le Samedi 17 mai 2025
le Mercredi 14 mai 2025 10:50 Santé

Des soins en français à portée de main à Calgary, mais peu visibles

Les résultats de l’étude ont été dévoilés en ligne et en présentiel, devant une soixantaine de membres de la communauté francophone. Photo : Arnaud Barbet
Les résultats de l’étude ont été dévoilés en ligne et en présentiel, devant une soixantaine de membres de la communauté francophone. Photo : Arnaud Barbet
Le Réseau santé Alberta (RSA) a présenté son rapport officiel sur les services de santé en français dans la région de Calgary le 29 avril dernier, devant une soixantaine de personnes. Réalisée par le cabinet KPMG, l’étude révèle que, même si la majorité des francophones vivent à proximité de services de soins primaires offerts en français, beaucoup semblent en ignorer l’existence.
Des soins en français à portée de main à Calgary, mais peu visibles
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Marie-Claude Côté est la directrice générale du Réseau santé Alberta. Photo : Arnaud Barbet

«Il y a une déconnexion entre les services de santé offerts en français et ce que les gens pensent être disponibles. Ça nous a sauté aux yeux», affirme Marie-Claude Côté, directrice générale du RSA.

Selon les données recueillies, la population francophone de la région bénéficierait d’un ratio de 79 médecins pour 10 000 habitants, bien au-delà de la moyenne albertaine, établie à 25 médecins pour le même nombre d’habitants. Parmi ces professionnels de la santé, 81,25% acceptent de nouveaux patients et 87,5% affirment disposer des ressources nécessaires pour offrir des soins en français.

Or, 65% des répondants de l’étude affirment ne pas avoir eu accès à des services de santé en français au cours des cinq dernières années, et ce, malgré le fait que la grande majorité réside à moins de 15 minutes en voiture d’un prestataire de soins primaires capable de s’exprimer en français. 

Ce constat souligne le besoin de renforcer la sensibilisation et d’offrir de meilleurs outils pour repérer ces services, souligne la directrice générale. «Il y a beaucoup de travail à faire pour améliorer l’accès et faire en sorte que l’information circule mieux. Mais ça ne va pas arriver du jour au lendemain.»

L’amélioration du répertoire de professionnels du RSA figure parmi les recommandations proposées pour faciliter l’accès aux services en français. Parmi les pistes envisagées, l’ajout d’un outil de géolocalisation pour indiquer dans quel quartier exerce chaque professionnel, ainsi qu’un indicateur de disponibilité.

«J’aimerais qu’on se dirige vers une application plutôt qu’un simple site web, suggère Marie-Claude Côté. À tout le moins, il faudrait y intégrer le répertoire existant en y ajoutant des informations comme la géolocalisation. Ce serait une bonne base pour ensuite continuer à l’améliorer.»

Le RSA n’exclut pas la possibilité de créer un outil plus centralisé avec l’aide du gouvernement. L’étude de KPMG leur permettra de proposer une telle collaboration en s’appuyant sur les données probantes et le besoin d’améliorer la visibilité des services en français. 

Valérie Jamga Tchatchoua, travailleuse sociale agréée du Portail Immigrant Association, assistait à la présentation du rapport. Photo : Arnaud Barbet

Des résultats surprenants

Valérie Jamga Tchatchoua, une travailleuse sociale agréée qui travaille pour le Portail Immigrant Association (PIA), a été étonnée de découvrir le nombre de professionnels de la santé francophones recensés à Calgary. Dans sa pratique, elle a souvent observé à quel point il est difficile pour les clients de trouver un médecin qui parle français.

«Nous, on en connaît quelques-uns et on les réfère, mais la majorité ne prend plus de nouveaux patients, explique-t-elle. Le PIA est souvent le point d’entrée des immigrants francophones à Calgary. Si nous-mêmes n’avons pas ces informations, il y a fort à parier que la population en général ignore l’existence de ces professionnels.»

Elle accueille favorablement l’idée d’un meilleur outil de référencement. «Je veux savoir qui sont ces professionnels, où ils pratiquent, comment les contacter. Il faut qu’on puisse les joindre facilement», insiste-t-elle.

Danielle Launière, présidente du Club de l’amitié de Calgary, espère que les outils d’accès à l’information resteront simples et adaptés aux aînés. «Nous n’avons pas toujours les meilleures aptitudes technologiques, confie-t-elle. Hier encore, je me suis stationnée au centre-ville et il fallait payer avec un code QR. Mon téléphone n’est pas assez intelligent pour ça… Ce n’est pas toujours clair pour nous.»

À ses yeux, les besoins en services de santé en français sont particulièrement grands chez les personnes de 70 ans et plus. Elle a d’ailleurs accompagné des amis à des rendez-vous médicaux parce qu’ils ne se sentaient pas à l’aise de s’exprimer en anglais. «Rendu à un certain âge, si on n’a pas été élevé dans les deux langues, on est plus confortable en français», dit-elle.

Même si elle maîtrise bien l’anglais, elle admet que la description de certains maux ou malaises vient plus naturellement en français. «J’ai un médecin francophone et je sais que ce serait difficile d’expliquer certaines choses en anglais.»

Danielle Launière, présidente du Club de l’amitié de Calgary, espère que les outils d’accès à l’information resteront simples et adaptés aux aînés. Photo : Archives Le Franco – Courtoisie

Sondage controversé?

Lors de la présentation du rapport officiel, plusieurs membres de la communauté ont exprimé leur étonnement face à la faible participation au sondage mené par le RSA. Seules 180 personnes y ont répondu. «Ça m’a surprise qu’ils n’aient pas réussi à trouver plus de monde pour répondre», souligne Danielle Launière.

Valérie Jamga Tchatchoua partage cette surprise. «J’ai trouvé qu’il y avait peu de réponses», dit-elle. Avec plus de 40 000 francophones à Calgary (selon le recensement de 2021), elle s’étonne qu’un plus grand nombre de personnes n’ait pas été consulté, notamment les parents du Conseil scolaire FrancoSud.

«Je suis parent au Conseil scolaire FrancoSud et je n’ai jamais reçu le sondage. Ça ne s’est pas rendu. C’est malheureux, parce que des seize écoles du FrancoSud, on aurait eu beaucoup de parents dont les réponses auraient pu être recensées», mentionne-t-elle.

De son côté, Marie-Claude Côté assure que le sondage a bel et bien été diffusé dans les écoles, les autorités scolaires et auprès de l’ensemble des partenaires communautaires. «On l’a fait circuler partout», affirme-t-elle.

Même si les résultats obtenus correspondent aux attentes du RSA, la directrice générale reconnaît que le faible taux de participation soulève des questions. «Ce qu’on se demande, c’est comment rejoindre ceux qui n’ont pas répondu? Les enjeux de communication sont assez récurrents dans la communauté», souligne-t-elle.

Matthieu Damer, du cabinet d’audit, de fiscalité et de services-conseils KPMG, a présenté les résultats de l’étude sur les services de santé en français dans la région de Calgary réalisée pour le compte du RSA. Photo : Arnaud Barbet

D’autres pistes à explorer

Le rapport de KPMG, présenté par Matthieu Damer, propose aussi d’autres recommandations au RSA : développer un modèle de prestation intégré avec un partenaire déjà établi, renforcer la visibilité des professionnels francophones et soutenir davantage les nouveaux arrivants dans la reconnaissance de leurs titres.

Selon Valérie Jamga Tchatchoua, il est urgent d’agir par rapport à la reconnaissance des diplômes. «L’immigration francophone hors Québec devrait atteindre 12% d’ici 2029. Il faudra donc plus de professionnels francophones pour répondre à la demande.»

Elle suggère que les professionnels nouvellement arrivés puissent suivre une formation pratique plutôt que de devoir reprendre toutes leurs études. «Ils pourraient faire une résidence de deux, trois ans, par exemple», propose-t-elle.

D’ici la fin juin, le RSA prévoit organiser une nouvelle rencontre avec la communauté francophone de Calgary pour discuter des recommandations et élaborer un plan d’action. «On souhaite créer un conseil, fixer des priorités et des échéanciers réalistes pour les mettre en œuvre», conclut Marie-Claude Côté.

Glossaire – Ratio : Rapport établi entre deux grandeurs