le Mercredi 11 décembre 2024
le Lundi 25 novembre 2024 17:33 Calgary

Les jeunes francophones sont-ils plus touchés par la dépression et l’anxiété?

Une conférence à l’Université d’Ottawa sur la santé des francophones en milieu minoritaire est revenue sur les 20 dernières années en recherche le 3 octobre. Photo : Clémence Labasse
Une conférence à l’Université d’Ottawa sur la santé des francophones en milieu minoritaire est revenue sur les 20 dernières années en recherche le 3 octobre. Photo : Clémence Labasse
Comme tous les jeunes, les francophones en situation minoritaire au Canada peuvent être en proie à des problèmes de santé mentale. Ils pourraient même y être plus vulnérables, selon certains spécialistes. Mais les données sur le sujet restent parcellaires et ne permettent pas de mesurer la situation efficacement.
Les jeunes francophones sont-ils plus touchés par la dépression et l’anxiété?
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FRANCOPRESSE

Situation financière et familiale, genre, origine ethnique, intégration à sa communauté et plus encore… Lorsqu’il est question de santé mentale, beaucoup de circonstances influencent les expériences de chacun. Une variable reste souvent oubliée dans les études canadiennes : la langue.

En 2017, la Commission de la Santé mentale du Canada (CSMC) estimait que près de 1,2 million d’enfants et adolescents au Canada souffraient de troubles de santé mentale, un chiffre qui atteignait 7,5 millions à l’âge de 25 ans, soit environ un Canadien sur cinq.

Selon de nouvelles données de Statistiques Canada, le problème semble s’être détérioré ces dernières années à la suite, entre autres, de la pandémie. Ainsi, parmi les jeunes qui estimaient que leur santé mentale était «bonne» ou dans un meilleur état en 2019, 20 % n’étaient plus de cet avis en 2023.

Antoine Désilet rappelle qu’il faut des données pour agir efficacement en santé. Photo : Courtoisie

Des données fragmentées

«Il y a une croissance importante de problèmes de santé mentale pour la population générale. On peut donc supposer que si c’est vrai, ça l’est tout autant pour les francophones… Mais nous n’avons pas de donnée pour prouver ça. Il y a un grave manque», explique le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets. «On ne peut pas améliorer ce qu’on ne peut pas mesurer.»

Un constat partagé par des chercheurs lors de la présentation d’un bilan de la recherche sur la santé des communautés en situation minoritaire, le 3 octobre dernier, à l’Université d’Ottawa.

«Les données que nous avons nous indiquent des tendances. Mais, pour être capable de faire une analyse plus approfondie de l’état de santé mentale des jeunes francophones, il faudrait qu’on ait des enquêtes sur les jeunes dans toutes les provinces», précise Louise Bouchard, professeure émérite et titulaire de la chaire de recherche de l’Université d’Ottawa et de l’Institut du Savoir Monfort sur la santé des francophones de l’Ontario.

Un état des lieux incertain

Or,​​ Statistique Canada s’est récemment attelé au défi d’établir un portrait plus complet de la santé mentale et l’accès au soin des jeunes Canadiens et Canadiennes lors d’une grande enquête, publiée en 2022. Mais dans leur formulaire de près de 700 questions, l’agence n’a collecté aucune donnée linguistique.

Contactée par Francopresse, l’agence fédérale a calculé des données sur mesure à partir d’un sous-échantillon de l’Enquête canadienne sur la santé des enfants et des jeunes de 2023. Selon ces résultats, les jeunes francophones hors Québec auraient aussi vu leur santé mentale se détériorer. Entre 2019 et 2023, ils seraient 12 % plus nombreux à estimer leur santé mentale comme passable ou mauvaise.

Mais, selon ces estimations, ce groupe aurait tout de même une meilleure santé mentale autodéclarée que le reste de la population. Les chiffres doivent donc être considérés avec prudence : «Habituellement, les enquêtes de santé plus générales sur la santé ne sont pas développées pour des estimations de qualité pour des sous-populations très spécifiques», explique la directrice adjointe du Centre de données sur la santé de la population de Statistique Canada, Isabelle Lévesque.

«C’est un défi quand on n’a pas assez d’échantillons. Il y a des choses qu’on ne peut pas produire.»

Ce constat va, par exemple, à l’encontre des conclusions d’une étude de 2021, qui relevait que les élèves  en situation largement minoritaire au Nouveau-Brunswick étaient plus en proie aux symptômes de l’anxiété ou de la dépression que leurs pairs anglophones ou francophones majoritaires dans la province.

Louise Bouchard, lors de la conférence sur l’état des lieux de 10 ans de recherche sur la santé des communautés francophones minoritaires. Photo : Clémence Labasse

L’identité francophone, une lame à double tranchant

La recherche prouve qu’un fort sentiment d’appartenance à sa communauté ethnolinguistique a un impact positif sur le sentiment de satisfaction de la vie et sur le bienêtre. Cependant, en contexte minoritaire, cette appartenance peut se retourner contre l’individu et devenir une source de marginalisation.

«Se sentir infériorisé, se sentir oublié ou insécure dans sa langue, c’est quelque chose qui va expliquer, ou qui peut amplifier les troubles mentaux des individus, souligne Louise Bouchard. En santé des populations, on sait que ce sentiment d’infériorité va se refléter par de mauvais indicateurs de santé et être lié à plus de comportements à risque et des dépendances.»

Une assistante de recherche ayant recueilli les témoignages de jeunes Franco-Albertains sur leurs expériences de vie et leurs santés mentales relate : «Il y a beaucoup de confusion et beaucoup de colère [par rapport à l’identité en tant que minorité francophone]. […] On veut s’intégrer à un groupe, avoir des amis, mais si on est rejeté parce qu’on parle français, ça devient difficile. Beaucoup avaient honte de parler français à l’extérieur de leur groupe, même si le campus [de Saint-Jean] est francophone.»

De plus, la sensation de perte d’identité et la peur pour l’avenir de la communauté peuvent aussi peser lourd sur l’esprit des jeunes. «La plupart se sentent noyés parce qu’ils sont submergés par l’anglais. On donne de la place à d’autres langues, mais pas à la leur. Si on ne fait pas plus, c’est une langue qui va mourir», déplore l’assistante de recherche, qui n’est pas identifiée dans le compte rendu.