
Dossier spécial : La santé mentale dans tous ses états
L’Alberta affiche des statistiques plus préoccupantes que la moyenne nationale en matière de santé mentale.
Taux de suicide parmi les plus élevés au pays, usage accru de substances, détresse psychologique en hausse : les indicateurs sont alarmants, selon plusieurs rapports de l’Association canadienne pour la santé mentale. Ce dossier met en lumière des souffrances et des enjeux souvent invisibles : du burnout au stress financier en passant par les troubles alimentaires et les défis d’adaptation des jeunes adultes à l’université (retrouvez 5 articles dans nos pages).
IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Dre Michelle Dion est la créatrice d’Éduc-Franco Santé qui informe les francophones sur la santé grâce, entre autres, à des capsules vidéos publiées sur les médias sociaux. Photo : Courtoisie
«On a vu une augmentation marquée de l’usage des appareils pendant la pandémie. Pour beaucoup, c’était une forme d’adaptation face à l’isolement. Mais ce qui devait être temporaire est devenu chronique», explique Dre Michelle Dion, médecin de famille à Edmonton. Ce glissement progressif inquiète la professionnelle de la santé qui observe une normalisation inquiétante des comportements de dépendance chez les jeunes, mais parfois aussi chez les plus âgés.
L’un des dangers majeurs, selon elle, est l’engourdissement émotionnel que provoque la surexposition aux écrans. «Quand on se tourne systématiquement vers notre téléphone au moindre inconfort, on n’apprend plus à tolérer l’ennui, l’incertitude ou même l’émotion brute. On anesthésie nos ressentis», dit-elle, évoquant une forme de fuite psychologique alimentée par l’algorithme.
Mais les conséquences ne sont pas seulement émotionnelles, elles sont aussi physiques : troubles du sommeil, douleurs cervicales, migraines, diminution de l’activité sportive. «Ce n’est pas seulement une question de bien-être psychologique; il y a des implications réelles, mesurables, sur la santé globale», insiste-t-elle.

Pour un sommeil beaucoup plus réparateur, Simi Odusanya recommande tout simplement de lire avant de se coucher au lieu de regarder son écran de téléphone cellulaire. Photo : Courtoisie
Adaptation contre dépendance
Il ne s’agit pas de jeter à la poubelle cellulaire, tablette numérique ou ordinateur, mais de retrouver un équilibre. «Le téléphone peut être un outil formidable. Mais quand il devient une extension de notre main, qu’on ne peut plus passer une heure sans le consulter, il faut se poser des questions», laisse tomber Dre Dion. Elle évoque aussi le rôle clé des parents et des éducateurs, «le modèle qu’on offre aux enfants est fondamental. Si nous sommes constamment accrochés à nos écrans, difficile de leur demander de décrocher».
Pour sensibiliser les gens à cette dépendance, la Dre Dion a fait appel à deux jeunes étudiants en biologie du Campus Saint-Jean afin de produire une capsule vidéo sur le sujet dans le cadre d’Éduc-Franco Santé, un organisme et une chaine YouTube franco-albertaine.
Dans cette capsule vidéo de 3 minutes, souvent amusante, Simi Odusanya et Catelyn Keough abordent l’effet de l’utilisation de l’écran sur le sommeil. Ils ont aussi développé un atelier qu’ils présentent dans diverses écoles francophones de la province.
Les deux étudiants reconnaissent que leur génération, ayant grandi avec les téléphones, découvre peu à peu l’impact de cette exposition prolongée. «Maintenant, on connaît plus les effets néfastes et on veut juste en partager quelques-uns», explique Simi.

Catelyn Keough suggère une activité lorsqu’on va au restaurant. Là-bas, toutes les personnes présentes à votre table déposent leur cellulaire au milieu de celle-ci et ne peuvent pas y toucher durant tout le repas… Qui sera le gagnant? Photo : Courtoisie
Quant à Catelyn, elle explique qu’en soi, utiliser un écran procure du bonheur. En cause, la dopamine, un neurotransmetteur, qui joue un rôle important dans la communication avec le cerveau. Mais cette molécule du plaisir peut aussi mener vers la dépendance. «Si on commence tôt le matin à utiliser son écran, c’est comme un citron, ça va juste squeezer et on n’aura plus de dopamine pour le reste de la journée», explique-t-elle de manière imagée.
Simi Odusanya avoue que le soir, dans son lit, il a remplacé son cellulaire par un livre, ce qui l’amène vers un sommeil beaucoup plus paisible. «Avant, mon cell affectait mon niveau d’énergie pour les sports, pour aller à l’école… Si tu dors moins, tu n’as pas assez d’énergie physiquement pour faire ce que tu as besoin de faire», développe-t-il.
Les inquiétudes et interrogations de Dre Dion et de ces étudiants rejoignent de bien nombreuses études à travers le monde. Elle cite en exemple une enquête de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV) qui dévoilait en 2020 que plus d’un Français sur deux estimait que «la thématique du sommeil est un sujet de santé plus important qu’il y a 20 ans». L’enquête INSV/MGEN 2020 démontre aussi que l’augmentation de l’usage des écrans le soir entraîne beaucoup plus de réveils nocturnes.
Pour sortir de cette spirale, Dre Dion propose quelques gestes simples, mais très évocateurs : désactiver les notifications non essentielles, instaurer des moments sans écran dans la journée (notamment lors des repas) et retrouver le goût du silence. «Le cerveau a besoin de temps de pause, de latence. C’est dans ces moments-là qu’on réfléchit, qu’on rêve, qu’on crée.»
Glossaire – Neurotransmetteur : messagers chimiques qui participent à la communication entre le cerveau et l’organisme.