En mer de Chine du Sud (3,5 millions de kilomètres carrés), l’ambition chinoise se traduit par un renforcement militaire (notamment un nouveau porte-avions, le Shandong, mis en service en 2019), mais également par la colonisation d’îlots et de récifs, ainsi que par une exploitation des ressources jugée contraire au droit maritime international (fixé en 1958 par la Convention de Genève, puis remanié en 1982 par l’ONU et signé par 168 pays à Montego Bay en Jamaïque). Des pays comme le Vietnam, les Philippines, Brunei et l’Indonésie contestent ces manœuvres chinoises et revendiquent eux aussi des zones économiques exclusives (ZEE) en mer de Chine méridionale du fait de leur présence sur certaines îles de la zone.
La politique du déni
Mais la Chine remet tout simplement en cause ces ZEE en s’appuyant sur ses propres cartes. Elle présente ce qu’elle nomme la «langue de bœuf», soit un long tracé sur une «carte des neuf traits» d’une zone maritime qui couvrirait deux millions de kilomètres carrés, c’est-à-dire environ 1/5 de la surface du territoire chinois, avalant ainsi les eaux internationales et une grande partie des ZEE des États côtiers. Pour justifier ses ambitions hégémoniques, la Chine fait valoir une antériorité historique et s’appuie sur des cartes publiées dans les années 1930. Mais elle ne peut ignorer pourtant que de nouvelles cartes ont été publiées après la Seconde Guerre mondiale.
Avec la Convention de Genève en 1958, le gouvernement chinois est forcé de reconnaître que la terre domine la mer et que les droits souverains sur celle-ci découlent d’une souveraineté territoriale. Malgré cela, la Chine fait tout pour contourner les normes occidentales en matière de ZEE au nom de ses ambitions maritimes, notamment en occupant des îles et des atolls inhabités de la région et qui sont également revendiqués par d’autres États côtiers.
À titre d’exemple, les îles Paracels situées à environ 300 kilomètres au sud-est de l’île de Hainan. Ces îles chinoises sont constituées d’environ 130 îlots coralliens répartis sur une zone de 250 kilomètres de long sur 100 de large. Leur annexion a commencé vers 1974 lorsque les Américains quittèrent le Vietnam et elle sera suivie, en 1987, par l’occupation des îles Spratleys, également occupées en partie par des Vietnamiens, mais aussi par des Taïwanais, des Japonais, des Philippins et des Malaisiens.
Prétextant une mission de surveillance en haute mer, la Chine décida de construire une station océanographique sur l’îlot de Fiery Cross où seulement deux rochers émergent à marée basse. Un coup de force qui sera suivi de l’annexion du récif de Johnson Sud situé dans la ZEE philippine, ainsi que des îles Sin Cowe occupées par le Vietnam. En 1994, vint au tour du récif de Mischief de passer dans les mains du géant chinois. Enfin, en 2012, Pékin décida d’annexer le récif de Scarborough, un atoll des Philippines doté de deux petites îles d’environ trois mètres de hauteur à marée basse, mais dont l’accès sera malgré tout interdit par les Chinois.
La tentation hégémonique
Afin d’assurer sa suprématie dans la région, la Chine a érigé, à partir de 2013, tout un complexe militaro-industriel sur ces nouvelles îles conquises, notamment à Fiery Cross : aéroport, base militaire, complexe hôtelier, tout est fait pour justifier la souveraineté chinoise dans cette zone par la création d’entités économiques et administratives… Or, c’est sans compter la présence de l’immense flotte de pêche chinoise, comme c’est le cas sur l’île Julian Felipe (propriété des Philippines); une flotte que le gouvernement chinois protège à l’aide d’une milice de mer et de garde-côtes.
Les pays concernés ont bien tenté de se rebeller, mais la puissance de frappe chinoise fait taire toute contre-offensive sérieuse. Bien que des recours juridiques soient possibles, ce que firent les Philippines en 2016, la Chine ne reconnaissant pas la juridiction internationale, ils sont restés sans effet. Les revendications de la Chine dans cette zone maritime sont d’autant plus problématiques que le pays oblige tout navire étranger à être accompagné par sa marine. Comble de l’absurde, en 2015, le gouvernement chinois a pourtant consolidé son essor économique sur la libre circulation des navires.
Actuellement considérée comme la première nation de pêche en haute mer, la Chine compte des milliers de bateaux dans les eaux internationales. Il va sans dire que cette hégémonie chinoise inquiète les pays voisins dont ceux d’Asie du Sud-Est, ainsi que le Japon et la Corée du Sud. C’est que la mer de Chine est un passage vital pour l’économie. En effet, près d’un quart du commerce mondial transite par cette mer.
La crainte des pays concernés, c’est que Pékin exerce un contrôle de l’espace aérien au-dessus de cette zone, comme ce fut le cas dans la partie orientale. C’est pourquoi les États-Unis veillent. Ils n’accepteront nullement de modifier le système actuel de partage de l’espace aérien. Pourtant, les compagnies d’aviation se sont déjà pliées aux exigences de Pékin d’une autorisation préalable afin de survoler la mer de Chine orientale. Certaines d’entre elles évitent même de survoler cette zone.
Vers une militarisation forcée de la région
Le comportement agressif de Pékin entraîne une militarisation accrue de la région.
C’est notamment le cas de Taïwan, très inquiète. Doté d’une armée de 200 000 hommes, Taïwan modernise sans cesse ses équipements militaires et ses infrastructures. Même chose pour l’Indonésie, un pays pourtant situé en marge de la «langue de bœuf chinoise», mais qui renforce sa présence sur l’archipel de Natuna où se trouvent d’importantes réserves de gaz. Quant au Japon, grand rival économique, le pays est lancé depuis 2013 dans une grande course aux armements.
La nouvelle carte chinoise de l’espace maritime inclut les îles japonaises Senkaku, justifiant ainsi des incursions répétées de la marine chinoise dans les eaux territoriales japonaises. Ce qui a forcé le Japon en 2016 à mettre sur pied une 9e escadre aérienne, ainsi que deux unités de sécurité à Amami-Oshima et Miyakojima en 2019. Extrêmement présents dans la région, surtout dans l’île de Guam, les Américains possèdent une armée de 50 000 hommes sur la base de Yokosuka au Japon. Les Philippines prévoient même accueillir des bases militaires américaines afin d’augmenter leur puissance de frappe et mieux résister à une menace chinoise.
L’inquiétude grandissante de la Chine fait dire à certains stratèges que l’Occident doit conserver l’avantage maritime afin de tenir à distance ses rivaux chinois et russes. Historiquement puissant grâce à son réseau mondial et au contrôle des voies maritimes à l’échelle planétaire, les Occidentaux et tout particulièrement les Américains ont bien compris l’enjeu stratégique et commercial dans la mer de Chine. La géopolitique mondiale a cependant considérablement évolué depuis 2000 et les revendications également. Désormais, c’est dans cette zone de l’Indo-Pacifique que se joue pour une bonne part l’avenir économique et politique de la planète.
«La Chine ne recherche pas de sphères d’influence et ne livrera ni guerre chaude ni guerre froide à quelque pays que ce soit.» Ainsi s’exprimait Xi Jinping lors de sa rencontre avec Joe Biden, le 15 novembre dernier, en Californie. La situation actuelle en mer de Chine prouve exactement le contraire. Le trompe-l’œil réside dans la méthode chinoise : plus douce que son voisin russe. Au fait, à quand l’annexion de Taïwan par la Chine? Difficile de le savoir. Chose certaine, si cela doit se produire par la force militaire, ce jour-là, nous serons vite informés. Le conflit sera mondial, la mer de Chine un déluge comme lors des légendes antiques et le ciel au-dessus illuminé comme jamais.
Glossaire – Annexion : Acte, constaté ou non dans un traité, en vertu duquel la totalité ou une partie du territoire d’un État passe sous la souveraineté d’un autre.