Sabine Lecorre-Moore est une artiste visuelle et commissaire d’exposition basée en Alberta. Passionnée par les récits culturels et les liens entre l’art et la communauté, elle partage ses découvertes et réflexions dans Le Franco. Forte d’une carrière riche en projets collaboratifs, Sabine s’engage à faire rayonner la vitalité artistique et francophone de l’Alberta.

Karen Blanchet dans cette nature qu’elle voit belle et si fragile à la fois. Photo : Kylie Anderson
Son atelier est niché dans un écrin de verdure, au bout d’un petit sentier pavé de dalles. Il mène à une vaste cabane baignée de lumière. La porte s’ouvre et Karen Blanchet, un grand sourire aux lèvres, vous accueille dans son sanctuaire, un lieu intime empreint de beauté et de réflexion.
Pour Karen, tout a commencé en Australie. Encouragée par sa mère, elle a grandi en jouant avec toutes sortes d’outils créatifs : pinceaux, crayons de couleur, pastels et aquarelles. À 18 ans, elle a suivi des cours d’art et se souvient, «je ne savais rien. J’ai dû tout apprendre».
C’est là qu’elle acquiert les bases du dessin et de la théorie des couleurs, en plus de découvrir l’abstraction. Plus tard, à l’Université de Sydney, après avoir envisagé une carrière en droit, elle choisit — sans vraiment savoir pourquoi — d’étudier le français, une langue qui lui était alors totalement étrangère.
De retour au Canada à la fin des années 1970, elle obtient un diplôme en éducation et devient enseignante en arts dans des écoles secondaires de la Saskatchewan, où elle conçoit des cours spécialement pour les adolescents. C’est là qu’elle rencontre Martin Blanchet, éducateur passionné, qui deviendra son mari.
En suivant la trajectoire professionnelle de Martin, la famille déménage à de nombreuses reprises. En 1994, ils s’installent à Legal, mettant ainsi fin à cette vie nomade. Karen peut enfin se consacrer pleinement à la peinture. Invitée par Gisèle Boutin-Desjardins, elle devient l’un des premiers membres de la Société des arts visuels de l’Alberta.
Émulation de l’esprit
Un moment décisif dans sa carrière artistique survient en 2013 lorsqu’elle rejoint le groupe Master Mind, un collectif issu de divers milieux professionnels du Canada et des États-Unis. Cette communauté de femmes se réunit chaque semaine en ligne pour définir des objectifs et se soutenir mutuellement.
Ce groupe lui lance un défi de taille : elle doit réaliser sept grandes toiles en seulement six semaines. «J’ai été étonnée de relever ce défi, alors que je peignais deux à trois peintures par an à l’époque.» Cette expérience lui permet de prendre conscience de son identité d’artiste professionnelle et de trouver son bonheur au milieu de ses pinceaux.
Lorsqu’on entre dans l’atelier de Karen, on découvre d’abord une salle d’exposition. Sur les murs blancs, des tableaux immenses sont exposés, représentant des paysages fragmentés et éclatants de couleur. Ce sont les fruits de dix années d’expérimentation qui ont donné naissance à sa technique signature, le néomosaïque, un terme inventé par son époux.
C’est dans la pièce adjacente, au sein d’un désordre savamment organisé, qu’elle donne vie à ses œuvres. Elle commence chaque toile par une réflexion sur l’ambiance souhaitée — chaude ou froide —, ce qui détermine la palette chromatique : jaunes et orangés ou bleus et verts. Puis elle applique des couches de texture à l’aide d’objets insolites : sacs à oignons, bouchons en plastique, etc.
S’inspirant d’un document photographique, elle esquisse sur cette texture une composition rythmée. Elle explique que «la répétition est la base de tout art». Elle ajoute ensuite des couches de couleurs qu’elle fait fusionner à l’aide d’un pulvérisateur d’eau. De ce chaos naît une identité unique, une complexité épurée. Elle peaufine sa toile avec des détails tels que des feuilles d’or ou d’argent déposées dans les cercles créés par les humbles bouchons, symbolisant sa conviction que «tout est relié dans le monde».
Elle aime par-dessus tout «les accidents de parcours», ces surprises du geste qui l’amènent toujours plus loin dans sa quête de l’excellence.
Renaissance d’une beauté brisée
Ses œuvres sont plus que de magnifiques représentations de la réalité, elles portent un message. «Tout est brisé dans le monde», dit-elle. Elle poursuit cette pensée en expliquant qu’avec du travail et de l’attention, il est possible de rassembler les morceaux et de retrouver un certain équilibre.
Cette vision écologique se retrouve dans sa nouvelle série intitulée Source. Composée d’une douzaine de grandes toiles, cette série célèbre la beauté éclatante de la nature tout en soulignant sa fragilité. L’eau y coule en abondance, mais elle provient de glaciers en voie de disparition. Karen nous met en garde sur un fait élémentaire, mais souvent ignoré : «l’eau est une ressource limitée».
Par un heureux hasard, Karen Blanchet a appris le français dans sa jeunesse et a mené une vie ancrée dans la création au sein de la communauté francophone, pour notre plus grand bénéfice. Cet été, si vous passez par Red Deer, prenez le temps de visiter la galerie Viewpoint où la série Source sera exposée pour la première fois. Il s’agit de l’une des dix expositions que cette artiste prolifique présente cette année.
Elle a donné une conférence en compagnie de l’écologiste Alice Koning, de la société Waskasoo Environmental Education, le 6 juin dernier pour sensibiliser le public à l’importance de protéger nos sources d’eau. Par-dessus tout, elle souhaite éveiller les consciences face à ce défi mondial. Elle nous laisse avec ce message : «Le monde est fragile. Il faut en prendre soin».

La série Source est présentée à la galerie Viewpoint de Red Deer du 5 juin au 24 juillet 2025.