le Jeudi 29 mai 2025
le Samedi 24 mai 2025 12:25 Santé

Vers un don de sang plus inclusif

Photo : Véronique PAGNIER, Public domain, via Wikimedia Commons
Photo : Véronique PAGNIER, Public domain, via Wikimedia Commons
Depuis les changements apportés en 2022 pour rendre le don de sang plus inclusif envers la communauté 2ELGBTQIA+, les francophones hors Québec disposent encore de peu de ressources en français pour comprendre les nouveaux critères d'admissibilité. Pour combler ce vide, le Comité FrancoQueer de l’Ouest a lancé une campagne de sensibilisation visant à mieux informer la communauté et à encourager sa participation.
Vers un don de sang plus inclusif
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Un webinaire a notamment été offert au public, en avril dernier, en partenariat avec la Société canadienne du sang (SCS). Cet organisme, responsable de la collecte et de l’approvisionnement en produits sanguins, cherche à rétablir la confiance des membres de la communauté 2ELGBTQIA+ longtemps exclus des dons par des politiques discriminatoires. 

«C’est une démarche très importante pour nous. […] Au cours des trois dernières années, nous avons assisté à de plus en plus de défilés de la Fierté. Pendant ces événements, nous avons eu des milliers de conversations sur les impacts des anciennes politiques et des obstacles qui doivent encore être surmontés», affirme Steph Kelly, responsable de l’engagement des parties prenantes pour la Société canadienne du sang. 

La reconstruction des relations avec la communauté 2ELGBTQIA+ prendra du temps, souligne-t-elle, mais l’organisme s’engage à poursuivre cette démarche sur le long terme. En mai 2024, la SCS a d’ailleurs présenté des excuses publiques, reconnaissant les torts causés aux personnes homosexuelles, bisexuelles, trans et aux autres membres de la communauté en raison de l’ancienne politique de sélection des donneurs.

«Cette politique empêchait les hommes sexuellement actifs, ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, ainsi que certaines personnes trans de donner du sang et du plasma», ajoute-t-elle.

Émanuel Dubbeldam agit à titre d’ambassadeur de la campagne Sensibilisation FrancoQueer aux critères de don de sang. Photo : Courtoisie

Un virage positif

Depuis avril 2022, la SCS a remplacé les critères fondés sur l’orientation sexuelle par une approche basée sur les comportements. Tous les donneurs doivent désormais répondre aux mêmes questions sur leurs pratiques sexuelles, peu importe leur genre ou leur orientation. Une réforme saluée par plusieurs. 

Émanuel Dubbeldam, un homme trans d’Edmonton et ambassadeur de la campagne Sensibilisation FrancoQueer aux critères de don de sang, en est un exemple. «Je suis vraiment content que ça ait changé. Jusqu’à très récemment, ce n’était pas possible pour moi de donner, mais j’ai fait dix dons depuis que les modifications sont arrivées», se réjouit-il.

Il souligne également l’importance de rendre l’information accessible aux francophones de l’Ouest. «Ce n’est pas tout le monde qui comprend le jargon utilisé en anglais pour expliquer les critères de don. Et les ressources du Québec ne sont pas pertinentes puisque la Société canadienne du sang n’y opère pas», explique-t-il.

Sans information adéquate et accessible, rappelle-t-il, il est difficile pour les personnes 2ELGBTQIA+ de donner leur consentement éclairé au moment du don. 

Samuel Normandeau ignorait jusqu’à récemment les changements apportés aux critères d’admissibilité au don de sang. Photo : Courtoisie

Des progrès, mais encore des barrières 

Samuel Normandeau, qui a aussi participé au webinaire, n’était pas au courant de ces changements récents avant d’être approché pour devenir ambassadeur. «Dans mon expérience personnelle, on m’a déjà refusé le droit de donner du sang et ce n’est pas une expérience agréable», confie-t-il. Aujourd’hui, il voit dans les nouvelles règles un pas dans la bonne direction, mais estime que la Société canadienne du sang doit en faire davantage pour en faire connaître l’existence et retisser la confiance. 

«Les changements m’ont donné espoir que d’autres gens n’auraient pas à vivre la discrimination que j’ai vécue. La discrimination laisse un goût amer et ça donne un pas de recul pour aller donner du sang à nouveau. C’est pourquoi c’est important de rétablir les liens», mentionne-t-il. 

Et malgré les avancées, certaines barrières persistent, ajoute-t-il. Une réalité que ne nie pas la SCS. «On comprend qu’on a encore du travail à faire», admet Steph Kelly.

Parmi les mesures encore en place, les personnes ayant eu un nouveau partenaire ou plusieurs partenaires sexuels au cours des trois derniers mois et qui ont eu des relations anales doivent toujours observer une période d’attente de trois mois avant de pouvoir faire un don. Cette règle vise à couvrir la période de séroconversion pendant laquelle une infection au VIH pourrait ne pas être détectée par les tests.

Pour Samuel Normandeau, cette exigence, bien qu’applicable à tous, continue de cibler de manière disproportionnée les hommes homosexuels, bisexuels et queers. «Ça pointe dans notre direction. Je reste à l’affût de ce genre de discriminations plus subtiles», affirme-t-il.

S’il reconnaît que la question a sa raison d’être dans le formulaire de sélection, notamment pour protéger les receveurs, il s’interroge sur l’absence d’une approche plus équilibrée. «Peut-être qu’une question sur les relations vaginales ou orales pourrait aussi être posée, juste pour ne pas juste viser les personnes qui pratiquent le sexe anal. Mais je ne sais pas si c’est envisageable parce qu’en même temps, je comprends qu’ils veulent limiter le nombre de questions dans leur formulaire», nuance-t-il.

Des changements à venir

Émanuel Dubbeldam soulève pour sa part une autre lacune : la binarité toujours présente dans le formulaire de don. Malgré les efforts pour moderniser le processus, les donneurs doivent encore indiquer s’ils sont «homme» ou «femme», une classification qui peut semer la confusion chez les personnes trans. 

«Si un homme trans veut donner du sang, mais n’a pas encore entamé sa transition, en principe, selon les lignes directrices actuelles, cette personne pourrait donner du sang aussi souvent que les hommes [dont le sexe a été assigné à la naissance], même si son corps ne produit pas assez de globules rouges. On est en train de mettre cette personne-là en danger», avertit-il.

Ce flou administratif a des implications concrètes : la fréquence des dons permise varie selon le sexe, les hommes pouvant donner plus souvent que les femmes en raison de différences physiologiques, comme le taux de fer.

Même s’il reconnaît que le système de don de sang demeure «imparfait», Émanuel garde espoir que les choses continueront à évoluer «dans la bonne direction». Il souhaite voir un nombre croissant de personnes 2ELGBTQIA+ participer aux dons. «Je sais que certaines personnes se sentent blessées par les dons de sang, et moi aussi d’ailleurs, mais la raison pour laquelle je donne quand même, c’est que les personnes qui reçoivent le sang, le tissu, le plasma, n’ont pas décidé des critères. Ça va au-delà de mes [convictions] politiques», conclut-il.

Glossaire – Binaire : Deux unités, dans ce cas-ci homme ou femme, sans nuance