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le Mardi 5 septembre 2023 16:03 Campus Saint-Jean

Discours discordants sur le Campus Saint-Jean

Plusieurs bouleversements internes ont affecté le Campus Saint-Jean dans la dernière année. Photo : Viola-ness - Wikimedia Commons
Plusieurs bouleversements internes ont affecté le Campus Saint-Jean dans la dernière année. Photo : Viola-ness - Wikimedia Commons
(IJL - RÉSEAU.PRESSE - LE FRANCO) - La fermeture de la salle historique n'est pas la seule tradition qui a été abandonnée récemment au Campus Saint-Jean sans qu’une consultation officielle ait préalablement eu lieu. L’administration et la communauté ne semblent pas s’entendre face à ces bouleversements internes.
Discours discordants sur le Campus Saint-Jean
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Cet article est le deuxième volet de Mais où s’en va le Campus Saint-Jean?

Quelques mois avant que la salle historique ait été vidée de son contenu, le bureau du doyen a annoncé que la Cérémonie de la lumière s’éteindrait pour de bon. L’annonce de la fin de cet événement avait, elle aussi, provoqué une onde de choc parmi certains membres de la communauté franco-albertaine, comme le rapportait Radio-Canada en juin dernier. Après tout, il s’agissait pour eux d’un moment unique pour célébrer en français le succès et le passage des étudiants au Campus.

Certes, cette cérémonie ne faisait pas toujours l’unanimité parmi certains finissants -qui avaient parfois l’impression que le transfert de la chandelle avait une connotation catholique et religieuse-, mais elle était pourtant largement appréciée par la communauté du Campus. 

«La chandelle était utilisée comme symbole pour représenter le passage du flambeau et de la connaissance. Ça n’avait rien à voir avec [la religion]. Mais c’est cet angle-là que l’administration a utilisé pour abolir cet événement. Ce qui est vraiment dommage», assure une source bien au fait du dossier, qui a requis l’anonymat par crainte de représailles. (Voir premier volet) 

D’ailleurs, cette personne ajoute que la cérémonie aurait pu être adaptée «de toutes sortes de manières différentes» si l’enjeu religieux tracassait réellement la nouvelle administration. «Personne n’est contre le changement. Il y a plein d’ajustements qui auraient pu être faits avant d’annuler sans qu’il y ait de vraies consultations.»

La rédaction a également interrogé le doyen Jason Carey afin de recueillir sa version des faits en lien avec les bouleversements internes survenus au Campus au cours des derniers mois. Ce dernier semble avoir une version assez différente des faits allégués.

D’une part, d’après le doyen, les étudiants actuels du Campus étaient en faveur des modifications mises en place par son administration pour la cérémonie de fin d’année. «On a eu une discussion et l’AUFSJ [l’Association des Universitaires de la Faculté Saint-Jean] a voté en faveur», mentionne-t-il.  

Il ajoute que son rôle au Campus est de créer un environnement inclusif pour toute la grande francophonie, où tous se sentent en sécurité et sont les bienvenus. Selon lui, l’ancienne cérémonie ne répondait pas à ces critères. «Ni en matière d’équipe, de diversité et d’inclusion, ni aux appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation», explique-t-il. C’est ce qui aurait motivé son administration à l’annuler.

Un besoin d’espace mitigé

En ce qui concerne le démantèlement de la salle historique, le doyen cherche à calmer le jeu. Il assure que la plupart des objets qui y étaient entreposés se trouvent encore «dans les entrepôts du Campus» et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Pour justifier la décision de son administration de vider la salle, Jason Carey évoque, entre autres, les ressources limitées du Campus en termes d’espace. Rappelons que la salle historique a été réaménagée en bureaux.

«Mon rôle, c’est de m’assurer que l’on utilise les ressources du Campus de manière efficace. Une salle qui n’est jamais utilisée, qui n’entretient pas vraiment bien les artéfacts qui [s’y trouvent], ne nous fait aucun service», explique-t-il. 

Pourtant, un ancien administrateur du Campus assure qu’il y a «toujours» eu un manque d’espace au Campus et que «ça a toujours été gérable». «Il y a personne qui a jamais manqué d’espace malgré qu’on a eu plus d’employés par le passé. Et de toute façon, il y avait plein d’autres endroits qui auraient pu être convertis en espaces de bureaux», affirme cette source sous couvert d’anonymat.

Jason Carey est le doyen du Campus Saint-Jean. Photo : Courtoisie

Redonner leur gloire aux artéfacts

Jason Carey admet également que les artéfacts qui avaient jusqu’ici été conservés dans la salle historique seront remis à des individus ou à des sociétés capables de les préserver et d’en prendre soin de manière plus appropriée. «On ne détruit rien, ce qu’on fait, c’est qu’on protège les choses. Les photos sont en train de tomber en morceaux, on est en train de les protéger honnêtement», ajoute-t-il. 

Il mentionne que plusieurs objets ont déjà été remis à des organismes pour qu’ils les «protègent», possiblement à une «société historique polonaise qui [idolâtre] le frère Antoine».

Interrogé par la rédaction au sujet de l’impact d’une telle décision, notamment sur l’impression au sein de la communauté que le dépouillement de la salle entraîne un effacement de son patrimoine, voire une mise à mal des traditions franco-albertaines, le doyen se montre catégorique. 

«Le Campus n’est pas un musée, le Campus représente peut-être une partie de l’histoire, mais il faut se rappeler que son but premier est d’attirer et faire venir la grande francophonie, tous ceux qui parlent français ou qui sont bilingues», affirme-t-il. Un des objectifs que s’est fixés la nouvelle administration du Campus est d’accroître la population étudiante au cours des prochaines années, notamment en accueillant des étudiants étrangers.

Il semblerait que l’Université de l’Alberta «ne soit pas non plus un musée», mais elle en accueille une trentaine à travers son campus, souligne une voix discordante. «Pourquoi la seule institution [francophone] à l’ouest de Saint-Boniface n’aurait pas droit à un espace où on peut voir son passé?»

Un dialogue de sourds 

Au-delà de sa volonté de protéger l’histoire franco-albertaine, le doyen précise, à nouveau, souhaiter respecter les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Selon lui, son administration doit s’assurer de faire du Campus Saint-Jean un endroit «où tout le monde se sent bien sans avoir de traumatisme». La présence d’artéfacts religieux de l’Église catholique pourrait pour ainsi dire nuire au bien-être des étudiants autochtones.

Le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Pierre Asselin, a une opinion assez divergente sur le sujet. Bien qu’il reconnaisse la participation et la responsabilité des Oblats dans la mise sur pied des pensionnats autochtones, il rappelle que les objets religieux qui étaient conservés dans la salle historique servaient également «à préserver le patrimoine francophone de l’Alberta». 

Des professeurs interrogés par la rédaction affirment, quant à eux, que le processus de réconciliation ne devrait pas passer par une coupure avec le passé ni par une destruction de la mémoire collective d’une communauté. Selon eux, les artéfacts de la salle historique auraient pu être utilisés comme des outils pour éduquer la nouvelle génération dans un esprit de réconciliation et d’inclusion pour qu’elle comprenne l’impact du passé et du rôle colonial qu’a joué l’Église catholique dans l’histoire de la province. 

Il semble que le doyen ait également une version divergente à celle de la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA) en ce qui concerne les consultations qui auraient eu lieu – ou pas – avant le démantèlement de la salle historique. Selon Jason Carey, une discussion se serait tenue entre lui et le directeur général de la SHFA, Denis Perreaux, afin de déterminer ce qui adviendrait des artéfacts. «On a ensuite parlé avec Frank McMahon. C’est avec lui qu’on a fait nos consultations», dit-il.

Or, Denis Perreaux affirme plutôt avoir été convoqué à une brève rencontre de dix minutes sans avoir été préalablement informé de son objet et sans avoir eu l’occasion de se préparer adéquatement. «Il [le doyen] a exprimé le fait qu’il ne savait pas quoi faire avec le contenu de la salle historique. Il ne comprenait pas pourquoi il y avait une statue d’un «prêtre» dans le jardin, en arrière, ni une grotte. J’ai répété à maintes reprises que ce sont des objets de mémoire importants. Je lui ai suggéré de parler à Frank McMahon pour comprendre leur importance et leur provenance», témoigne le directeur général de la SHFA.

S’il avait su que l’objet de la rencontre était une consultation sur le démantèlement, le directeur général affirme qu’il aurait préparé une défense plus robuste et aurait exprimé son désaccord encore plus fortement dès le départ. «S’il [le doyen] interprète cette rencontre comme une consultation, il faudrait qu’il explique pourquoi il est allé à l’encontre de mes commentaires sur le champ pour procéder au démantèlement», ajoute Denis Perreaux.

Le directeur général de la SHFA, Denis Perreaux. Photo : DCClic.ca

La nécessité d’un dialogue 

Lors de l’assemblée générale du Campus Saint-Jean qui s’est tenue le jeudi 31 août, Carol Léonard, président du Comité pour la protection du patrimoine de la Société francophone historique de l’Alberta, a lancé un appel afin que les relations entre le Campus et la communauté francophone se bonifient et deviennent même excellentes, sans quoi «ça ne peut que mal aller».

Quelques heures plus tard, et après que la rédaction se soit entretenue avec le doyen, un courriel aurait été envoyé à toutes les parties prenantes qui avaient manifesté leur désaccord et leur incompréhension face au démantèlement de la salle historique pour leur fournir des explications quant à la situation.

L’espoir est maintenant qu’un dialogue puisse s’amorcer.

Glossaire – Unanimité : consensus, conformité d’opinion