Originaire de Belgique, Julie Gillet est titulaire d’une maitrise en journalisme. Militante éprise de justice sociale, voici près de quinze ans qu’elle travaille dans le secteur communautaire francophone et s’intéresse aux questions d’égalité entre les genres. Elle tire la force de son engagement dans la convergence des luttes féministes, environnementales et antiracistes. Elle vit aujourd’hui à Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Le Jour de la Terre nous invite chaque année à réfléchir à notre rapport à la planète, aux crises environnementales que nous affrontons et aux actions nécessaires pour y remédier. Cependant, une analyse profonde de ces crises révèle qu’elles ne sont pas seulement écologiques, mais aussi profondément enracinées dans les structures sociales et de genre.
Les données sont claires : les femmes et les minorités de genre – surtout celles appartenant à des groupes marginalisés comme les femmes autochtones, racisées, porteuses d’un handicap – vivent de manière disproportionnée les impacts des crises environnementales. Ces groupes sont les plus affectés par les répercussions socioéconomiques, culturelles et sanitaires des désastres écologiques.
La précarité économique, accentuée par un système patriarcal et capitaliste, rend ces populations plus vulnérables aux effets des changements climatiques, tels que les catastrophes naturelles, l’insécurité alimentaire et les migrations forcées dues à des raisons climatiques.
Cela s’explique notamment par la présence disproportionnée des femmes dans les groupes les plus pauvres de la population. Comme le soulignent les Nations unies, sur 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté dans le monde, 70 % sont des femmes.
Dans les zones urbaines, près de 40 % des foyers les plus démunis sont dirigés par une femme.
Bien que les femmes soient essentielles à la production alimentaire mondiale et qu’elles représentent entre 50 % et 80 % de la force de travail de ce secteur, elles possèdent moins de 10 % des terres agricoles.
Ces inégalités les exposent à des risques accrus et limitent leur capacité à répondre efficacement aux défis posés par les changements climatiques.
En se voyant refuser un accès égal aux ressources, telles que la terre et l’eau, ainsi qu’à la prise de décisions et à l’éducation, les femmes se trouvent dans une position où elles peuvent moins facilement se protéger et protéger leur famille contre les conséquences des phénomènes climatiques extrêmes.
Dans de nombreuses régions d’Afrique subsaharienne, par exemple, les femmes sont majoritairement responsables de l’agriculture de subsistance.
Les effets des changements climatiques, tels que les sècheresses prolongées ou les pluies irrégulières, compromettent directement leur capacité à nourrir leur famille, renforçant l’insécurité alimentaire. De plus, la raréfaction des ressources entraine des migrations forcées, plaçant les femmes dans des situations de grande vulnérabilité.
Plus près de nous, citons le cas des communautés autochtones du Canada, où les femmes sont tout particulièrement affectées par l’exploitation intensive des ressources naturelles.
Les projets d’extraction minière et pétrolière menacent non seulement leur environnement, mais aussi leur sécurité, avec une augmentation des cas de violence envers les femmes dans les zones d’exploitation. Ce phénomène est exacerbé par l’isolement des communautés et le manque d’accès à des services de soutien.
Pensons également aux catastrophes comme les ouragans Katrina et Harvey, qui ont mis au jour des disparités flagrantes aux États-Unis. Les femmes, en particulier celles de communautés racisées et à faible revenu, ont subi des pertes disproportionnées en termes de logement, d’emploi et d’accès aux soins.
L’écoféminisme
L’écoféminisme offre une perspective critique et enrichissante pour comprendre ces enjeux et agir.
Ce mouvement, qui lie étroitement la lutte pour la justice climatique à celle pour l’égalité des genres, postule que les racines du patriarcat et celles des crises environnementales sont intimement liées.
Cette perspective permet de comprendre comment l’oppression systémique des femmes, celle des minorités de genre et celle de la nature sont interconnectées à travers les dynamiques du pouvoir capitaliste et patriarcal.
Cette analyse révèle également comment la gestion actuelle des ressources et des crises environnementales néglige les spécificités de genre, aggravant ainsi les inégalités existantes.
Les catastrophes climatiques exacerbent non seulement les vulnérabilités économiques et sociales, mais renforcent également les stéréotypes de genre et la division sexuelle du travail, confinant davantage les femmes à des rôles de soignantes, souvent non rémunérées et sous-évaluées.
Face à ce constat, il est impératif d’intégrer une analyse de genre intersectionnelle dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques environnementales.
Cela signifie non seulement de reconnaitre les impacts différenciés des crises climatiques sur les genres, mais aussi de valoriser les savoirs et les compétences spécifiques des femmes et des minorités de genre dans la lutte contre le changement climatique.
Comme nous le rappelle Françoise d’Eaubonne, pionnière de l’écoféminisme dans les années 1970, l’urgence d’une prise de conscience féministe est cruciale pour sauvegarder l’avenir de notre planète. Sa formule percutante, «le féminisme ou la mort», est plus que jamais d’actualité.