le Dimanche 19 janvier 2025
le Jeudi 26 Décembre 2024 15:40 Calgary

Les travailleurs essentiels, héros invisibles du temps des fêtes

Les wagons du LRT sont décorés dans le cadre de l’initiative Stuff-a-Bus qui permet d’amasser des fonds pour les banques alimentaires. Photo : Courtoisie
Les wagons du LRT sont décorés dans le cadre de l’initiative Stuff-a-Bus qui permet d’amasser des fonds pour les banques alimentaires. Photo : Courtoisie
Des journées entières passées en pyjama, bercées par le crépitement du bois sec dans l’âtre, l’odeur réconfortante des plats mijotés et la chaleur des retrouvailles en famille… Les fêtes de fin d’année évoquent ces moments où le temps s’étire, s’efface presque, dans une étrange parenthèse, hors du réel. Pourtant, dans l’ombre, des travailleurs essentiels poursuivent leur tâche effrénée.
Les travailleurs essentiels, héros invisibles du temps des fêtes
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Dominic Allain est un urgentologue pédiatrique à l’hôpital Stollery Children’s à Edmonton. Photo : Courtoisie

La rédaction a souhaité mettre en lumière la réalité de ceux et celles qui, à leur manière, veillent au bon déroulement de cette période festive par leur sacrifice souvent discret, mais précieux, offert au nom du bien collectif.  

«Comme l’urgence ne ferme jamais, c’est business as usual pour nous», mentionne Dominic Allain, urgentologue pédiatrique à l’hôpital Stollery Children’s à Edmonton. Contrairement à l’idée de ralentissement souvent associée au temps des fêtes, le mois de décembre «est particulièrement occupé» à l’hôpital, confie-t-il. 

La saison des virus bat son plein et, comme plusieurs enfants sont en congé scolaire, les parents en profitent pour consulter pour des problèmes moins sévères, comme une toux persistante ou de la fièvre, ce qui allonge les temps d’attente. 

«On appelle ça, le rush pré-Noël», explique-t-il. L’achalandage atteint son apogée entre le 20 et le 24 décembre, mais diminue pour quelques heures le jour de Noël, puisque «les gens essaient de passer des moments en famille», précise-t-il. «Malheureusement», ce sont souvent des cas plus graves qui sont pris en charge le 25. «Des traumas, des cas de convulsions… On voit surtout des urgences qui ne peuvent pas attendre», analyse le Dr Allain.

Les émotions à vif

Il éprouve d’ailleurs une grande compassion pour les enfants qui doivent être hospitalisés et passer la nuit à l’hôpital le jour de Noël. «Il y a souvent des larmes. On l’oublie parfois, mais l’idée de pouvoir revenir à la maison est très forte chez les enfants. Et c’est pire à Noël», laisse-t-il entendre. 

Le personnel médical s’efforce, bien sûr, de rendre l’expérience «le moins stressant possible», mais la tension reste palpable pour les familles qui sont confrontées à l’imprévu d’un séjour prolongé à l’hôpital ou à des diagnostics «plus complexes». 

Pour préserver un peu de gaieté, des cadeaux sont distribués, ce qui arrache toujours des sourires aux enfants et au personnel qui prend plaisir «à jouer au père Noël». «C’est une des choses que je préfère du fait de travailler le 25. Pour mes collègues, c’est pareil», note le Dr Allain. 

Julien Bergeron est le chef adjoint des pompiers du comté de Northern Sunrise. Photo : Courtoisie

Au service de la communauté avant tout

Afin d’offrir un répit bien mérité aux équipes, le personnel médical a pris l’habitude de se répartir les quarts de travail durant le temps des fêtes, en alternant entre Noël et le jour de l’An. Cette année, le Dr Allain assure donc les rondes du 25 décembre avec, au programme, la distribution des cadeaux.

Cette organisation exige une certaine souplesse, non seulement de la part du médecin, mais aussi de ses proches. «Avec mon épouse, mes enfants et la famille élargie, on s’adapte en fonction de mes jours de congé. On célèbre plus tard si nécessaire, comme c’est le cas cette année», explique-t-il.

D’autres travailleurs essentiels doivent également composer avec les exigences de leur métier et faire preuve de flexibilité lors du temps des fêtes. C’est le cas de Julien Bergeron, chef adjoint des pompiers du comté de Northern Sunrise, dans le nord-ouest de la province, où il cumule dix-huit années de service. 

En tant que premier répondant, il a, lui aussi, appris à prioriser «son devoir», quitte à interrompre certaines réunions familiales. «Ce n’est pas une grande surprise si, à la moitié du souper, je dois partir…  Ça arrive souvent. Et pas juste à Noël. Au début, c’était plus difficile, mais maintenant, c’est normal, ma famille est habituée», souligne-t-il. 

Il se souvient d’ailleurs d’un incendie, il y a quelques années, qui avait mobilisé son équipe dès les premières heures du 25 décembre pour sauver une maison des flammes. «C’est notre réalité. On sert nos communautés. Quand le besoin est là, c’est notre rôle d’intervenir», appuie-t-il.

Beau temps, mauvais temps

Bien que l’hiver représente des risques réduits pour les incendies en comparaison avec l’été, où les pompiers du comté se joignent parfois aux efforts pour combattre les feux de forêt, l’équipe reste aux aguets, surtout pendant les fêtes lorsque les effectifs sont réduits. 

«On croise les doigts pour qu’il n’y ait pas une urgence critique qui nécessite un grand nombre de pompiers», admet le chef adjoint. Les sapins et les guirlandes lumineuses augmentent théoriquement les risques d’incendie, mais ce dernier n’a jamais eu à intervenir pour ce type de situation au cours de sa carrière. 

En revanche, ce sont souvent les intempéries qui entraînent une hausse des appels. L’équipe doit gérer d’autres types d’urgences que des incendies dans leur rôle de premiers répondants, notamment des accidents de la route.

«Les tempêtes, le froid et le mauvais déneigement augmentent notre charge de travail, précise Julien Bergeron. J’aime rappeler aux gens de faire preuve de vigilance sur la route et d’adapter leur conduite en fonction des conditions extérieures.»

Les aléas météorologiques rythment également le quotidien d’Alex Meszaros, un technicien de ligne électrique pour Fortis Alberta, l’entreprise chargée de l’approvisionnement en électricité dans le centre et le sud de la province. Tempêtes de neige, verglas, grêle… Autant de circonstances pouvant provoquer des pannes de courant et nécessiter une intervention immédiate du technicien. Le temps des fêtes n’échappe pas à cette réalité. «Que l’appel arrive à 14 h ou à 2 h du matin, nous sommes prêts. C’est un petit sacrifice pour nous, mais cela fait une grande différence pour la communauté», explique-t-il en faisant écho aux propos de Julien Bergeron. 

Il se remémore avec précision d’un Noël où il s’apprêtait à partager un petit-déjeuner avec sa femme et sa famille élargie. «Le téléphone a sonné, j’ai attrapé quelques collations et je suis parti en vitesse, raconte-t-il. Je me rappelle aussi d’interventions pour des incendies le jour de Noël. Une partie de notre travail consiste à sécuriser les lieux pour que les pompiers puissent faire leur travail.»

Réussir à rétablir le courant, particulièrement en des moments aussi cruciaux, lui procure un profond sentiment de satisfaction. «C’est vraiment gratifiant», confie-t-il.

Sandra Carrette est opératrice de train léger (LRT) pour le Edmonton Transit System. Photo : Courtoisie

Un repos bien mérité

Certaines années sont pourtant plus éprouvantes que d’autres. «Noël dernier a été particulièrement chargé en raison du mauvais temps», confirme le technicien. Dans ces conditions difficiles, il veille à porter des vêtements adaptés pour éviter les engelures. Un impératif lorsque l’essentiel de son travail se déroule à l’extérieur.

«On intervient dans les pires conditions possibles. La neige, les vents violents et la glace rendent les choses beaucoup plus précaires quand on grimpe sur les poteaux électriques», ajoute-t-il.

D’ailleurs, si les interventions pour rétablir l’électricité sont habituellement assez courtes, elles peuvent également s’étirer sur «seize heures» dans des situations plus complexes. «D’où l’importance d’être habillé adéquatement», précise-t-il.

Tout comme d’autres travailleurs essentiels, les techniciens de ligne se répartissent les quarts de travail équitablement, en alternant les gardes durant les fêtes avec leurs collègues. Après avoir été de service à Noël et au jour de l’An l’année dernière, Alex Meszaros profite cette fois d’un répit pour les fêtes 2025. «Je rentre en Ontario visiter ma famille», raconte-t-il avec enthousiasme.

Cette année marque également une pause bien méritée pour Sandra Carrette, opératrice de train léger (LRT) pour le Edmonton Transit System depuis 2014. «Je suis tellement excitée! C’est le premier Noël où j’ai congé depuis plus de dix ans. Je vais cuisiner une dinde et inviter ma mère et ma fille», se réjouit-elle.

Malgré son enthousiasme, cette dernière admet que travailler durant cette période n’a pas toujours été facile. Bien qu’elle «adore» son travail, elle confie avoir ressenti une certaine «amertume» face à l’impossibilité de célébrer le temps des fêtes avec ses proches au cours de la dernière décennie. «Ce n’est pas toujours évident de savoir que vers 14 h, 15 h ou 16 h, pendant que les dindes sortent du four, moi, je conduis le train», explique-t-elle en riant. 

Mais elle s’efforce de voir le côté positif de sa situation. «Je refuse de voir ça comme quelque chose de triste, au contraire. C’est une période où nous jouons un rôle essentiel dans la communauté», précise-t-elle.

Prendre soin des plus vulnérables

Depuis quelques années, Sandra fait de l’accompagnement des passagers vulnérables une priorité pendant les fêtes. Consciente de la solitude qui peut marquer cette période de l’année, elle cherche à égayer les journées des voyageurs en utilisant le système de communication du train. «J’essaie d’apporter un peu de magie dans leur journée. Il y a des gens qui se sentent très seuls, alors, au moins, je peux être là pour eux, leur offrir un sourire supplémentaire», témoigne-t-elle.

Ces petites attentions ne passent pas inaperçues. Elle se rappelle avec émotion qu’une étudiante universitaire lui a offert, pour les fêtes, une carte-cadeau Starbucks en guise de reconnaissance. «À l’intérieur, elle avait écrit : « Je voulais juste vous dire que je prends votre train tous les jours et que vos annonces rendent les trajets spéciaux pour les passagers. Merci de votre service et merci d’illuminer ma journée »», raconte-t-elle, visiblement touchée par ce geste.

Malgré une baisse générale de fréquentation pendant les vacances, due à l’absence des étudiants et des travailleurs, le train léger reste essentiel pour les Edmontoniens qui continuent de se déplacer, notamment pour les achats de dernière minute ou les rassemblements familiaux, souligne Sandra Carrette. 

Dans ce contexte, où l’alcool coule souvent à flots, l’opératrice rappelle l’importance de la sécurité sur la route. «Profitez de votre soirée, mais restez en sécurité en utilisant les transports en commun», conseille-t-elle.

Alexandra Houde est gestionnaire de l’apprentissage à l’entrepôt d’Amazon dans le sud-est de Calgary. Photo : Gabrielle Audet-Michaud

Course contre la montre 

Alors que d’autres secteurs connaissent une baisse d’activités à l’approche de la saison festive, les employés d’Amazon, le géant de la vente en ligne, sont particulièrement sollicités. 

«Les commandes augmentent considérablement. Et plus le volume de commandes augmente, plus on a besoin de soutien. Ce mois-ci, on a presque doublé le nombre d’associés d’entrepôt», analyse Alexandra Houde, gestionnaire de l’apprentissage à l’entrepôt du sud-est de Calgary. 

À partir du Vendredi fou, qui marque le coup d’envoi de la frénésie des achats de fin d’année, 2500 employés travaillent sans relâche dans cet entrepôt, le plus grand au Canada. Ils s’affairent à expédier des dizaines de milliers de colis par jour, dont de nombreux cadeaux. «Il y a une certaine pression, car on doit respecter les délais», explique-t-elle.

Le rythme effréné se poursuit jusqu’au 25 décembre, jour où l’entrepôt se met en pause pour une période de vingt heures, le seul moment de l’année, avec le 31 décembre où il ferme ses portes. «On travaille très fort, mais c’est satisfaisant de contribuer à cette période de l’année», ajoute-t-elle.

Bien que certaines étapes du processus d’envoi soient automatisées pour répondre à la forte demande et garantir la sécurité des employés, la gestionnaire rappelle que derrière chaque colis se cache une équipe de travailleurs humains.

«Je pense que beaucoup de gens croient que tout est fait par des robots, mais ce sont des humains qui préparent vos colis», précise-t-elle. Pour Alexandra Houde, ce sont d’ailleurs les échanges avec des collègues venus de cultures différentes qui font la beauté de son métier. En plus de former les nouveaux employés, elle apprécie particulièrement ces moments de partage et de collaboration.

«J’adore discuter avec les gens et voir comment des personnes aux parcours différents peuvent travailler ensemble pour atteindre un même objectif. C’est vraiment enrichissant», conclut-elle.

Alex Meszaros est technicien de ligne électrique et profite de l’été pour sécuriser le réseau en attendant l’hiver. Photo : Sergei Belski

GlossaireApogée : Sommet, degré le plus élevé