projets de groupe aux étudiants afin qu’ils puissent se réunir.

— Martin Poirier

Un cursus académique sans temps morts

Aka Kouame a eu du mal à prendre le rythme avec ses nombreux cours au premier semestre. Ayant déjà eu des postes à responsabilités dans son pays, il évoque que les premiers mois sont peut-être trop académiques. «Lorsque l’on est inscrit en ligne sur le programme de deux ans, c’est pour nous préparer au mieux pour être des enseignants aguerris, mais là, j’ai plus l’impression d’être au lycée, où l’on doit étudier pour avoir des bonnes notes pour aller en seconde année» plutôt que de travailler plus sur l’aspect pédagogique et pratique. Le rythme n’est pas facile, il lui arrive souvent de ne dormir que trois ou quatre heures par nuit. Il espère très rapidement être dans une classe pour mieux comprendre son rôle et répondre à certaines mises en situation qui lui permettront d’être un bon enseignant. 

Martin Poirier l’admet, la première année est plus théorique malgré un stage dans la première année. «Effectivement, les cours sont très académiques, il faut comprendre l’entropie, comment cela fonctionne, comment faire un plan de cours, etc.» Mais, en deuxième année, ce sont des enseignants, des directeurs en exercice qui accompagnent les étudiants dans les écoles. Les cours sont beaucoup plus pratiques. 

Les stagiaires sont amenés à se retrouver dans les programmes francophones et d’immersion française. Il avoue que, quelque part, cela comble aussi un certain manque d’enseignants, donc tous les établissements sont heureux de les avoir. Mais pour pallier les difficultés à la fois familiales et financières de certains étudiants, il émet le désir secret de voir les étudiants être rémunérés par le gouvernement albertain lors de leur stage «comme les médecins».

Effectivement, les cours sont très académiques, il faut comprendre l’entropie, comment cela fonctionne, comment faire un plan de cours, etc.

— Martin Poirier

C’est par une petite porte que l’on entre dans l’espace limité du campus satellite de Calgary du Campus Saint-Jean. Photo : Arnaud Barbet    

Pérennité et développement  

Car si le programme a atteint son seuil de rentabilité avec plus de 200 étudiants, 273 exactement, ils sont 142 en présentiel. «On est rendu à un point où il va falloir déménager, un excellent problème à avoir», explique le doyen Jason Carey. 

Martin Poirier ajoute qu’ils «essaient de trouver un plus gros bateau», un nouveau site à Calgary. Enthousiaste, il espère vraiment y être en septembre, mais, en attendant, lorsque la place manque, le campus satellite loue des locaux, «comme le vendredi soir, à l’École de la Rose sauvage». Il espère néanmoins ne pas avoir à reproduire ce modèle trop longtemps.

Glossaire – Comodal : Mode d’enseignement qui se déroule, de manière simultanée, à la fois en personne et à distance.