Le discours du trône du 23 septembre dernier marquait l’ouverture de la seconde session de la 43e législature, la précédente ayant été prorogée par le premier ministre le mois précédent. La session fut marquée, entre autres, par le dépôt du premier budget en plus de deux ans et par des développements dans le dossier des langues officielles. Survol des grands dossiers fédéraux des derniers mois.
Bruno Cournoyer Paquin
- Mort de «l’affaire UNIS»
La plupart des observateurs s’accordent pour dire que la prorogation du Parlement au mois d’aout visait à interrompre les activités des comités parlementaires se penchant sur l’affaire UNIS.
Au cœur de l’affaire se trouve un contrat de plus de 900 millions $ accordé à l’organisme caritatif UNIS (We Charity en anglais) pour administrer le programme de bourse canadienne pour le bénévolat étudiant.
Les liens entre UNIS et les familles du premier ministre Trudeau et de l’ex-ministre des Finances Bill Morneau laissent présager des conflits d’intérêts, déclenchant une enquête du commissaire à l’éthique de la Chambre des communes.
L’affaire UNIS s’invite rapidement dans la seconde session parlementaire dès le mois d’octobre. L’opposition officielle — nouvellement dirigée par Erin O’Toole — tente de créer un comité parlementaire spécial pour étudier l’affaire UNIS. Les libéraux déjouent la manœuvre en faisant de l’enjeu une question de confiance, indiquant que l’adoption de la motion conservatrice déclencherait des élections.
La motion est défaite lorsque le NPD de Jagmeet Singh accorde son appui au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau. L’épisode a pour effet de marginaliser l’affaire UNIS dans la joute politique, et elle perd sa place de choix dans l’arsenal discursif des conservateurs.
Le commissaire à l’éthique, Mario Dion, dépose son rapport le 21 mai 2021 : Justin Trudeau est exonéré des allégations de conflit d’intérêts, alors que l’ex-ministre des Finances Bill Morneau est blâmé.
- Démission de la gouverneure générale Julie Payette, sur fond de scandale
Le discours du Trône du 23 septembre 2020 a été le dernier pour la gouverneure générale Julie Payette. Celle qui est entrée en fonction en octobre 2017 a remis sa démission le 21 janvier 2021 alors qu’une enquête indépendante est en cours sur le climat de travail toxique qu’elle aurait créé à Rideau Hall. Des allégations qui furent largement confirmées par le rapport de la firme Quintet Consulting Corporation, dévoilé quelques jours plus tard.
En attendant la nomination d’un nouveau gouverneur général, le juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, assure l’intérim en tant que qu’administrateur du gouvernement du Canada.
- Vers le dépôt du projet de loi C-32 sur les langues officielles
Le discours du Trône introduit pour la première fois la notion «d’asymétrie» entre le français et l’anglais. La gouverneure générale y souligne l’importance de «protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec», et s’engage, au nom du gouvernement, à «renforcer» la Loi sur les langues officielles (LLO) «en tenant compte de la réalité particulière du français.»
Une prise de position qui se voit confirmée lors du dépôt du document de réforme des langues officielles, Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, le 19 février dernier. Un «rapport d’étape» que plusieurs observateurs voient comme un délai supplémentaire avant le dépôt d’un projet de loi.
Le document propose de garantir le droit de travailler en français dans les entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions à forte présence francophone ; et de soutenir les institutions des communautés linguistiques en situation minoritaire, particulièrement dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’immigration.
Le projet de loi C-32, la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois, qui en reprend les grandes lignes, est déposé le 15 juin, à six jours de l’ajournement de la Chambre pour l’été.
L’opposition y dénonce une cynique manœuvre préélectorale, puisque le projet de loi n’a aucune chance d’être adopté avant la fin des travaux parlementaires et que des élections semblent se profiler à l’horizon, soit à la fin de l’été ou à l’automne.
Pour sa part, la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, s’est engagée à réintroduire le projet de loi dans la prochaine législature, dans l’éventualité d’élections générales hâtives.
- Le projet de loi C-10 sur la radiodiffusion suscite la controverse
Introduit en novembre 2020, le projet de loi C-10 visait à assujettir les géants du Web à la Loi sur la radiodiffusion, entre autres pour les contraindre de contribuer à la création de contenu culturel canadien — la Loi sur la radiodiffusion n’avait pas été modifiée depuis 1991.
Si le projet de loi obtient rapidement l’adhésion des milieux culturels, particulièrement francophones, les conservateurs font un tollé après la modification de certains articles lors de l’examen de C-10 en comité parlementaire — le projet de loi règlementerait maintenant certains sites Web qui diffusent du contenu généré par les utilisateurs, comme YouTube.
Une violation de la liberté d’expression des Canadiens, selon les conservateurs ; une protection des droits d’auteurs des artistes, selon le gouvernement. Après une bataille procédurale de longue haleine, le gouvernement a recours au bâillon pour faire adopter le projet de loi lors de la dernière journée de séance de la Chambre avant la pause estivale.
Comme le Sénat siège jusqu’au 29 juin, il semble donc probable que le projet de loi C-10 meure au feuilleton — encore une fois, plusieurs s’attendent à des élections avant le retour du Parlement, à l’automne.
- La banqueroute de l’Université Laurentienne s’invite à Ottawa
L’Université Laurentienne se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des corporations (LACC) le 1er février 2021. Son plan de restructuration, présenté le 12 avril, met la hache dans 24 programmes de premier cycle francophones et 32 anglophones, en plus de mettre à pied une centaine de professeurs.
Le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes s’est donc penché sur le rôle d’Ottawa dans le financement des institutions postsecondaires francophones en situation minoritaire pendant quatre séances en juin.
La majorité des témoins — dont de hauts dirigeants des Universités de Sudbury, Moncton, Hearst, de l’Ontario français et du Campus Saint-Jean — ont souligné l’importance d’un financement stable et récurent de la part d’Ottawa, une proposition qui semblait susciter l’adhésion de la plupart des membres du Comité, tous partis confondus.
Le projet de loi C-32 sur la réforme de la Loi sur les langues officielles propose d’ailleurs de permettre à Ottawa de soutenir les institutions postsecondaires de la minorité linguistique. Selon François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, inclure cette mesure dans la Loi «viendrait assoir, ou donner un fondement juridique solide à toute intervention fédérale future dans le postsecondaire.»
- Inconduites sexuelles dans l’armée, bête noire du gouvernement
Au début de février, des allégations d’inconduites sexuelles étaient déposées contre l’ancien Chef de l’état-major des forces armées, le général Jonathan Vance — celui qui avait lancé l’Opération Honneur, en 2015, pour mettre en œuvre les recommandations du rapport de la juge Marie Deschamps sur l’inconduite et le harcèlement sexuel dans les forces armées.
Son successeur, l’amiral Art McDonald, doit peu après se retirer de ses fonctions, car il est lui aussi la cible d’une enquête pour inconduite sexuelle.
L’opposition officielle se saisit rapidement de l’enjeu, utilisant la période de questions et le comité permanent de la Défense nationale pour impliquer le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, dans la dissimulation des allégations contre le Général Vance.
La Chambre des communes adoptera une motion de blâme contre le ministre Sajjan à la fin juin, en partie pour son rôle dans le dossier.
Pour tenter de limiter les dommages, le ministre de la Défense nomme l’ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour pour mener un «examen externe complet et indépendant sur le harcèlement et l’inconduite sexuelle» dans les forces armées.
- Budget 2021 : déficit de 354,2 milliards $ pour 2020-2021
Premier exercice budgétaire depuis 2019, le budget déposé à la fin avril projette un déficit de 154,7 milliards $ en 2021-2022, soit 6,4 % du PIB. Il propose entre autres un plan de relance post-COVID de 114 milliards $ — incluant plus de 30 milliards $ pour la prolongation des mesures de soutien d’urgence jusqu’à l’automne.
Une des mesures phares du budget est la création d’un service pancanadien de garde pour jeunes enfants. Ottawa y investira 27,5 milliards $ sur cinq ans, puis un minimum de 8,3 milliards $ par année subséquemment. Les détails du programme demeurent à être négociés avec les provinces.
Le budget de 2021 propose aussi des investissements de 17,6 milliards $ sur cinq ans pour favoriser une «relance verte».
- Vers des élections générales à l’été ou l’automne
La plupart des observateurs ne s’attendent pas à ce que ce Parlement revienne siéger à l’automne, et on entrevoit que des élections seront déclenchées au cours de l’été ou au début de l’automne, si la situation sanitaire le permet.
Le gouvernement Trudeau est au pouvoir depuis presque deux ans, une longévité appréciable pour un gouvernement minoritaire. Et selon Québec125, un agrégateur de sondages réputé, les libéraux disposent d’environ cinq points d’avance sur les conservateurs (en date du 20 juin).
Dans les facteurs qui présagent des élections, on remarque que les députés qui ne se représentaient pas aux prochaines élections ont pu faire leur discours d’adieu devant la Chambre ; et que le premier ministre a confirmé que le prochain gouverneur général serait nommé incessamment — évitant au juge en chef de la Cour suprême l’embarras de devoir se prononcer sur la dissolution de la Chambre.