le Vendredi 21 novembre 2025
le Jeudi 20 novembre 2025 14:46 Environnement

L’Alberta perd son élan dans les énergies renouvelables

Saint-Albert a équipé trois de ses bâtiments avec des installations solaires. Photo : Courtoisie
Saint-Albert a équipé trois de ses bâtiments avec des installations solaires. Photo : Courtoisie

IJL - Si l’Alberta est, sans contredit, le cœur pétrolier du pays, elle a aussi été la locomotive canadienne de l’énergie renouvelable dans les dernières années. Mais la province semble aujourd’hui lever le pied et connaît un net ralentissement dans le développement de nouveaux projets solaires et éoliens. En cause : une série de décisions politiques et réglementaires qui ont refroidi les investisseurs et ébranlé un marché pourtant florissant.

L’Alberta perd son élan dans les énergies renouvelables
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DOSSIER SPÉCIAL

L’ALBERTA CHERCHE SON ÉQUILIBRE

L’Alberta traverse un moment charnière de son histoire énergétique. Entre ambitions économiques, pressions environnementales et tensions fédérales-provinciales, la province cherche à rester chef de file. Ce dossier explore les multiples visages de cette transformation : des technologies de captage du carbone aux grands projets d’oléoducs, en passant par le ralentissement des énergies renouvelables.

Will Noel est analyste principal à l’Institut Pembina. Photo : Courtoisie

«L’Alberta a été dans les cinq à dix dernières années la province la plus dynamique du pays pour les projets solaires et éoliens», affirme d’entrée de jeu Will Noel, analyste principal à l’Institut Pembina, un organisme indépendant de recherche et de sensibilisation sur l’énergie et l’environnement.

Une donnée confirmée par l’Association canadienne de l’énergie renouvelable : en 2023, 92 pour cent des nouveaux projets d’énergie propre au pays se construisaient en Alberta.

Cet essor spectaculaire reposait sur un marché de l’électricité déréglementé, où les entreprises pouvaient conclure des contrats à long terme, des accords d’achat d’énergie (power purchase agreements – PPA), garantissant un prix fixe pour l’électricité produite. Ce mécanisme offrait une stabilité financière aux promoteurs, tout en permettant aux entreprises de soutenir la construction de nouvelles installations renouvelables et de progresser vers leurs objectifs de décarbonation.

Or, depuis le moratoire imposé sur les projets renouvelables, la situation a changé du tout au tout. «Les développeurs et investisseurs ont été bombardés de nouvelles restrictions», résume Will Noel. Rappelons que ce moratoire de sept mois, décrété par l’Alberta en août 2023, sur les nouveaux projets d’énergie renouvelable de plus d’un mégawatt avait pour objectif d’examiner les répercussions des parcs solaires et éoliens sur les terres agricoles, le paysage et l’environnement. 

Parmi les mesures restrictives, l’interdiction d’implanter des projets dans certaines zones – terres irriguées, agricoles ou à forte proportion de prairies naturelles –, des exigences supplémentaires sur le recyclage des équipements, des incertitudes sur la réglementation du transport d’électricité et une réforme du marché énergétique jugée défavorable, dit-il.

Résultat des courses : le nombre de nouveaux projets est désormais en chute libre. Selon le Business Renewables Centre Canada, l’organisation sœur de Pembina, l’année 2025 a été la plus faible en termes de PPA. «Nous n’avons vu que six mégawatts de nouvelles ententes signées, comparativement à plus de 1500 mégawatts contractés par des entreprises au cours des deux années précédant le moratoire», mentionne son directeur, Jorden Dye.

L’Alberta a été dans les cinq à dix dernières années la province la plus dynamique du pays pour les projets solaires et éoliens

— Will Noel

Jorden Dye est directeur du Business Renewables Centre Canada. Photo : Courtoisie

L’impact sur le terrain

Ce durcissement réglementaire a aussi freiné l’enthousiasme des investisseurs pour les projets déjà en développement. Plusieurs se sont retirés de la file d’attente des projets, signe que le déploiement éolien et solaire marque le pas dans la province.

«On comprend que ce ne sont pas tous les projets proposés qui vont aboutir, mais ce qu’on remarque, c’est qu’il y a un nombre considérable de projets renouvelables qui ont été annulés, 44 pour cent depuis deux ans», laisse entendre Will Noel.

Depuis 2023, les plus touchés sont les projets éoliens avec 64% d’entre eux qui ont été annulés contre 49 pour cent des projets de production d’énergie solaire. À l’inverse, les projets de centrales au gaz naturel ont augmenté de 32 pour cent durant la même période.

Et pendant que l’Alberta piétine, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et le Québec poursuivent leur expansion en lançant de nouveaux appels d’offres pour accroître leur capacité en énergie propre. «Il existe un risque bien réel que l’Alberta passe du statut de chef de file à celui de retardataire en matière de développement des énergies renouvelables, par rapport au reste du Canada», avertit l’analyste.

Cette perte de vitesse ne se mesure pas seulement en mégawatts : elle se traduit aussi par des conséquences économiques directes pour les collectivités locales. «Les municipalités ont tiré environ 54 millions de dollars en 2024 de projets éoliens et solaires», ajoute-t-il. À Pincher Creek, cela représente 30 pour cent des revenus opérationnels de la municipalité et jusqu’à 51 pour cent pour le comté de Forty Mile.

Mais si de nouveaux projets ne voient pas le jour, ces revenus risquent de s’effriter et les municipalités devront «trouver d’autres sources de financement», prévient Jorden Dye, directeur du Business Renewables Centre Canada. 

«Même pour une petite communauté comme celle du comté de Newell, où les projets d’énergie renouvelable représentent à peine 1 pour cent des revenus opérationnels, cela équivaut tout de même à 430 000 dollars. C’est une source de revenus stable qui aide la municipalité à mieux planifier ses dépenses et ses investissements, mais qui pourrait disparaître», souligne-t-il.

C’est d’ailleurs le sud de la province qui pourrait en souffrir le plus. Cette région, qui est particulièrement ensoleillée et venteuse, a connu «le plus gros développement au cours des dernières années», rappelle-t-il.

Les municipalités ont tiré environ 54 millions de dollars en 2024 de projets éoliens et solaires

— Will Noel

La directrice générale de Solar Alberta, Heather MacKenzie. Photo : Courtoisie

À plus petite échelle

Si certaines municipalités risquent de voir leurs revenus diminuer avec la baisse des projets à grande échelle, d’autres tentent de reprendre la main sur la transition énergétique. À défaut d’accueillir de nouvelles fermes solaires ou éoliennes, elles cherchent à stimuler la production locale d’énergie propre en soutenant directement les citoyens et les entreprises.

Mais ce n’est pas gagné d’avance, explique Heather MacKenzie, directrice générale de Solar Alberta, un organisme sans but lucratif qui défend et sensibilise au développement de l’énergie solaire dans la communauté. Selon le Solar Report Card 2024, seule la ville d’Edmonton obtient la note de passage pour ses politiques d’énergie propre. Red Deer, à l’inverse, arrive dernière, faute d’avoir implanté un programme de financement vert. 

«Mais même dans la capitale, il reste beaucoup à faire. Nous avons surtout voulu montrer que la plupart des municipalités ont une large marge de progression et que plusieurs petites collectivités, comme Devon, Saint-Albert ou Airdrie, ne font pas si mal par rapport aux grandes villes.»

Le rapport évalue notamment la présence de programmes municipaux de financement vert, comme le Clean Energy Improvement Program (CEIP), qui permet aux propriétaires d’obtenir un prêt à faible taux pour installer des panneaux solaires ou améliorer l’efficacité énergétique de leur bâtiment.

Heather MacKenzie insiste sur l’importance de ces programmes, particulièrement depuis la disparition des prêts et subventions de l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes. «Sans financement accessible, l’adoption du solaire risque de ralentir considérablement, alors que ces initiatives locales sont parmi les plus efficaces pour faire croître le marché résidentiel», dit-elle. 

Les deux visages du solaire 

En effet, pendant que les grands projets stagnent, les toits des Albertains, eux, continuent de se couvrir de panneaux solaires. Pour Heather MacKenzie, la province vit actuellement «deux réalités parallèles». Sur le plan résidentiel, le développement du solaire se porte à merveille. «Nous avons maintenant plus de 30 000 systèmes solaires installés sur des résidences et des commerces, et ce nombre augmente d’environ un millier par mois», souligne-t-elle. Il y a cinq ans, la croissance atteignait à peine cent installations mensuelles.

Selon elle, cette expansion rapide s’explique par deux facteurs : la réglementation sur la microgénération, «la plus favorable au Canada», et l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes (qui a pris fin). «C’est vraiment grâce à ces mécanismes que les Albertains ont pu rentabiliser leurs installations», exprime-t-elle.

Sur le plan industriel, en revanche, la directrice générale fait écho aux constats du Pembina Institute. «Si on nous empêche d’investir dans le solaire, on compromet aussi notre capacité à atteindre un réseau carboneutre d’ici 2050, qui est pourtant l’un des objectifs du gouvernement provincial», avertit-elle.

Il nous manque encore certaines mesures, comme un règlement municipal [à St-Albert] qui rendrait obligatoire la préparation des bâtiments à recevoir des installations solaires

— Heather MacKenzie

Gage Tweedy est spécialiste en énergie municipale pour la Ville de Saint-Albert. Photo : Courtoisie

Produire localement, un vrai crédo 

Malgré son résultat modeste de 40 pour cent dans le Solar Report Card de Solar Alberta, la ville de Saint-Albert fait de l’utilisation durable de l’énergie l’une de ses priorités. Selon Gage Tweedy, spécialiste en énergie municipale, l’installation de panneaux solaires demeure «l’un des moyens les plus simples et les plus efficaces de réduire nos émissions de gaz à effet de serre».

«On n’a pas obtenu une note exceptionnelle, mais en comparaison avec des centres urbains comme Edmonton ou Calgary, qui disposent de moyens beaucoup plus importants, Saint-Albert s’en tire très bien, explique-t-il. Et si l’on pense à Canmore ou Banff, qui affichent des résultats similaires aux nôtres, il faut rappeler qu’ils bénéficient de revenus touristiques qui leur donnent une longueur d’avance.»

La municipalité a déjà équipé trois bâtiments publics de grandes installations solaires : le Servus Place, le Jack Craft Centre et la Don Liggett Place. D’autres projets sont en cours, notamment à l’hôtel de ville. «Chaque fois que nous obtenons du financement externe, cela fait une énorme différence», souligne M. Tweedy.

La Ville mise aussi sur la participation citoyenne, comme le suggère Heather MacKenzie. Son programme d’amélioration énergétique permet aux résidents d’installer des panneaux solaires ou d’autres mesures d’efficacité énergétique sans payer les coûts initiaux, en les remboursant graduellement sur leur facture de taxes foncières.

«Il nous manque encore certaines mesures, comme un règlement municipal qui rendrait obligatoire la préparation des bâtiments à recevoir des installations solaires, mais on se penche là-dessus», conclut-il.

Glossaire – Marquer le pas : Ralentir, cesser sa progression