le Vendredi 18 avril 2025
le Samedi 15 mars 2025 10:00 Arts et culture

«La grande entrevue» : Steve Jodoin

La coproduction Trout Stanley de L’UniThéâtre et du Théâtre Niveau Parking a mis en vedette Steve Jodoin dans le rôle principal. Il se trouve ici en compagnie de la comédienne Mélissa Merlo. Photo : Émilie Dumais
La coproduction Trout Stanley de L’UniThéâtre et du Théâtre Niveau Parking a mis en vedette Steve Jodoin dans le rôle principal. Il se trouve ici en compagnie de la comédienne Mélissa Merlo. Photo : Émilie Dumais
Installé en Alberta depuis 2001, Steve Jodoin a découvert sa passion pour le théâtre à Jasper, peu après avoir quitté son Québec natal pour ce qui devait être une année sabbatique. Après avoir obtenu un diplôme du programme de comédie musicale du Grant MacEwan College, à Edmonton, en 2004, il a entamé une carrière dynamique qui l’a conduit sur scène et à la télévision, mais aussi à fonder sa propre entreprise de production.
«La grande entrevue» : Steve Jodoin
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Dans le cadre de la troisième entrevue de notre série et pour souligner le Mois de la francophonie albertaine, nous avons rencontré Steve Jodoin, le directeur général et directeur artistique de L’UniThéâtre.

Le Franco : Bonjour Steve. Vous avez pris la direction artistique de L’UniThéâtre, il y a déjà plus de trois ans. Quel regard portez-vous sur l’évolution des choses? Avez-vous atteint les objectifs que vous vous étiez fixés?

Steve Jodoin : Après la pandémie de [COVID-19], L’UniThéâtre avait besoin de reconnecter avec son public. Il fallait aussi rebâtir le bassin d’artistes franco-albertains et améliorer la communication avec les autres théâtres francophones de l’Ouest. C’est beaucoup là-dessus que j’ai travaillé au cours des dernières années et je pense qu’on est sur une très bonne lancée.

J’ai joint le conseil d’administration de l’Association des théâtres francophones du Canada qui regroupe, entre autres, les compagnies professionnelles de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan avec qui on a développé nos liens. 

Mon but est de continuer à soutenir les artistes locaux. On a tellement de bons artistes et de bons comédiens. J’aimerais éventuellement pouvoir présenter un texte local par année ou tous les deux ans au théâtre. Ça permettrait de mettre en valeur nos dramaturges. Ça me tient beaucoup à cœur.

Bref, je pense qu’il y a encore du travail à faire, mais avec la petite équipe qu’on a, je suis très fier de ce qu’on a accompli jusqu’ici.

Steve Jodoin est le directeur général et le directeur artistique de L’UniThéâtre. Photo : Courtoisie

Le Franco : Quels sont les défis qui vous ralentissent dans votre démarche?

Steve Jodoin : Notre principal défi, puisqu’on est une compagnie à but non lucratif francophone en milieu minoritaire, c’est évidemment le manque de ressources financières. Mais on est bien encadrés avec nos bailleurs de fonds. Une de nos priorités, c’est de trouver une façon d’augmenter nos budgets pour augmenter la qualité et le nombre de productions qu’on offre à notre public. 

Un autre enjeu, c’est le fait qu’on a une très petite équipe. J’aimerais pouvoir augmenter un peu le nombre de joueurs, ce qui nous aiderait à prendre plus d’ampleur et être plus présents à travers la province.

Un défi qu’on oublie souvent, c’est qu’en moyenne, il y a seulement 1% de la population qui va au théâtre. [Trouver des] francophones dans ce 1%, ce n’est pas toujours évident. [On se demande] souvent comment on peut arriver à attirer plus de gens, en créant une offre qui puisse intéresser le plus grand [éventail] de personnes possible. Les gens ont des goûts différents…
Il y a une difficulté supplémentaire présentement, avec tout ce qui se passe dans le monde, parce qu’on veut présenter du théâtre qui divertit les gens, qui fait rire et qui est léger. C’est pas nécessairement le temps de faire réfléchir et démolir [le moral]. C’est une grande réflexion [de déterminer] comment on veut s’enligner pour les saisons qui s’en viennent. On veut que notre public oublie tout ce qui se passe [quand] ils sont avec nous.

Le Franco : On dit souvent que le théâtre est un miroir de la société. Dans le contexte politique actuel, vous dites vouloir divertir, mais pas nécessairement faire réfléchir en abordant des thèmes trop dramatiques. Pourquoi?

Steve Jodoin : Tout commence dans la manière de présenter [les pièces]. Si on prend Crawlspace [présentée en mars], qui aborde la question du logement, la manière dont c’est présenté est hilarante. C’est une pièce qui nous amène au moment de l’achat d’une première maison et qui rappelle l’importance de faire ses recherches. Ce n’est pas dramatique, même si le sujet est sérieux à la base.

J’essaie de choisir ce genre de pièces qui nous permettent de rester sain [d’esprit] dans le contexte actuel, mais qui ne sont pas vides de sens. C’est dans ce sens-là que je parle de vouloir divertir plutôt que de faire réfléchir. 

Steve Jodoin dans la pièce « Art » produite par L’UniThéâtre en 2022. Photo : Julianne Damer

Le Franco : Vous mentionnez Crawlspace. Cette pièce, qui sera présentée en mars, a été traduite de l’anglais par Mishka Lavigne. Quel rôle accordez-vous à la traduction dans le développement du théâtre francophone? Est-ce un moyen clé pour offrir une plus grande variété d’œuvres?

Steve Jodoin : Tout à fait. Ça permet de faire découvrir à notre public francophone des pièces qui n’auraient peut-être pas connu autrement. 

Le Franco : L’UniThéâtre est la seule compagnie de théâtre francophone en Alberta. Parlez-moi de votre relation avec les compagnies voisines, dans les provinces de l’Ouest. Est-ce que vous envisagez de faire des partenariats?

S.J. : Il y a plusieurs projets qui mijotent présentement. Ces relations sont ultra importantes. Le Théâtre la Seizième en Colombie-Britannique et La Troupe du Jour en Saskatchewan sont dans la même position que nous. Ce sont également les seules compagnies de théâtre francophones dans leurs provinces [respectives]. C’est important de créer des choses ensemble parce qu’on se comprend notamment au niveau des budgets. 

[…] On espère faire de plus en plus de partenariats avec eux en faisant des coproductions ou en présentant certains de leurs spectacles. Ce qui est excitant, c’est l’idée de permettre à nos artistes d’aller jouer à Winnipeg ou à Vancouver et pas seulement ici, en Alberta.

Le Franco : La pièce Quand Maman sourit sera présentée dans une soixantaine d’écoles en Alberta et en Colombie-Britannique. Vous avez également des ateliers de théâtre pour les jeunes, ainsi que le projet La plume parlante, le festival Théâtre jeunesse de l’Alberta et le Camp Multi-Arts, qui roulent en même temps. Quelle importance accordez-vous à la vocation éducative et pédagogique de L’UniThéâtre?

Steve Jodoin : C’est ultra important. 

C’est bien beau d’envoyer nos enfants à l’école francophone, mais si on veut les motiver à continuer de parler en français, il faut les faire interagir avec notre culture. Il faut leur dire : il y a du théâtre qui se fait en français, de la musique en français, du cinéma en français, etc. Il faut leur montrer que leur langue est [vivante].

Avec la tournée jeunesse, on cherche à initier les jeunes au théâtre. Notre pièce Quand maman sourit s’adresse aux jeunes de la maternelle jusqu’à ceux qui sont en 6e année. Beaucoup d’entre eux n’ont pas la chance d’écouter du théâtre en français au quotidien. 

Si on peut aussi motiver certains élèves à poursuivre leur parcours en théâtre, c’est un plus. Ça crée une relève francophone. J’ai d’ailleurs la chance aujourd’hui de travailler avec plusieurs artistes que j’ai connus dans nos évènements, comme le festival Théâtre jeunesse, quand ils étaient plus jeunes. Ça démontre que c’est possible de développer des artistes à travers [notre offre communautaire].

«Notre grand objectif est d’augmenter notre présence régionale dans la province», Steve Jodoin. Photo : Courtoisie

Le Franco : La francophonie albertaine est en constante évolution, tout comme votre public. Comment L’UniThéâtre s’est-il adapté à cette réalité et s’assure-t-il de refléter la diversité culturelle de la francophonie?

Steve Jodoin : Pour moi, cette diversité-là est très spéciale et importante. On a une grande chance d’avoir un public aussi diversifié. Ça nous permet d’offrir des pièces de plusieurs styles différents. On essaie de plaire à un peu tout le monde. Ce qui est drôle, c’est que certains membres du public devant lequel je jouais il y a vingt ans sont encore là! 

Mais il y a aussi une toute nouvelle génération de parents qui viennent au théâtre avec leurs enfants et des jeunes qui s’y intéressent aussi. On voit bien sûr de plus en plus de membres de la communauté africaine. On doit construire des ponts pour s’assurer de leur offrir du théâtre qui puisse les intéresser. 

Le Franco : À quoi peut-on s’attendre au cours des prochaines saisons? 

Steve Jodoin : Notre grand objectif est d’augmenter notre présence régionale dans la province. On veut pouvoir présenter notre théâtre francophone un peu partout et pas seulement à Edmonton. On a un grand territoire à couvrir… On a des discussions par rapport à ça présentement. On aimerait aussi accroître notre présence à Calgary. Je ne sais pas si on va réussir à accomplir ça d’ici la prochaine saison, mais on travaille fort là-dessus. 

Certains passages ont été révisés pour faciliter leur compréhension.

Glossaire – Dramaturge : Professionnel de théâtre