le Vendredi 9 mai 2025
le Mercredi 12 mars 2025 10:05 Économie

Trump, un mal pour un bien?

Pierre Cléroux est à la fois vice-président à la recherche et économiste en chef à la Banque de développement du Canada (BDC). Photo : Courtoisie
Pierre Cléroux est à la fois vice-président à la recherche et économiste en chef à la Banque de développement du Canada (BDC). Photo : Courtoisie
Si à tout malheur est bon, face à la «philosophie» trumpiste, les entreprises albertaines devront s’adapter. Diversité et prospection vers de nouveaux marchés semblent les clés pour aller de l’avant.
Trump, un mal pour un bien?
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Lors des derniers Rendez-vous d’affaires (RVA) organisés par Parallèle Alberta, l’économiste en chef et le vice-président à la recherche de la Banque de développement du Canada (BDC), Pierre Cléroux, a donné une conférence intitulée Mise à jour économique de la BDC, le 8 février, trois semaines après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

La rédaction a voulu en savoir davantage sur la position que doivent prendre les entrepreneurs franco-albertains dans ce contexte.

Selon Pierre Cléroux, les récentes mesures protectionnistes de Donald Trump, notamment l’imposition de tarifs douaniers hypothétiques, ne devraient pas provoquer un bouleversement majeur pour l’économie albertaine. «Ce n’est pas comme si c’était 25% d’un coup, c’est 9% avec la fluctuation du dollar. Je ne pense pas que l’économie va voir une grosse différence», estime-t-il.

Cependant, certains secteurs pourraient être plus touchés si les tarifs atteignent réellement 25%. L’Alberta, bien que fortement dépendante des exportations vers les États-Unis, a déjà amorcé une transition, selon M. Cléroux. Car, même si le secteur économique le plus développé en Alberta est bien les énergies fossiles, «l’économie de l’Alberta a commencé à se diversifier. On produit de l’électricité à partir d’énergies renouvelables et la production a beaucoup augmenté au cours des deux dernières années», explique-t-il.

Reste tout de même le pétrole. Face à ces mesures protectionnistes, l’économiste souligne l’importance pour les entreprises albertaines d’explorer d’autres marchés d’exportation. «Il y a des projets importants en Saskatchewan et ailleurs au Canada qui pourraient faciliter l’acheminement du pétrole vers d’autres régions. Aller vers l’Est? Oui, mais aussi vers l’Ouest, qui donne accès aux marchés mondiaux, pas seulement aux États-Unis», affirme l’économiste.

C’est en 2015 que Charles-Antoine Marois a fondé Olsa Tools, dont le siège est à Nisku, en banlieue d’Edmonton. Photo : Courtoisie

Un entrepreneur franco-albertain qui s’adapte dans la tourmente

Charles-Antoine Marois est le fondateur d’Olsa Tools. Son entreprise développe des designs d’outils destinés aux mécaniciens automobiles qui sont ensuite fabriqués par des manufacturiers spécialisés et vendus sur son site web. 

L’entrepreneur franco-albertain fait affaire avec des entreprises situées à 95% à Taiwan, 2,5% en Allemagne et 2,5% aux États-Unis. Charles-Antoine Marois précise que son entreprise possède quelques produits de type «organisateurs», qui sont fabriqués en Chine, «mais c’est moins de 10%» de cette production.

Bien qu’un faible pourcentage de ses produits soit fabriqué au pays du soleil levant, Charles-Antoine Marois est bien conscient que les mesures de Trump pourraient faire mal à son entreprise. L’entrepreneur francophone explique que, si une commande expédiée aux États-Unis depuis son entrepôt de Nisku, en Alberta, «contient, ne serait-ce qu’un seul produit chinois, l’ensemble de la commande sera soumis au processus formel de déclaration en douane, avec des droits de douane et des tarifs d’environ 42% de la valeur marchande dans notre cas, ce qui entraîne une facture supplémentaire pour le client». 

Alors, il avoue explorer d’autres marchés, mais «les États-Unis restent de loin notre plus grand marché et je pense que cela ne changera pas». En raison des taxes douanières imposées, la tentation n’est pas si grande pour Charles-Antoine Marois d’aller aux États-Unis pour fabriquer ses outils. «Nous avons déjà évalué cette possibilité à plusieurs reprises, mais ça ne vaut pas la peine pour le peu de produits que les USA peuvent manufacturer. On parle d’un coût de quatre fois le coût de Taiwan [et] Chine.» 

Aller voir ailleurs

Questionnés sur le sujet, les deux intervenants sont du même avis : il faut trouver d’autres marchés. Pour M. Cléroux, la Chine fait partie des destinations potentielles pour le pétrole albertain. «La Chine représente une option viable, bien que nécessitant des infrastructures adéquates. C’est tout à fait envisageable, mais cela implique de construire des infrastructures de transport vers l’océan Pacifique, à travers la Colombie-Britannique», précise-t-il.

Outre la Chine, l’Europe se présente aussi aux entrepreneurs locaux. «L’Europe, c’est un marché de 500 millions d’habitants, plus important que les États-Unis en termes de potentiel, estime l’économiste de la BDC. Il y a aussi la francophonie africaine, où des liens naturels existent déjà grâce à l’immigration et aux relations commerciales en développement.»

Un choc temporaire, mais des occasions à saisir

Malgré les inquiétudes sur les tarifs, M. Cléroux se veut rassurant quant à l’impact à long terme. «Je pense que les tarifs seront limités à certains secteurs et probablement temporaires. Imposer des tarifs sur le pétrole canadien n’a pas de sens économique, car les États-Unis en bénéficient à prix réduit», argumente-t-il.

Toutefois, cette situation met en lumière des défis internes au Canada. «Réduire les barrières commerciales entre les provinces pourrait améliorer l’économie canadienne. Cela pourrait être l’électrochoc nécessaire pour avancer vers un véritable accord de libre-échange intérieur», souligne-t-il.

Bien que l’incertitude actuelle puisse ralentir les investissements à court terme, elle offre aussi une occasion de diversification et d’adaptation pour les entreprises albertaines. Le vice-président de la BDC se veut rassurant et encourageant. «C’est une période de prudence, mais aussi d’innovation. Ceux qui sauront s’adapter en tirant parti des marchés alternatifs seront les grands gagnants», conclut-il.

Glossaire – Alternatif : Qui présente d’autres options