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Les communautés francophones, maitresses d’elles-mêmes?

Les communautés francophones, maitresses d’elles-mêmes?
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Dans quelle mesure les communautés francophones en milieu minoritaire ont-elles le pouvoir d’agir sur elles-mêmes et de gérer leurs propres dossiers? C’est l’une des principales questions de recherche de Michelle Landry à titre de titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les minorités francophones canadiennes et le pouvoir, inaugurée en septembre 2019 à l’Université de Moncton. Des gouvernements locaux aux négociations constitutionnelles du lac Meech et de Charlottetown, la chercheuse espère faire avancer les connaissances sur les enjeux de pouvoir dans la francophonie canadienne.

Ericka Muzzo – Francopresse

«Les groupes majoritaires ont des gouvernements qui leur sont propres, mais les groupes minoritaires partagent le territoire et ont souvent très peu de pouvoir au sein des instances gouvernementales. Donc l’objectif de la Chaire, c’est d’essayer de comprendre d’autres moyens qui sont pris par [les minorités francophones canadiennes] pour avoir une emprise sur elles-mêmes», explique Michelle Landry, également professeure de sociologie à l’Université de Moncton.

Depuis son inauguration, il y a deux ans, la Chaire a notamment fait paraitre l’ouvrage L’état de l’Acadie et complété une analyse évaluant l’impact des structures de financement sur les associations communautaires de la francophonie canadienne.

Landry est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les minorités francophones canadiennes et le pouvoir et professeure de sociologie à l’Université de Moncton. Crédit : Nigel Fearon Photography.

«Beaucoup de gens disent que “les associations sont dépendantes financièrement du fédéral […] Est-ce qu’elles ont vraiment la légitimité de parler au nom de la population ou est-ce qu’elles ne sont pas des courroies de transmission du gouvernement fédéral? À quel point est-ce qu’elles sont vraiment indépendantes dans leurs prises de position, dans leurs priorités, etc.?”», relate Michelle Landry.

Pour faire la lumière sur ces questions, la Chaire a sondé des associations à la grandeur du Canada en collaboration avec l’étudiante Judith Bourque, qui effectue son mémoire de fin de baccalauréat en sociologie sur le sujet. Les résultats seront présentés au colloque annuel du Réseau de la recherche sur la francophonie canadienne (RRF) en octobre.

Quel rôle pour les municipalités?

Parallèlement, deux projets d’envergure sont en cours à la Chaire de recherche du Canada sur les minorités francophones canadiennes et le pouvoir.

Le premier s’intéresse au rôle des municipalités dans le développement et l’épanouissement des minorités francophones. «Les municipalités peuvent offrir des services dans les deux langues si elles le souhaitent, elles peuvent aussi se désigner bilingues», rappelle Michelle Landry.

«De manière générale, le rôle des municipalités s’est vraiment élargi depuis des dizaines d’années. Ce ne sont plus des entités qui gèrent juste les trottoirs, les routes, les déchets, etc. Maintenant, elles sont généralement des programmes récréotouristiques, de loisirs, d’activités, elles sont impliquées dans des domaines comme l’installation des immigrants, le développement économique et social! Alors on se dit que si les municipalités sont des acteurs importants dans tous ces dossiers-là, elles ont certainement le potentiel d’être des acteurs pour les francophones», souligne encore la titulaire.

La Chaire a donc envoyé un sondage à quelque 260 municipalités à travers le pays, membres d’associations francophones ou bilingues et ayant au moins 6 % de résidents francophones. 

Crédit : Université de Moncton.

«On va pouvoir mieux comprendre ; est-ce que les municipalités qui agissent dans ces dossiers-là sont celles qui ont de fortes populations francophones? Ou est-ce que c’est où il y avait des populations francophones historiques et elles agissent principalement dans le domaine du patrimoine ou des domaines plus symboliques? Est-ce que ça a vraiment une incidence dans le quotidien des gens? Même si on n’a pas un très gros échantillon, on pourra croiser des variables pour voir quel type de municipalité agit sur quoi», s’enthousiasme Michelle Landry, qui espère avoir des réponses d’au moins 100 municipalités.

La chercheuse a déjà travaillé sur ces questions au Nouveau-Brunswick, où le tiers de la population vit dans un District de service local (DSL)plutôt qu’une municipalité proprement dite : «Je trouvais ça vraiment intéressant d’essayer de comprendre pourquoi les communautés acadiennes ne veulent pas de municipalité ; c’est le seul pallier gouvernemental où [les Acadiens] seraient majoritaires! Où ils pourraient gérer leurs affaires entre eux.»

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Le Québec et la francophonie, entre tension et sympathie naturelle 

L’autre principal projet, financé par le Secrétariat du Québec aux relations canadiennes (SQRC), «s’intéresse à mieux comprendre les positions des francophones hors Québec pendant les négociations constitutionnelles du lac Meech et de Charlottetown», explique Michelle Landry.

«C’est un projet sociohistorique fort intéressant parce que, dans la littérature sur cette période historique là, on voit beaucoup la position des provinces, du Québec… On place souvent les francophones hors Québec comme un bloc monolithique, mais […] les francophones hors Québec ne sont pas un bloc monolithique! Les francophones de l’Alberta ou les Acadiens de la Nouvelle-Écosse ne pensent pas nécessairement pareil sur ce type d’enjeux là.» 

Le projet s’intéressera donc aux convergences et aux divergences dans les prises de position, et tentera de mieux comprendre les relations entre le Québec et la francophonie canadienne à la lumière de ces années décisives. 

«On a récemment eu le Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, mais pour moi, les négociations constitutionnelles de Meech et Charlottetown, c’est un moment clé, un tournant très important qui a défini les relations telles qu’elles sont aujourd’hui», affirme la titulaire, rappelant le deuxième référendum québécois qui a eu lieu quelques années après l’échec de l’accord de Charlottetown.

Grâce à ce projet de recherche, elle espère arriver à mieux comprendre «c’est quoi ces tensions-là [entre les francophones du Québec et hors Québec], mais en même temps cette sympathie naturelle ; elle surgit, on l’a vue dans les manifestations en Ontario, la sympathie spontanée que le Québec a eue».

Du potentiel pour des impacts tangibles

Si le programme de recherche de la Chaire de recherche «vise à jeter un nouvel éclairage sur les enjeux et les nouvelles modalités du pouvoir des minorités de langue française au Canada», Michelle Landry rappelle toutefois que «c’est une chaire de recherche, donc mon objectif n’est pas de renforcer [le développement et l’épanouissement des communautés francophones minoritaires]». 

«Tant mieux si les recherches servent ; moi, j’étudie ces questions-là, tant mieux si les acteurs des milieux communautaires, les acteurs autres peuvent se servir des résultats pour avoir un impact plus tangible», nuance-t-elle.

«La recherche peut rarement avoir des retombées aussi appliquées que de vraiment avoir un impact sur le développement, mais certainement en sciences sociales les concepts qu’on avance pour penser la société et penser les groupes, les nouvelles manières aussi de cadrer les enjeux puis la compréhension des enjeux qu’on peut avancer aide habituellement à faire avancer – dans ce cas-ci, le développement et l’épanouissement des communautés francophones», conclut Michelle Landry.