IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO
Le Franco : Bonjour Colin. Mis à part une parenthèse de quelques années, vous avez toujours été impliqué dans des postes au sein de la francophonie. Est-ce que cela a toujours été clair dans votre esprit que vous souhaitiez travailler au sein de la communauté franco-albertaine?
Colin Champagne : Non. Je pense que je voulais faire mes preuves ailleurs aussi. Il y a eu mon poste à l’Université de l’Alberta, à la Faculté de Nursing. Il y a eu le programme bilingue. Puis, j’avais aussi de l’intérêt pour le film et la télé. J’ai réalisé une série web avec mon ami Gabriel Tougas, qui s’appelle Décidémons.
À un moment donné, je me suis dit que je cherchais une carrière qui me permettrait d’avoir un bon work-life balance et je n’étais pas convaincu que travailler dans la communauté pouvait offrir ça… C’est quelque chose auquel je pense encore [rires]. Il y a certainement plusieurs personnes qui choisissent de ne pas travailler dans la communauté pour cette raison-là. Mais après ça, ils s’impliquent d’autres manières. Ils sont bénévoles sur des conseils d’administration (CA) ou ils s’impliquent avec tel ou tel projet ou ils sont donateurs. Mais moi, ça a été une grosse réflexion.
Finalement, j’ai évolué là-dedans et [mon implication dans la communauté], c’est maintenant quelque chose auquel je tiens beaucoup. Et c’est difficile de laisser aller quelque chose auquel on tient beaucoup…
Le Franco : Vous avez occupé un poste de gestionnaire de développement communautaire avec l’ACFA pendant plusieurs années. Comment cette expérience vous a préparé pour votre rôle actuel à La Fondation?
Colin Champagne : Nous pourrions probablement parler pendant une heure de ça. Ce poste-là m’a vraiment permis de voir un nombre énorme de facettes de la francophonie, mais, en même temps, de constater qu’après tout ça, j’ai seulement exploré un petit pourcentage du fond de l’océan au final.
Chaque école, chaque communauté, chaque club a sa propre dynamique et ses propres gens impliqués. Tu sais, des fois, on a un peu l’impression que c’est un petit nombre de personnes qui font tout le travail dans la francophonie. Je pense que certaines personnes ont cette impression-là parce qu’ils voient une douzaine de gens qui sont très impliqués et ils ont l’impression que c’est toujours les mêmes. Mais en vérité, si on creuse juste un peu, on voit qu’il y a énormément de gens impliqués dans la francophonie albertaine, chacun à leur niveau.
Ce poste-là m’a permis de voir ça, de comprendre ça, d’approcher aussi le développement communautaire avec humilité. Les gens nous apprennent toujours des choses. Je pense que, dans la philanthropie, c’est très important d’approcher les gens avec cette même humilité. Mais aussi de les inviter à faire partie de la solution, à développer nos communautés, à les rendre plus résilientes. Ça m’a aussi montré qu’il y a beaucoup de gens qui sont prêts à travailler ensemble quand on les approche avec respect, avec intégrité et quand on ne les invite pas seulement à nous suivre, mais qu’on veut vraiment être à leurs côtés pour faire du travail commun.
Mon travail m’a aussi permis de mieux comprendre certaines forces et faiblesses institutionnelles qu’on a dans notre communauté.
Le Franco : J’allais justement vous demander quels étaient les grands défis que vous avez identifiés au sein de la communauté lors de votre parcours à l’ACFA?
Colin Champagne : Je pense qu’au niveau des défis, ils sont pris en main par l’ACFA et le Comité des suivis. L’ACFA vient de développer son nouveau Plan de développement global. J’ai eu la chance de faire partie de ce projet-là aussi. Je pense que ça va être un très bon outil pour mettre les bases.
Mais évidemment qu’on est dans un milieu minoritaire, la présence du français n’est pas encore un fait accompli. Ce n’est pas vu comme une chose normale. On a toujours l’impression de devoir justifier l’existence du français. Et donc, ça, c’est un défi qui peut aussi épuiser nos leaders, nos revendicateurs. Parce que, dès qu’on arrive à sensibiliser quelqu’un, que ce soit au gouvernement ou dans une institution, si cette personne quitte, c’est à recommencer.
Il y a aussi le fait qu’on n’a pas l’argent d’un gouvernement. Mais les attentes envers le monde associatif francophone, c’est des attentes similaires qu’on aurait envers un gouvernement. Les gens ont toujours des demandes très élevées et avec raison! On devrait avoir accès à plus de ressources pour accomplir tous nos projets. Surtout, il faut être prudent de ne pas laisser les gens de la majorité, de l’anglonormativité, nous dire quelles devraient être les limites de nos ambitions et quelle devrait être notre place.
Un événement qui a vraiment marqué ma vie sont les Jeux de la francophonie canadienne, mais je me rends compte que ce genre d’activités communautaires sont de moins en moins accessibles aux jeunes francophones. Ça va au-delà de l’idée des Jeux, je veux parler de l’implication communautaire en général. Le bénévolat, le fait de siéger sur des CA, de prendre part à des activités qui durent une fin de semaine… Je me demande si, éventuellement, notre francophonie va juste être accessible à ceux qui en ont les moyens. Parce que, même si la participation communautaire est gratuite, il y a l’investissement en temps. Entre les frais de scolarité qui n’ont pas arrêté d’augmenter, les coûts associés au logement, certains jeunes ne peuvent pas se permettre de participer activement aux activités.

Colin Champagne est très fier d’être un membre actif de la communauté franco-albertaine. Photo : Courtoisie
Le Franco : Et les forces?
Colin Champagne : Si on pense aux grandes forces de notre communauté, je pense que c’est vraiment notre monde, nos gens. Il y a quelque chose comme 400 000 personnes en Alberta qui ont des origines françaises et canadiennes-françaises, mais seulement 80 000 qui ont le français comme langue maternelle. Le taux d’assimilation est très important… Mais il y a quand même près de 300 000 personnes qui peuvent parler français dans la province [NDLR: selon le recensement de 2021, 261 435 Albertains pouvaient converser en français]. Ces personnes peuvent participer, créer, apprendre, offrir des services en français. On a une diversité incroyable qui, je pense, fait la grande force de la communauté!
[…] C’est important aussi de ne pas fermer nos portes à ceux qui ont perdu leur français, qui ont été victimes de l’assimilation. Ce n’est pas parce qu’on arrête de parler en français qu’on devrait être ignorés. Je me demande si on leur offre assez d’opportunités à ces gens-là pour revenir et récupérer cet héritage-là qu’ils ont perdu.
Le Franco : Vous parliez de la communauté francophone et à quel point elle est diversifiée. Je me demande si c’est un défi, au sein de La Fondation, d’aller diversifier le genre de donateurs qui travaillent avec vous.
Colin Champagne : Je pense que c’est aussi un souhait stratégique de vouloir élargir le bassin donateur et ultimement notre impact. Comme je le disais tout à l’heure, il y a énormément de gens qui tiennent à leur communauté et qui sont très philanthropes de leur temps. Ils donnent énormément de leur temps et de leur énergie, de leur vie à des causes.
Donc, là, si on peut être un nouvel autre outil dans leur boîte à outils pour appuyer les communautés francophones, let’s go! Puis je pense qu’il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas faire ça. Sauf peut-être, faute de capacité, on ne rejoindra pas tout le monde demain. Même quand moi, je vais être parti, qu’on n’aura pas rejoint tout le monde.
Le Franco : Vous passez d’un poste de gestionnaire à un poste de direction. Compte tenu de cette progression rapide, est-ce qu’il n’y a pas une partie de votre travail que vous allez devoir apprendre un peu sur le tas?
Colin Champagne : Ah, c’est sûr. Mais il y a quand même beaucoup de compétences transversales. Je pense que tout le monde apprend de nouvelles choses dans une nouvelle position. Il ne faut pas oublier que je réponds aussi directement à un conseil d’administration. J’ai beaucoup de patrons, mais j’ai la chance que ce soit des personnes pas mal engagées qui ont l’institution à cœur!
Le Franco : Vous occupez aujourd’hui le poste de directeur philanthropique. C’est un poste qui a récemment évolué. Votre prédécesseur, Joël F. Lavoie, était, quant à lui, directeur général. Pouvez-vous me parler un petit peu plus de la nature de vos fonctions et comment elles vont différer de celles de Joël?
Colin Champagne : Ce que je peux dire, c’est que je ne suis pas un remplaçant one-to-one. Au niveau des tâches, je pense que ça va un peu plus se concrétiser dans les prochains mois. Il y a certaines tâches qui seront réparties à travers l’équipe, comme on a maintenant deux directions. En fait, [le directeur administratif] Pierre Landry Muhire était directeur avant, mais à ce moment, il y avait une direction générale. Mais là, on passe vraiment à deux directions. Je pense qu’on va plus voir dans un an, comment tout cela se concrétise. On se donne aussi de la place pour que cela évolue.
Le Franco : Qu’est-ce qui vous a motivé à relever ce nouveau défi avec La Fondation franco-albertaine?
Colin Champagne : Pour moi, La Fondation, c’est d’inviter les gens à concrétiser leurs rêves. Can you ask for a better job than that?
J’ai toujours admiré le travail de La Fondation. Je trouve qu’on est en train de créer quelque chose de solide, qui, par sa nature, allait perdurer dans le temps. C’est vraiment l’idée de planter un arbre. Quand on plante un arbre, ça ne pousse pas le lendemain. Donc, on sait qu’on n’aura pas la chance d’être sous son ombre ou même de récolter ses fruits automatiquement. On sait que ceux qui viendront après nous auront peut-être cette chance-là… Joël F. Lavoie disait souvent que le meilleur temps pour planter un arbre, c’était, il y a 25 ans, et que le deuxième meilleur moment, c’est aujourd’hui.
Mes grands-parents Champagne ont été parmi les premiers à créer un fonds avec La Fondation. Ma grand-mère Marie-Claire est décédée, il y a deux semaines. Ça me rend émotif. Mais il y a cette volonté de redonner. C’est vraiment une opportunité extraordinaire de continuer ce travail.
Je trouve que c’est aussi que la philanthropie a aussi le potentiel d’empowerer les gens, de leur dire : quel impact veux-tu avoir concrètement?
Le Franco : Est-ce que vous avez quelques mots ou perspectives à partager sur l’avenir de la francophonie?
Colin Champagne : Des fois, les gens ont l’impression que, parce qu’il y a plusieurs personnes qui sont impliquées dans une communauté, qu’il y a beaucoup de ressources financières. Mais, on dépend énormément de nos gens, de nos ressources humaines. Et si des choses ont du succès, ce n’est pas parce qu’il y a un trésor secret : le trésor, c’est les personnes actives dans notre communauté.
Pourquoi je dis ça? Parce que des fois, les gens se demandent comment ils peuvent aider à leur tour. Ils se sentent intimidés par des personnages ou des figures qui, eux, sont très impliqués. Ils se disent qu’ils ne pourraient jamais faire autant. J’ai envie de dire : «Vous n’avez pas besoin de tout faire non plus. Faites ce que vous pouvez, quand vous le pouvez et là où vous le pouvez».
Glossaire – Bassin : Dans ce contexte, ensemble de personnes