Le premier ministre, Justin Trudeau, annonçait le 6 juillet que Mary Simon serait la prochaine gouverneure générale du Canada. La diplomate de carrière, qui a notamment été ambassadrice aux Affaires circumpolaires et au Danemark, a aussi œuvré au sein d’institutions inuites. Une candidate autochtone avec un parcours éprouvé, dont la nomination survient dans un contexte préélectoral. Seul bémol : elle ne maitrise pas le français.
Benoit Pelletier, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, pense qu’il y a «un aspect symbolique important dans le fait de nommer une Autochtone […] [C’est] la première Autochtone, que ce soit une femme ou un homme, à occuper cette fonction».
Une nomination qui s’inscrit dans le contexte de la réconciliation, une préoccupation qui revient souvent dans le discours de ce gouvernement, rappelle Benoit Pelletier.
Celui qui a été ministre au gouvernement du Québec, entre autres aux Affaires autochtones et comme ministre responsable de la région du Nord-du-Québec, a déjà rencontré Mary Simon, qu’il estime une personne «agréable», «de leadeurship» et «déterminée».
La professeure Stéphanie Chouinard, du Département de sciences politiques du Collège militaire Royal du Canada, croit qu’il n’est pas particulièrement surprenant qu’une candidate issue des communautés autochtones ait été nommée.
Il y avait deux postes d’envergure à combler dans les derniers mois : un siège à la Cour suprême et le poste de gouverneur général, rappelle-t-elle.
«Dès le moment où on a su que c’était Mahmud Jamal qui avait été qui avait été nommé à la Cour suprême, on se doutait fort bien que ça allait être une personne autochtone qui allait être choisie comme gouverneur général», conclut la politologue.
«Il y avait plusieurs noms provenant des communautés autochtones qui circulaient, mais Mary Simon est quelqu’un qui a un bagage extraordinaire […] C’est quelqu’un qui connait déjà les rouages de l’État canadien. Donc à presque tous les égards, c’est une nomination presque parfaite», estime Stéphanie Chouinard.
On peut constater une certaine formalisation du processus de nomination du gouverneur général dans le cas de Mary Simon, observe Benoit Pelletier : «Le premier ministre n’a pas pris la décision seul dans son bureau, sur la base de recommandations de son chef de cabinet ou d’autres membres de son cabinet, mais il a constitué, semble-t-il, un comité […] et je pense que cette formalisation-là est quelque chose de bien.»
Si le processus de sélection demeure tout de même «opaque» pour Stéphanie Chouinard, «on se doute fort qu’il y a eu une vérification des antécédents probablement plus serrée que ce qui avait été le cas avec madame Payette».
Une nomination qui arrive à point
«Ça nous prenait quelqu’un, constate Stéphanie Chouinard. C’était nécessaire, surtout dans la perspective où les rumeurs d’élections vont bon train depuis déjà un bon moment», d’autant plus que plusieurs observateurs trouvaient que cette nomination se faisait déjà attendre depuis longtemps.
La politologue ajoute que ni le gouvernement ni l’opposition n’auraient voulu laisser la décision de dissoudre le Parlement entre les mains du juge en chef de la Cour suprême, Richard Wagner, qui assume présentement les fonctions du gouverneur général en tant qu’administrateur du gouvernement du Canada.
Pour Benoit Pelletier, le problème n’aurait pas été vraiment par rapport au déclenchement des élections, mais plutôt quant à la nomination du prochain premier ministre.
«Il peut se passer des cas où on est dans des gouvernements minoritaires, où il y a tentative de formation de coalitions ou tout simplement tentative de formation de complicités politiques ou d’alliance politique. Et là, ça rendrait la tâche du gouverneur général [par intérim] beaucoup plus délicate à jouer et ça risquerait d’aller à l’encontre du principe de l’indépendance judiciaire et de la séparation des pouvoirs», explique-t-il.
Si les fonctions du gouverneur général s’avèrent essentiellement symboliques, elles prennent une autre valeur dans les cas de crises constitutionnelles ou lorsque la formation du gouvernement présente des ambigüités : «Dans ces contextes, le rôle du gouverneur général peut devenir très réel et très effectif», souligne Benoit Pelletier.
Il rappelle qu’en 2008, alors que le Parti conservateur de Stephen Harper avait été réélu avec une minorité des sièges, celui-ci avait demandé la prorogation du Parlement à la gouverneure générale de l’époque, Michaëlle Jean, alors que l’opposition était en pleine négociation pour former une coalition.
Une prorogation qui avait été accordée et qui a permis au gouvernement Harper de rester au pouvoir alors que les pourparlers entre les partis d’opposition s’effondraient.
Et lors de la dernière élection fédérale, en 2019, Benoit Pelletier ajoute que «les journalistes se demandaient ce qui arriverait si les conservateurs avaient plus de sièges que les libéraux, mais tout en étant minoritaires? Encore là, dans un tel contexte, les fonctions du gouverneur général deviennent davantage réelles que symboliques».
«Alors évidemment, la solution s’imposait d’elle-même : c’était de nommer un nouveau gouverneur général à ce moment-ci, avant même que l’élection n’ait lieu», conclut le juriste de l’Université d’Ottawa.
Une gouverneure générale qui ne parle pas français
Mary Simon parle inuktitut et anglais, mais ne parle présentement pas français – même si elle a indiqué, en conférence de presse, être déterminée à apprendre cette langue et à conduire les affaires du gouverneur général dans les deux langues officielles du Canada.
Pour la politologue du Collège Militaire royal du Canada Stéphanie Chouinard, il s’agit d’«une question, d’un enjeu difficile».
D’un côté, comme Mary Simon l’a rappelé en conférence de presse, «enfant, elle n’a pas eu la chance d’apprendre le français puisqu’à l’école, au pensionnat de jour à Kuujjuaq, c’était l’anglais qui était la langue d’apprentissage», rappelle Stéphanie Chouinard.
Cela reflète une certaine responsabilité de l’État québécois dans l’absence d’opportunité pour Mary Simon d’apprendre le français dès l’enfance, estime la politologue.
«Cela dit, Mme Simon a travaillé pour Affaires mondiales pendant de nombreuses années, elle a été notamment ambassadrice du Canada [aux Affaires] circumpolaires et ambassadrice du Canada au Danemark. Elle aurait donc eu la possibilité d’apprendre le français pendant de nombreuses années en sa capacité de fonctionnaire de haut grade», précise Stéphanie Chouinard.
Pour Benoit Pelletier, la sensibilité de Mary Simon face au français reste à démontrer : «Je sais qu’elle a dit qu’elle voulait respecter les deux langues officielles du Canada dans l’exercice de ses fonctions. Je la crois, mais il n’en reste pas moins que la sensibilité à l’égard du français, elle aurait pu en faire preuve au cours de sa carrière, si elle l’avait voulu. Et à ce que je sache, ça n’a pas été le cas.»
Stéphanie Chouinard ajoute cependant «qu’à la défense de Mme Simon, Affaires mondiales Canada et la diplomatie canadienne en règle générale est un mauvais élève en matière de langues officielles, ce n’est rien de nouveau. Elle ne serait certainement pas la seule parmi les diplomates canadiens à ne pas maitriser le français».
Pour la politologue, si la gouverneure générale parvenait à apprendre le français pendant son mandat, il s’agirait d’un symbole fort : «Ce serait une belle démonstration que les deux langues officielles, c’est important, et que l’apprentissage de l’autre langue officielle peut se faire même à l’âge adulte.»
Une situation qui n’est pas sans précédent dans la haute fonction publique canadienne, rappelle-t-elle, citant le cas de feu le vérificateur général du Canada Michael Ferguson, qui avait appris le français au cours de son mandat, au point de devenir parfaitement bilingue.