le Lundi 12 mai 2025
le Samedi 10 mai 2025 22:47 Francophonie

Une œuvre effacée, une mémoire en péril

La murale, située à l’entrée du pavillon McMahon, au Campus Saint-Jean, a été réalisée par James A. Marshall. Photo : Courtoisie - SHFA
La murale, située à l’entrée du pavillon McMahon, au Campus Saint-Jean, a été réalisée par James A. Marshall. Photo : Courtoisie - SHFA
Face au recouvrement imminent de la murale de briques située à l’entrée du pavillon McMahon, la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA), l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et le Club 50+ région d’Edmonton unissent leur voix pour dénoncer une nouvelle atteinte à l’identité historique du Campus Saint-Jean.
Une œuvre effacée, une mémoire en péril
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Claudette Roy est la présidente de la SHFA. Photo : Courtoisie

L’œuvre de l’artiste James A. Marshall, installée en 1997 dans l’entrée du pavillon McMahon, avait été conçue à partir de suggestions du personnel de l’établissement et visait à illustrer la vie étudiante en français, explique Claudette Roy, présidente de la SHFA. Sa disparition prochaine, annoncée par courriel par l’administration du Campus Saint-Jean, suscite des inquiétudes au sein de l’organisme chargé de préserver le patrimoine francophone de l’Alberta. Sa présidente affirme ne pas avoir été consultée en amont.

«On a encore été mis devant le [fait accompli], ce qui équivaut à un manque de respect et de transparence», affirme-t-elle. Elle établit un parallèle avec la fermeture, en 2023, de la salle historique Onésime Dorval, une autre décision qui, selon elle, avait été prise sans dialogue formel avec les organismes concernés. La SHFA s’inquiète notamment des répercussions qu’auront ces décisions administratives sur la place accordée à l’histoire et à la mémoire franco-albertaine. 

«On nous a dit que la murale ne correspond plus à la nouvelle vision de Saint-Jean, mais on ne sait pas ce que c’est, cette nouvelle vision-là. On nous a déjà dit qu’on [allait] nous consulter pour établir un nouveau récit de l’histoire. Ce sont des choses qui sont dites pour nous apaiser et nous réconforter, mais il n’y a jamais rien qui sort de ça», poursuit-elle.

Dans une lettre adressée au président William Flanagan le 1er mai 2025, la SHFA formule quatre demandes : la suspension immédiate des travaux de recouvrement et du retrait des symboles patrimoniaux; la reconnaissance du Campus Saint-Jean comme site historique; la tenue d’un examen indépendant sur les décisions entourant le recouvrement de l’œuvre et d’autres gestes jugés «préoccupants»; et la mise en place d’un partenariat formel avec la communauté pour assurer une gestion concertée et durable des objets à valeur patrimoniale.

(De gauche à droite) James A. Marshall, accompagné du maçon Shayne Kruger, pour la phase d’installation des briques lors de la rénovation de la murale du square Rouleauville à Calgary après que celle-ci a été endommagée par une voiture. Un autre témoignage de la francophonie albertaine. Photo – Courtoisie James Marshall – Archives Le Franco

Des explications attendues 

L’administration du Campus Saint-Jean n’était pas disponible pour commenter la situation. Le président de l’Université de l’Alberta, William Flanagan, a toutefois transmis une déclaration écrite à la rédaction, confirmant que le projet de recouvrement ira de l’avant dans le cadre des rénovations en cours au pavillon McMahon. Des images en haute résolution de l’œuvre murale ont été capturées et seront éventuellement rendues accessibles au public.

Alors que la SHFA dit avoir été informée que la murale ne correspondait plus à la «nouvelle vision» du Campus, M. Flanagan invoque, pour sa part, des contraintes d’ordre pratique. «La préservation de la fresque dans sa forme actuelle n’est pas une option viable en raison de sa taille, de son emplacement et de sa composition», précise-t-il.

Il assure que la décision «n’a pas été prise à la légère» et qu’elle a été prise en concertation avec «l’équipe de conception, le comité consultatif sur la dénomination de l’Université de l’Alberta et les associations étudiantes, ainsi qu’avec des organisations autochtones externes». Aucune mention n’est toutefois faite des organismes communautaires francophones.

L’Université souligne par ailleurs que l’artiste, James A. Marshall, aurait donné son accord à cette orientation. Ce dernier admet, en effet, avoir donné sa bénédiction, mais nuance. Il précise avoir été «très déçu» d’apprendre que la murale serait recouverte. «Je ne pense pas que j’avais le pouvoir d’empêcher quoi que ce soit ou de leur dire non. Je dois me fier à leur bon jugement et j’espère qu’ils ont tout fait pour tenter de conserver la murale», indique-t-il.

Nathalie Lachance, présidente de l’ACFA. Photo : Courtoisie

La francophonie interpelle l’Université 

De son côté, l’ACFA a sollicité une rencontre avec l’administration de l’Université afin de «mieux comprendre la situation» qui provoque des «préoccupations profondes» dans la francophonie et de «trouver des solutions qui respectent la mémoire historique et culturelle [des] communautés», écrit sa présidente, Nathalie Lachance.

La présidente du Club 50+ région d’Edmonton, Nicole Fortin, dit, quant à elle, observer avec inquiétude le retrait progressif des symboles liés à l’histoire du Campus Saint-Jean et à la présence francophone dans l’espace public. Dans une autre lettre transmise à M. Flanagan, elle évoque notamment la dissolution récente de l’Amicale Saint-Jean, l’association des anciens, qu’elle qualifie de «fait inhabituel pour une institution universitaire canadienne de renom»

À ses yeux, le recouvrement de la murale s’inscrit dans «une tendance plus large visant à affaiblir les liens historiques entre [l’]établissement et la communauté qui l’a soutenu depuis ses débuts».

Elle déplore également l’absence de consultation auprès de la communauté avant le recouvrement de l’œuvre, contrairement à d’autres cas récents, comme celui de la murale Glyde, une œuvre controversée de la Faculté des arts de l’Université de l’Alberta dont le retrait, annoncé en mars 2025, a été précédé de trois années de consultations publiques. «Nous tenons à souligner que cette œuvre [de James A. Marshall] ne comporte aucun élément offensant qui justifierait son retrait précipité», ajoute-t-elle.

Enfin, Nicole Fortin interpelle à son tour l’administration, estimant que, si l’Université juge la murale incompatible avec sa vision actuelle, elle a désormais le devoir de clarifier les orientations qu’elle souhaite promouvoir et d’en expliquer les fondements. «La communauté francophone, partie intégrante de l’histoire et du développement de votre institution, est en droit d’obtenir des explications transparentes sur ces choix qui affectent notre patrimoine commun», conclut-elle. 

Glossaire – Renom : opinion favorable et répandue