Une francophonie plurielle
Depuis vingt ans, la francophonie albertaine se transforme et s’élargit. En 2021, Statistique Canada rapportait que près de 30% des francophones dans la province étaient issus de l’immigration. Notre communauté est ainsi devenue une mosaïque d’histoires et de parcours. Ce numéro célèbre cette richesse, moteur de vitalité, tout en donnant voix aux enjeux qui l’accompagnent.
Hervé Talla Ndefo, conseiller en emploi pour Parallèle Alberta, s’est installé récemment à Edmonton avec sa famille. Photo : Courtoisie
«Oui, j’ai été étonné à mon arrivée», confie Hervé Talla Ndefo, établi à Edmonton avec sa famille depuis mai 2024. Le système juridique de l’Alberta – et plus largement du Canada – repose en effet sur des principes bien différents que ceux de son Cameroun d’origine, une réalité que ce spécialiste en ressources humaines et détenteur d’une maîtrise en droit, a rapidement constatée.
«J’ai toujours ce réflexe de juriste : chaque fois qu’il y a quelque chose qui change dans ma vie, je cherche à trouver l’impact légal et social de ce changement, raconte-t-il. Alors, j’ai essayé de me préparer le plus possible lors de ma procédure d’immigration, pour me familiariser avec l’environnement légal. Ça a aidé…»
Parmi les surprises relevées à son arrivée, la protection des animaux figure en tête de liste. La loi en Alberta interdit de causer ou de laisser un animal en détresse. «Dans les pays d’Afrique, les animaux n’ont pas nécessairement le même traitement qu’ici. C’est vrai qu’on a des vétérinaires, mais l’attention que les Canadiens donnent à leurs chiens et leurs chats mérite vraiment beaucoup d’admiration», observe-t-il.
Autre différence marquante : le droit entourant le logement. Au Cameroun, les règles qui encadrent la construction sont beaucoup plus souples. «On n’a pas besoin de faire approuver un plan de construction avec les mêmes réglementations qu’ici», illustre-t-il. Quant aux locataires, ils ne sont pas tenus de souscrire systématiquement à une assurance habitation, cette responsabilité incombant plutôt aux propriétaires.
L’attention que les Canadiens donnent à leurs chiens et leurs chats mérite vraiment beaucoup d’admiration
Maria Vigneault est la directrice générale de l’AJEFA. Photo : Courtoisie
Faciliter la transition au pays
L’Association des juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA) est en première ligne pour répondre aux questionnements des nouveaux arrivants. Pas moins de 60% des personnes qui fréquentent son centre d’information juridique sont des résidents permanents, des titulaires de permis de travail ou encore des réfugiés. «C’est notre plus grosse clientèle», souligne sa directrice générale, Maria Vigneault.
Les raisons pour lesquelles les nouveaux arrivants consultent l’organisme sont nombreuses. Le droit entourant le logement fait définitivement partie des questionnements. «Ils se posent des questions sur le dépôt de sécurité et sur le bail», illustre-t-elle. D’autres veulent comprendre leurs droits face à un propriétaire ou à un employeur ou encore les démarches à entreprendre lorsqu’un conflit survient.
Le Centre albertain d’information juridique est aussi régulièrement sollicité par des personnes qui s’interrogent sur le droit de l’immigration, notamment sur les différences entre permis ouverts et fermés ou sur les conséquences d’un divorce sur un parrainage.
«Par exemple, si un nouvel arrivant est parrainé par son conjoint et qu’une fois arrivé au Canada, la relation ne fonctionne plus… Il peut alors se demander s’il a le droit de demander le divorce et si cela aura un impact sur son statut d’immigrant», mentionne-t-elle.
D’après la directrice générale, offrir de tels services aux nouveaux arrivants est «primordial». Chaque jour, elle constate à quel point certains se retrouvent démunis face à un cadre juridique complexe et inédit. «Nos agents juridiques jouent aussi un rôle psychologique», souligne-t-elle, rappelant que plusieurs arrivent déjà avec un bagage émotionnel lié à leur parcours migratoire.
Elle espère trouver encore plus de façons d’informer cette population sur le fonctionnement juridique de la province et du pays. Pour le moment, cela se fait notamment par une collaboration étroite avec les organismes d’établissement francophones présents dans la province, comme le Portail de l’Immigrant Association (PIA), le Centre d’accueil pour nouveaux arrivants francophones (CANAF) et Francophonie albertaine plurielle (FRAP).
Nos agents juridiques jouent aussi un rôle psychologique
Une collaboration nécessaire
Ensemble, les organismes partenaires organisent des ateliers et des webinaires sur divers thèmes, dont le droit de la famille. «On leur explique que les enfants ici ont des droits et qu’en tant que parents, ils ont des responsabilités. On leur parle aussi de la protection de la jeunesse et des signalements», précise Maria Vigneault.
Pour Vincent Tatto Mfassu, coordonnateur des services d’établissement à la FRAP, l’accès à de l’information juridique en français est crucial pour sa clientèle. «Surtout quand on a affaire à des questions juridiques et complexes, c’est important pour nos bénéficiaires d’être servis dans une langue qu’ils maîtrisent parfaitement», explique-t-il.
La FRAP répond à certaines questions simples, mais confie systématiquement les cas plus complexes à l’AJEFA. «La population que l’on reçoit vient de contextes qui tranchent avec la réalité canadienne. Ça fait vraiment partie des informations préliminaires que l’on donne lors de l’accueil : on essaie de leur expliquer qu’il y a un changement total de paradigme ici, mais, quand les questions deviennent trop spécifiques, on leur suggère de consulter un agent juridique», ajoute-t-il.
De son côté, la directrice générale de l’AJEFA rappelle que les nouveaux arrivants peuvent aussi consulter le Juripédia, une ressource créée par l’organisme pour faciliter l’intégration juridique en Alberta. «On passe par beaucoup de domaines de droit. Parfois, ça vaut la peine de s’informer pour répondre à nos questions plutôt que de consulter tout de suite un avocat, ce qui peut être dispendieux», conclut-elle.
Finalement, par le biais de ses antennes en région et sa présence dans de nombreux évènements francophones, l’AJEFA permet un premier contact avec cette population dans le besoin.
Quand on a affaire à des questions juridiques et complexes, c’est important pour nos bénéficiaires d’être servis dans une langue qu’ils maîtrisent parfaitement
Glossaire – Souscrire : S’engager à payer