le Mercredi 16 avril 2025
le Jeudi 27 mars 2025 10:51 Santé

Le bien-être des immigrants souffre

Amina Houlaf Khoufaf souhaite que la campagne de sensibilisation du RIFA serve à faire prendre conscience aux nouveaux arrivants de l’importance de maintenir un bien-être positif. Photo : Courtoisie
Amina Houlaf Khoufaf souhaite que la campagne de sensibilisation du RIFA serve à faire prendre conscience aux nouveaux arrivants de l’importance de maintenir un bien-être positif. Photo : Courtoisie
Prendre la décision de changer de pays peut être exaltant. Vivre avec cette décision, une fois arrivé dans son nouveau port d’attache, peut être déstabilisant. C’est dans cette perspective que le bien-être des nouveaux arrivants doit être pris au sérieux, tant sur le plan physique que mental. Le Réseau en immigration francophone de l’Alberta (RIFA) l’a compris.
Le bien-être des immigrants souffre
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Conscient de la réalité des nouveaux venus en Alberta, le RIFA a récemment lancé une campagne de sensibilisation dédiée au bien-être des immigrants francophones.

Avant de lancer cette campagne, qui se poursuivra jusqu’au début de mars, le RIFA a pris le temps d’analyser la situation et de consulter les intervenants de première ligne. «C’est à partir de ces séances de travail que l’idée est née», explique Amina Houfaf Khoufaf, agente de communication de l’organisme. 

Elle explique qu’il a fallu échanger et finalement dispenser une formation à celles et ceux qui sont sur le terrain. «Avant de sensibiliser le grand public, nous avons d’abord commencé par outiller les conseillers et conseillères en établissement. Ce sont eux qui reçoivent directement les nouveaux arrivants et qui travaillent avec eux.»

Une initiative née d’un constat alarmant

Amina Houfaf Khoufaf assure que les défis rencontrés par ces intervenants sont nombreux et qu’ils sont souvent témoins des difficultés d’adaptation des nouveaux arrivants. Des difficultés qui ont souvent pour conséquence d’affecter la santé mentale des immigrants. Ces discussions ont aussi permis de mettre en lumière et de mieux comprendre les principaux obstacles auxquels font face les immigrants : adaptation culturelle, barrière linguistique, difficulté à trouver un emploi et reconnaissance des diplômes étrangers. 

«Quand on arrive en Alberta, ce n’est pas juste un changement de pays, c’est souvent un changement de continent. Beaucoup doivent gérer la pression financière, les démarches administratives et l’intégration de toute leur famille. C’est un stress énorme», insiste l’agente de communication.

En tant que coordonnatrice à la CFA, Miryam Ben Romdhane est bien placée pour voir la détresse des nouveaux arrivants. Photo : Courtoisie

Des outils concrets pour sensibiliser et accompagner

Pour rendre cette sensibilisation plus accessible, le RIFA a misé sur des capsules vidéo, cinq au total. La première a été publiée le 13 février. «Nous avons choisi de parler de bien-être mental, physique et émotionnel, plutôt que de santé mentale, car ce terme peut parfois être mal perçu», explique-t-elle.

L’objectif de ces vidéos est d’aborder le sujet de manière positive et déstigmatisée. «Nous avons voulu éviter d’utiliser un ton trop médical ou alarmiste. L’idée est de normaliser la discussion sur le bien-être sans qu’elle soit perçue comme une faiblesse», précise Amina.

La campagne de sensibilisation sera clôturée par le partage du répertoire des services sociaux et de santé mentale de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), l’organisme porte-parole de la francophonie albertaine et membre du groupe de travail qui a amorcé cette campagne. 

Une panoplie d’obstacles

Miryam Ben Romdhane, de la Communauté Francophone Accueillante (CFA) de Calgary, accueille avec bienveillance cette campagne, à la fois comme coordonnatrice et comme conjointe d’un homme à la recherche d’un emploi.

Elle passe en revue toutes les embûches qui se dressent sur le chemin des nouveaux arrivants. «L’accès au marché du travail est très compliqué, explique-t-elle. On exige une expérience canadienne. Pourtant, les gens ont 10, 15 et 20 ans d’expérience dans leur pays d’origine, mais, malheureusement, ils n’ont pas d’expérience au Canada.» Résultat, de nombreux immigrants acceptent des emplois précaires et/ou s’inscrivent à de nouvelles formations pour finalement pouvoir exercer leur métier un jour.

Le manque de financement pour l’apprentissage de l’anglais s’ajoute au lot des difficultés d’intégration. Selon Miryam, «il n’y a pas de financement pour leur permettre d’apprendre l’anglais».

Et pour ajouter au parcours du combattant, les nouveaux arrivants font également face à la crise du logement. Selon un grand nombre, trouver un logement abordable devient en effet un véritable défi, surtout pour les familles. Entre les loyers élevés et le coût de la vie grandissant, certains se retrouvent dans une situation fragile dès leur arrivée.

L’accès aux services en français est un autre problème majeur, notamment en santé. «Il y a peu de médecins francophones», constate la coordonnatrice. Pour des personnes qui ne maîtrisent pas encore l’anglais, cela peut représenter un autre obstacle important pour leur bien-être et celui de leur famille.

Il faut savoir qu’Entrée express est un système en ligne du gouvernement canadien utilisé pour gérer les demandes de résidence permanente pour trois types de programmes d’immigration : Catégorie de l’expérience canadienne, Programme des travailleurs qualifiés ​​(fédéral) et Programme des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral).

Si sa situation ne s’améliore pas en Alberta, Raouf Farah pourrait être tenté de retourner au Québec. Photo : Courtoisie

Des attentes en décalage avec la réalité

Beaucoup d’immigrants arrivent avec l’idée que le Canada leur offrira rapidement une vie meilleure, mais la réalité est souvent plus dure. «La majorité a connu cette déception», admet Miryam. Entre les difficultés d’emploi, les problèmes de logement et les barrières linguistiques, «je dirais que 60-70% des gens passent par une phase dépressive».

Si elle a réussi à s’intégrer et à trouver un emploi stable, son mari, lui, a connu un parcours plus difficile. «Il a vu que les salaires ne sont pas aussi élevés dans les organismes francophones», raconte-t-elle. Alors, pour améliorer ses chances sur le marché du travail, il a commencé à suivre des cours d’anglais, mais le manque de financement l’a contraint à arrêter. Il a dû se tourner vers des emplois plus précaires comme chauffeur Uber.

Cette situation a un impact psychologique important. L’absence d’un réseau de soutien et le manque de perspectives professionnelles mettent souvent les hommes immigrants dans une position délicate, surtout lorsqu’ils viennent de cultures où le rôle de subvenir à la famille est ancré et essentiel.

Un diplôme reconnu, mais inutilisable

L’immigration est souvent perçue comme une promesse d’un avenir meilleur, mais pour Sabrine – nous respectons ici sa demande de garder confidentiel son nom de famille – ingénieure en biologie industrielle et titulaire d’un master en agroalimentaire, la réalité est bien plus complexe. 

Arrivée en Alberta par le biais d’Entrée express, elle espérait mettre à profit ses compétences et son expérience internationale. Pourtant, elle se retrouve aujourd’hui dans l’impasse.

L’obstacle principal : la reconnaissance des diplômes. «J’ai fait l’équivalence de mes diplômes au Canada, raconte Sabrine, et ils sont reconnus comme deux diplômes de master. Mais ça ne suffit pas.» En Alberta, elle ne peut pas exercer comme ingénieure sans passer par un processus de certification long et coûteux. Expérimentée, l’ancienne enseignante dans de nombreuses écoles internationales francophones ne voit aucune porte s’ouvrir et elle n’est pas toute seule.

Raouf Farah, Tunisien également, vit la même situation. Mais en plus, il a 10 ans d’expérience comme ingénieur en Ontario et au Québec et sa résidence permanente! «Quand je postule à un emploi, je reçois une réponse négative trois mois plus tard, sans explication, ou aucune réponse du tout. Je me sens comme si je lançais mes candidatures dans un trou noir.» C’est ça qui est le plus frustrant pour lui.

Son statut d’immigrant complique aussi son quotidien. Sans emploi, louer un logement devient presque impossible. «Pour louer, il faut une preuve d’emploi. Et cette preuve, je ne peux pas l’avoir parce que je n’ai justement pas d’emploi. C’est un cercle vicieux», ajoute-t-il, désemparé. Face à cette impasse, M. Farah souligne la nécessité de mieux préparer l’intégration des nouveaux arrivants, surtout pour les métiers réglementés comme celui d’ingénieur. Il recommande aux futurs immigrants de ne pas sous-estimer la difficulté du processus.

Face à des phrases déchirantes comme celle de Sabrine qui, de sa voix brisée, lance un «j’ai vraiment tout essayé…», Miryam Ben Romdhane est convaincue que l’élément clé de la réussite en tant que nouvel arrivant, c’est la préparation. Et surtout de se rappeler les raisons qui nous ont fait quitter le pays de nos ancêtres.

Glossaire – Alarmiste : Qui tend à faire peur, à effrayer, à apporter de l’angoisse