Le 19 novembre dernier, les Argentins ont élu à la magistrature suprême Javier Milei. Politicien libertarien et populiste, il nous ferait presque regretter son acolyte Bolsonaro au Brésil. Le 22 novembre, lors des législatives, les Néerlandais portaient en tête du scrutin l’extrême droite de Geert Wilders, qui a recueilli 25 % des suffrages contre 11 % en 2021.
Un phénomène mondialisé
L’un des éléments qui nous permettent de saisir l’une des causes profondes de cette montée des populismes est le fait qu’elle s’observe sur tous les continents.
Que ce soit en Amérique du Sud avec Milei et Bolsonaro; en Amérique du Nord avec Trump – toujours aussi haut dans les sondages – et Poilievre; en Europe, où la liste serait trop longue à dresser; en Asie avec l’indéboulonnable Modi en Inde ou Marcos Junior aux Philippines; jusqu’en Afrique, où une série de coups d’État a propulsé aux manettes du pouvoir des caporaux aux discours simplistes pour ne pas dire simplets.
L’aspect mondialisé du populisme démontre le rôle clé joué par un système ultracapitaliste débridé, qui non seulement accroit toujours et encore plus l’écart entre le 1 % et le reste de la planète, mais qui en plus le fait en toute impunité et avec un culot effronté.
Sans honte ni vergogne
Un culot inégalé donc. Parce que non contents de s’en mettre plein les poches alors qu’ils demandent sans cesse aux petites gens de se serrer la ceinture, les rares bénéficiaires et artisans des systèmes populistes dévastateurs humilient.
Comment le personnel infirmier et le personnel enseignant du Québec, qui sont payés des clopinettes, pourraient-ils ne pas se sentir humiliés alors qu’en pleine négociation, le gouvernement annonce fièrement son intention de dépenser sept-millions de dollars pour deux matchs préparatoires de hockey d’une équipe américaine?
Comment les Franco-Ontariens pourraient-ils ne pas se sentir humiliés alors que des copains du gouvernement, dont certains sont parties prenantes du fiasco de l’Université Laurentienne, balancent un rapport inepte nous intimant d’oublier nos institutions francophones acquises récemment après des décennies de lutte?
Il n’y a jamais d’argent pour les services de santé, le logement, la transition écologique, l’éducation, mais les gouvernements de par le monde n’hésitent pas une minute à subventionner à coups de milliards les grandes compagnies pétrolières et retenir les services-conseils prétendument indispensables de la firme McKinsey.
Ce sans-gêne constant de la part des gouvernants pousse les citoyens vers les leadeurs populistes.
Il y a quelque chose de pourri au royaume du capitalisme ultralibéral que l’on ne retrouvait pas dans le capitalisme il y a un siècle quand les grands chefs d’entreprise se gardaient une petite gêne, même s’ils se frottaient les mains discrètement devant les boucheries de 1914-1918 qui faisaient accroitre leurs profits.
Le creusement des inégalités
La pandémie a mis en lumière comment les malheurs des uns (enfin de la plupart) faisaient le bonheur de (quelques-)uns. Le 1 % a accru ses richesses alors que des dizaines de millions de personnes ont glissé dans la pauvreté.
Depuis, l’envolée des prix de l’immobilier conjuguée à des taux d’intérêt à la hausse et à une inflation élevée fait en sorte qu’un nombre croissant de personnes des classes moyennes décrochent et rejoignent le lot des précaires.
L’ascenseur social qui avait fonctionné pendant les Trente Glorieuses est en panne.
Il est beaucoup plus difficile pour les deux dernières générations de vivre une mobilité sociale positive. Même la très conservatrice Organisation de coopération et de développement économiques le reconnait dans divers rapports.
Alors forcément cela est source de frustrations énormes pour toutes les générations. D’où un ras-le-bol généralisé, qui se traduit par une sanction électorale des élites politiques traditionnelles.
Selon Statistique Canada, «[l]’écart de la valeur nette entre les patrimoines les plus élevés et les plus bas a augmenté de 1,1 point de pourcentage au premier trimestre de 2023 par rapport au même trimestre un an plus tôt. Il s’agit de l’augmentation la plus rapide jamais enregistrée pour ces estimations, qui remonte à 2010».
Un soutien irrationnel aux populismes
Une chose demeure frappante quand on regarde les intentions de vote des citoyens en faveur des candidats populistes : l’irrationalité.
Qu’est-ce à dire? Tout simplement que ces personnes vont voter pour des candidats qui, loin de résoudre leurs problèmes, ne feront que les aggraver.
Trump n’a pas remis la classe ouvrière blanche au travail. Marine Le Pen, née dans une famille bourgeoise, ayant habité dans un château, ne sait pas ce qu’est le dur labeur. Pierre Poilievre a été élu député à 25 ans et depuis a écumé les maroquins ministériels et les bancs de la Chambre. Comment pourrait-il savoir ce qu’est le quotidien des travailleurs canadiens?
Si l’on veut combattre le populisme, il ne s’agit donc pas de continuer à prendre les électeurs pour des imbéciles, mais de commencer par les respecter; de s’attaquer réellement aux grands problèmes socioéconomiques; d’arrêter les collusions et corruptions entre petits amis; et de mettre en place un système fiscal juste permettant de réduire les inégalités.
Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des Facultés de sciences humaines et de philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.