FRANCOPRESSE
Pendant près de 15 ans, de 2001 à 2015, deux grands fabricants – Weston et Canada Bread – ainsi que cinq détaillants – Loblaw, Sobeys, Metro, Walmart Canada et Tigre Géant – auraient fixé les prix du pain en épicerie. Le stratagème aurait permis à ces entreprises d’engranger un surprofit de près de 5 milliards de dollars durant cette période.
Le règlement survenu la semaine dernière permet à Loblaw et Weston de mettre fin aux actions collectives contre elles. Bien que le montant puisse paraitre énorme, ce n’est que l’équivalent d’une petite tape sur les doigts plutôt qu’une punition sérieuse, vu les profits excédentaires possiblement enregistrés et la taille des entreprises visées.
Une tape sur les doigts
Loblaw et Weston avaient reconnu leur responsabilité dans cette affaire dès 2017, après l’ouverture d’une enquête du Bureau de la concurrence. Loblaw avait offert un remboursement de 96 millions de dollars à ses clients à l’époque. Ce montant est donc déduit du règlement qui vient d’être conclu. Weston paiera 247,5 millions. Loblaw acquittera les 156,5 millions restants.
Pour le géant de l’alimentation, cela représente au final un recul du profit net de son dernier trimestre de 10 % par rapport à la même période l’an passé. Son profit trimestriel s’élève tout de même à 457 millions de dollars sur un chiffre d’affaires de près de 15 milliards. Pas de quoi s’énerver. L’action de l’entreprise a perdu 3 % le jour de l’annonce, mais a vite remonté le lendemain.
Les résultats de l’enquête du Bureau de la concurrence, eux, se font toujours attendre, depuis sept ans maintenant.
Canada Bread, l’autre fabricant impliqué dans cette affaire qui détient les marques Dempster’s et POM notamment, a reconnu sa responsabilité l’année dernière et a été condamné par le Bureau de la concurrence à payer une amende de 50 millions de dollars. Encore une fois, cette somme peut paraitre bien faible par rapport à l’ampleur de la fraude.
Les limites de la police antitrust
Le Bureau de la concurrence est le principal gendarme qui s’occupe de protéger la concurrence. Il traite les plaintes et lance des enquêtes quand des entreprises sont soupçonnées de fixer les prix.
L’enquête interminable du Bureau et les montants dérisoires des amendes et règlements dans le cas du cartel du pain ne laissent cependant présager rien de bon quant à l’avenir de l’antitrust au Canada.
Le cas de la fixation des prix du pain ne devrait pas prendre plus de sept ans à régler. Après tout, les deux instigateurs du stratagème, Weston et Canada Bread, ont reconnu leur responsabilité et participent à l’enquête. Des courriels font expressément référence à l’entente. Il y a des preuves écrites. C’est un cas classique de fixation des prix, et non une ruse très élaborée.
Si le Bureau de la concurrence peine à mener cette enquête à bien, comment peut-on croire qu’il aboutira dans des cas plus complexes? Il vient d’ailleurs d’entamer ce printemps une enquête contre les géants de l’épicerie Sobeys et Loblaw, qui limiteraient la concurrence par l’entremise de leur contrôle immobilier.
Ces entreprises ne sont pas que des épiciers; elles gèrent aussi des divisions dans la pharmacie, le vêtement, les services financiers et, oui, les investissements immobiliers.
Le Bureau de la concurrence soupçonne ces épiciers de contrôler le type de commerce qui peut s’établir dans les centres commerciaux par l’entremise d’ententes restrictives ou directement d’acheter des terrains vacants pour empêcher d’éventuels compétiteurs de s’installer et de les concurrencer.
Ce type de pratiques qui limitent la concurrence seront assurément plus complexes à prouver que le cas du cartel du pain.
La confiance du public
L’alimentation n’est pas le seul secteur économique où l’on observe une grande concentration des entreprises. Le secteur du transport aérien, le raffinage et la distribution d’essence ou la téléphonie cellulaire sont quelques autres exemples de biens et services qui coutent plus cher au Canada qu’ailleurs.
On peut évidemment soupçonner que des pratiques anticoncurrentielles sont la cause de ces prix élevés, mais encore faut-il le prouver. Seul un régulateur fort disposant de moyens conséquents peut y arriver.
Au-delà de l’impact économique sur nous tous, c’est surtout la confiance du public qui est en jeu dans ces histoires. Les pratiques anticoncurrentielles peuvent prendre de nombreuses formes et ne se limitent pas à des ententes directes sur les prix.
Les consommateurs doivent avoir des recours et avoir confiance que les institutions publiques qui les protègent ont les moyens de faire valoir leur droit, surtout devant des entreprises milliardaires qui opèrent à la grandeur du pays. Pour l’instant, les résultats sont, au mieux, mitigés.