le Samedi 27 avril 2024
le Mercredi 27 mars 2024 17:56 Calgary

Une patineuse à la résilience et aux convictions inébranlables

En plus de la conférence avec la championne, L’Alliance française de Calgary offrait également un atelier de patinage en compagnie de l’athlète le 3 mars dernier. Photo : Shangnong Hu
En plus de la conférence avec la championne, L’Alliance française de Calgary offrait également un atelier de patinage en compagnie de l’athlète le 3 mars dernier. Photo : Shangnong Hu
(IJL - RÉSEAU.PRESSE - LE FRANCO) - La patineuse artistique française Maé-Bérénice Méité, sextuple championne de France dans la catégorie élite, était de passage à Calgary les 2 et 3 mars dernier pour participer à une série d'événements organisés par l'Alliance française de Calgary (AFC) dans le cadre du Mois de la francophonie albertaine. Après une blessure sérieuse qui l'a éloignée de la compétition pendant plusieurs années, l’athlète est de retour sur la glace et vise maintenant à se qualifier pour les Jeux olympiques de 2026. Peu avant une conférence dans les locaux de l'AFC, la rédaction a eu l'occasion de s'entretenir avec la patineuse au sujet de son engagement en faveur de l'inclusion, de la diversité et de la santé dans le sport, des thèmes qui lui tiennent particulièrement à cœur.
Une patineuse à la résilience et aux convictions inébranlables
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Maé-Bérénice Méité aime partagé sa passion avec son public. Shangnong Hu

Le Franco : Vous êtes accueillie ici à Calgary en plein Mois de la francophonie albertaine. En février dernier, nous avons honoré le Mois de l’histoire des Noirs à travers divers événements. Quel sens cela a-t-il pour vous de constater une telle effervescence autour des célébrations de l’inclusion culturelle et de la diversité en Alberta?

Maé-Bérénice Méité : Je savais pour le Black History Month parce qu’on le célèbre aux États-Unis et c’est là où je m’entraîne […] à Ellenton, en Floride. Mais je ne savais pas que c’était le Mois de la francophonie en Alberta. C’est une belle chose, ça me touche particulièrement. Je suis noire et je suis francophone. Je trouve ça beau qu’on puisse mettre de l’avant les cultures et les patrimoines. C’est à travers cette découverte de l’autre qu’on apprend beaucoup, qu’on crée des liens. 

Le Franco : Vous avez subi plusieurs blessures au cours des dernières années. Comment va votre santé? Avez-vous repris l’entraînement?

M.-B. M. : Ça se passe beaucoup mieux. J’ai pris le temps de soigner les blessures physiques et les blessures de l’âme qui sont invisibles, mais qui sont les plus traîtres. Elles peuvent être difficiles à soigner et profondes. Ça a été un parcours d’introspection pour comprendre qui je suis, ce que je suis comme athlète.

J’entame une rééducation physique, mais avec une vision neuve et une envie que je n’ai jamais eue auparavant. Je prépare 2026. Ça se passe bien.

Le Franco : Face à toute cette adversité, avez-vous songé à prendre votre retraite? 

M.-B. M. : Ça n’a pas traversé mon esprit, mais celui de plusieurs dirigeants, oui. Je ne suis plus jeune en patinage, je fais partie des vieilles avec mes vingt-neuf ans, bientôt trente. S’il y a l’envie, la détermination et que le corps suit, il n’y a pas de soucis. Du coup, c’est pour ça que je prends le temps de soigner mon corps. Je ne récupère plus de la même façon qu’à dix-huit ans, mais j’ai une meilleure connaissance. D’avoir vécu, patiné sur ces blessures, j’ai beaucoup appris.

Il faut savoir qu’en tant qu’athlète de haut niveau, on nous demande la perfection. On nous demande de pousser nos limites, des fois au détriment de notre bien-être physique, moral et psychique. Cet apprentissage me donne des cartes et des armes pour la suite. Ça n’a jamais été une question de m’arrêter.

Le Franco : Quels sont vos objectifs avec ce retour à la compétition? 

M.-B. M. : Retourner en top 5 sur les grands prix européens, se qualifier pour les Jeux qui arrivent à grands pas et des médailles. Après, je veux aussi m’amuser, en profiter. J’ai commencé le patin parce que j’avais du plaisir. Je veux continuer pour cette raison et moins me prendre la tête pour des médailles. Je ne veux plus me rendre malade. 

La patineuse artistique française Maé-Bérénice Méité, sextuple championne de France dans la catégorie élite lors de son passage à Calgary les 2 et 3 mars dernier à l’Alliance française de Calgary. Photo : Shangnong Hu

Le Franco : Est-ce que ça dénature l’amour du sport l’idée de mettre trop d’attention sur les résultats? 

M.-B. M. : Oui. Ça a dénaturé l’amour que j’avais pour le patinage et c’est pour ça aussi qu’à un moment, je me suis perdue. Je voulais le faire pour la Fédération [française des sports de glace], pour la nation, pour mes parents. Je voulais aller chercher ces médailles parce que j’avais le potentiel de réussir. Quand je ne les ai pas eues, je me suis retrouvée dans un trou assez profond et c’était assez triste. Je n’ai plus envie de revivre ça. Je vais profiter de chaque compétition, du bon, du moins bon, des chutes, des programmes parfaits, ceux avec des imperfections et me dire que j’ai donné le meilleur de moi-même. 

Le Franco : Vous avez effectué des études en business, vous avez également des aspirations comme entrepreneure. Avez-vous envisagé votre avenir au-delà du patinage, même si vous êtes encore pleinement concentrée sur votre carrière sportive actuelle?

M.-B. M. : J’ai totalement entamé le processus. Après ma blessure au tendon d’Achille en 2021, j’ai bien compris que c’était important d’avoir des projets. J’ai terminé mon master et, très récemment, j’ai intégré un incubateur de projets qui a été créé par la Banque Palatine. Ça s’appelle le Palatine Women Projet

Pendant neuf mois, je vais être accompagnée et mentorée pour monter un projet professionnel qui me tient vraiment à cœur et qui est basé sur l’envie de révolutionner la manière de gérer les athlètes de haut niveau et de leur permettre d’évoluer dans un écosystème adapté à leurs besoins et qui sera basé sur des piliers fondamentaux. L’idée est de professionnaliser l’approche des sports de haut niveau pour pallier la précarité financière, la précarité physique aussi, le fait qu’on soit en douleur chronique. Ce n’est pas normal et il y a une manière de faire les choses.

Le Franco : Le monde du patinage a énormément évolué en termes de représentation des communautés ethnoculturelles, surtout en France. Cette tendance est un peu moins présente au Canada et aux États-Unis malgré que les communautés noires y soient bien établies. Qu’est-ce qui explique cet écart et pourrait-on faire mieux? 

M.-B. M. : Ce n’est pas étonnant. Le système en France est très différent de celui en Amérique du Nord. Ici, ça fonctionne beaucoup sur la base de cours privés qui sont assez chers. En plus des leçons, il faut payer la glace et l’équipement. De base, le patinage est un sport assez onéreux. En Europe, le système est basé plus sur l’idée de groupe, on peut se partager la glace. Ce qu’on paie au mois, aux deux mois ou aux trois mois, c’est ce qu’une famille américaine paie en une semaine. 

La grande différence vient de là. L’équipe de France a autant de diversité parce que le sport y est plus accessible. C’est une grande force. 

Le Franco : Parlant de représentation, vous avez souvent mis en lumière les enjeux associés aux standards corporels dans le patinage artistique. Avez-vous constaté des progrès depuis le début de votre carrière, ou cette question demeure-t-elle d’actualité?

M.-B. M. : Il y a encore des enjeux prenants, mais il y a certainement eu une amélioration. Je suis très contente de voir d’autres athlètes prendre la parole sur ce sujet, plus librement. Les gens veulent de l’authenticité. Personnellement, je veux montrer la réalité d’un athlète de haut niveau. C’est beau, mais c’est dur. 

Il faut arriver à changer les choses et à basculer les codes. Ça prend du temps, parce que ces codes étaient très ancrés, mais on essaie, une patineuse à la fois, de montrer la beauté de la diversité. 

Le Franco : Vos parents sont originaires de la Côte d’Ivoire et du Congo. En Alberta, les communautés immigrantes, notamment d’Afrique de l’Ouest, jouent un rôle croissant dans le renforcement de la francophonie, selon plusieurs experts. Partagez-vous également l’avis selon lequel l’immigration peut contribuer à promouvoir la francophonie?

M.-B. M. : Je ne suis pas très informée sur le sujet, mais c’est quelque chose sur lequel j’aimerais me pencher. Effectivement, quand j’y pense, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’anciennes colonies françaises en Afrique. Du coup, je me demande l’impact que ça peut avoir et comment les gens peuvent le vivre.

La langue française peut former un fondamental du pays, mais c’est un fondamental qui a été ajouté un moment donné. Est-ce qu’ils considèrent que ça fait partie de leur culture? Est-ce que c’est quelque chose qu’ils acceptent malgré eux?

GlossaireEffervescence : Grande agitation (au sens figuré)

Maé-Bérénice Méité retrouve le plaisir de la glace. Photo : Shangnong Hu