FRANCOPRESSE
«Travailler c’est trop dur, et voler c’est pas beau», chantait Zachary Richard. Au XIXe siècle, alors que l’industrialisation entrait à pleines portes dans les sociétés occidentales, les travailleurs étaient du même avis que le chanteur cadien.
À l’époque, on se battait, non pas pour la semaine de quatre jours, pour le travail à distance ou pour la conciliation travail-vie personnelle. On revendiquait plutôt la journée de travail de moins de 10 heures. Travailler 10 heures par jour était la norme. Pour certains, c’était même 12 heures. Six jours par semaine.
En 1872, le syndicat des typographes de Toronto (Toronto Typographical Union) revendique la journée de neuf heures auprès des éditeurs des grands journaux de la ville. Ces derniers, en particulier George Brown, propriétaire du journal le Globe, s’opposent à la demande qualifiée de «sotte», «absurde» et «abusive».
En riposte, le syndicat déclenche la grève le 25 mars. Les éditeurs engagent du personnel de remplacement afin de continuer à imprimer leurs journaux. Les typographes gagnent cependant l’appui de la population.
En avril, environ 2000 travailleurs défilent dans les rues de Toronto. Lorsqu’ils arrivent à Queen’s Park, 10 000 sympathisants se joignent à eux.
Mais les activités syndicales sont illégales à l’époque en Ontario. Le lendemain de la manifestation, la police arrête et emprisonne 24 membres du comité de grève.
Les évènements prennent une tournure inattendue. Le premier ministre canadien, John A. Macdonald s’en mêle. Il prend le parti des travailleurs et fait adopter la Loi sur les syndicats ouvriers, qui légalise et protège l’action syndicale.
Ce n’est pas seulement par conviction ou par souci de justice que le premier ministre agit ainsi. George Brown, considéré comme l’un des «Pères de la Confédération», est l’un des grands adversaires libéraux de John A. Macdonald. De plus, l’adoption de cette loi lui vaudra le vote de nombreux travailleurs.
Solidarité pour une journée de travail allégée
Mais la bataille pour la journée de travail de neuf heures n’est pas gagnée pour autant. Au cours des années suivantes, les syndicats organisent des rassemblements annuels à divers endroits au Canada afin de réitérer leur demande.
En 1882, Peter J. McGuire, figure emblématique du syndicalisme aux États-Unis et cofondateur de la Fédération américaine du travail, assiste à un de ces rassemblements ouvriers à Toronto.
Inspiré, il organise, le premier lundi de septembre, un immense défilé «festif» dans les rues de New York. Certaines sources rapportent une foule d’entre 10 000 et 20 000 personnes; d’autres jusqu’à 30 000.
Le Canada prend acte. Une Commission royale sur les relations du travail et du capital (menée entre 1886 et 1889) recommande d’établir par une loi un jour de repos, «appelé Jour ou Fête du travail».
En juillet 1894, cinq ans après les rapports de cette Commission, le gouvernement de John Thompson adopte une loi officialisant la fête du Travail, une décision qui arrive la même année qu’aux États-Unis. Comme deux frères…
La première fête du Travail «officielle» cette année-là donne lieu à d’immenses défilés, notamment à Winnipeg – il s’étale sur cinq kilomètres – et à Montréal, qui avait déjà célébré cette fête une première fois en 1886 (et en avait fait un jour civique en 1889).
L’autre fête du Travail
Alors que la fête du Travail s’installe dans les deux pays le premier lundi de septembre, un autre jour prend forme pour faire l’éloge des travailleurs : le 1er mai. Et cette date aura une portée internationale.
Ironiquement, la fête du 1er mai tire ses origines aux États-Unis.
En 1884, deux ans après la première fête du Travail à New York, le mouvement syndical américain multiplie les efforts pour obtenir la journée de huit heures. On organise un coup de force partout au pays le 1er mai 1886.
On rapporte que 340 000 ouvriers auraient suivi le mouvement de grève ce jour-là. À Chicago, ils sont 40 000. Les manifestations se poursuivent dans cette ville les jours suivants.
Le 3 mai, les syndiqués des usines McCormick affrontent des briseurs de grève. Les forces de l’ordre interviennent et tirent sur les manifestants. Entre un et trois ouvriers perdent la vie (les sources ne s’entendent pas).
Le lendemain, une autre manifestation a lieu au Haymarket Square de Chicago pour protester contre les évènements de la veille. C’est un face-à-face : 200 manifestants d’un côté, 200 policiers de l’autre.
Soudainement, une bombe éclate devant les forces de l’ordre. Un policier est tué sur le coup. Puis, c’est le chaos. Les balles fusent, les coups aussi. Dans la mêlée, six autres policiers meurent. Entre quatre et huit manifestants trouvent la mort. Il y a des dizaines de blessés dans les deux camps.
Huit «anarchistes» sont accusés. Cinq seront condamnés à mort. Quatre d’entre eux seront pendus; le cinquième se suicidera avant de se rendre à l’échafaud. Les trois autres accusés écopent d’une peine de prison à vie.
Après ce drame, plusieurs États adoptent des lois pour établir un jour du Travail férié. L’Oregon est le premier à le faire en 1887 et choisit le premier samedi de juin. Quatre autres États font de même, mais fixent le congé au premier lundi de septembre.
En 1894, la démarche s’était étendue à 23 États. Cette année-là, le Congrès américain en fait une fête nationale. À ce moment, la date du congé n’avait pas été fixée.
On dit que le président américain Grover Cleveland a rejeté le 1er mai, ne voulant pas que cette date serve à commémorer les manifestations sanglantes de Chicago.
C’est pourtant ce qu’avaient déjà fait bon nombre d’autres pays. En 1889, la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris, choisit le 1er mai comme journée de grève et de manifestations ouvrières, afin de perpétuer la mémoire des émeutes de Chicago.
Cette date porte aujourd’hui le nom de «Journée internationale des travailleuses et travailleurs». Elle est soulignée au Canada depuis 1906 (Montréal) par des rassemblements, mais ce n’est pas un jour férié, contrairement à ailleurs dans le monde.
Toutefois, peu importe la date, un congé pour les travailleurs et travailleuses fait bien des heureux, parce que, souvent, «travailler c’est trop dur».