
Portrait Doris Charest. Photo : Mackie House Staff
Mais qui est vraiment cette grande dame des arts visuels de l’Alberta?
Son engagement communautaire remonte à loin. L’aînée de six enfants (Michel, Daniel, Carol, Viviane et Lise), elle a grandi sur une ferme, près du village de Falher, dans la région de Rivière-la-Paix. Elle se souvient de cette enfance à la campagne. «On travaillait beaucoup, mais on jouait aussi beaucoup tous ensemble.» Sous la tutelle de son père Gaston, elle apprend l’autosuffisance. Il lui montre comment utiliser les outils de l’atelier et elle développe un goût particulier pour la fabrication d’objets utiles. Elle se souvient, «mon père m’a appris à prendre mon temps quand je fais quelque chose». Elle hérite également de lui le don de tout reconstruire et de visualiser les formes en trois dimensions.
Doris est aussi «une autre paire de mains» pour sa mère Noëlla. Avec l’aide de sa grand-mère Aline, elle apprend les arts ménagers et artisanaux, comme le tricot, la couture ou la courtepointe. La créativité par nécessité est au cœur de la vie familiale. «Il n’y avait pas assez d’argent pour acheter ce que l’on voulait. Alors, on utilisait ce qu’il y avait autour de soi pour créer quelque chose de semblable.» Chez les Charest, les cadeaux de Noël étaient faits maison et emplis de joie.
En 1975, elle quitte son village pour faire des études, d’abord au collège de Grande Prairie, puis à Calgary, où elle obtient un baccalauréat en beaux-arts avec une spécialisation en photographie et en poterie. Souhaitant devenir enseignante, elle déménage à Edmonton pour y obtenir un second baccalauréat, en éducation cette fois-ci. À l’époque, les bourses étaient rares; elle travaille alors au musée provincial tout en étudiant. Elle adorait son nouveau métier de guide et de conceptrice de programmes. Elle se souvient, «c’était le meilleur emploi du monde».
Dans les années 1980, l’art passe au second plan : elle élève ses deux enfants, Marielle et René, tout en suivant son mari Wayne Hawkes à travers le Maroc, les États-Unis et différentes régions de l’Alberta. Elle continue toutefois de créer, principalement des aquarelles.

Les détails font toute la différence. Photo : Doris Charest
En 1993, la famille s’installe à Saint-Albert, où elle décide de poser ses racines. Disposant de plus de temps à consacrer à sa pratique, Doris s’engage pleinement dans le milieu artistique. Elle devient membre de plusieurs associations, dont la Société des arts visuels de l’Alberta (SAVA). Elle passe de l’aquarelle à l’acrylique, qu’elle apprécie pour sa liberté d’expression, puis au collage, qu’elle compare à la courtepointe. La nature qui lui est chère reste le fil conducteur de sa production. Grande travailleuse, elle complète une maîtrise en éducation, tout en commençant à enseigner au Campus Saint-Jean.
Elle s’intéresse également à l’installation, une forme d’art qui lui permet de sortir des sentiers battus. Pour son premier projet, elle installe ses peintures au milieu d’une galerie. Elle enchaîne ensuite avec Une marche en forêt, une installation composée de longs pans de tissu blanc peints de peupliers et suspendus au plafond. Encouragée par cette nouvelle façon d’exprimer ses idées, elle affirme qu’un message peut parfois être plus percutant en trois dimensions qu’à travers une simple image accrochée au mur.

Lors de ses promenades matinales, Doris Charest aime ramasser des éléments naturels, comme des fleurs, des branches ou des ailes de papillons, pour en faire des œuvres d’art. Photo
L’exposition Overlooked / Oublié débutera au CAVA, le 18 septembre 2025, avec un vernissage à ne pas manquer, et se terminera le 25 novembre 2025.
La pandémie, un tournant dans sa pratique
Confinée chez elle, elle découvre dans son jardin le début d’une aventure artistique. Après un orage, elle remarque sur le sol une minuscule demi-coquille bleutée remplie de trésors naturels déposés par le vent. Ce microcosme parfait devient alors une obsession. Elle crée de merveilleuses sculptures à partir d’œufs ordinaires, ce qui lui vaut le premier prix de la Société internationale des arts expérimentaux durant une exposition à la galerie d’art de Saint-Albert en 2022.
Portée par cette reconnaissance, elle continue de ramasser des éléments naturels (fleurs, branches, ailes de papillons, etc.) lors de ses promenades matinales. De retour dans son atelier, elle compose des séries de sculptures de plus en plus audacieuses. Grâce à une bourse, elle bénéficie de l’accompagnement de Lyndal Osborne, une artiste canadienne de renommée internationale, spécialisée dans les installations d’objets naturels. Lyndal devient une mentore précieuse qui l’encourage à ralentir et à approfondir son travail.
Peu à peu, une exposition d’envergure prend forme autour d’un thème qui lui est cher : comment regarder la beauté du quotidien à travers la nature, peu importe où l’on habite. Une dizaine d’œufs d’autruche flottant dans l’espace et remplis de délicates compositions sont notamment au rendez-vous. Un bas-relief mural composé d’une série de sculptures créées à partir de petites branches peintes en blanc et semblant s’envoler dans un souffle invisible fait également partie des œuvres. L’artiste nous invite dans son jardin de jeu, un monde où l’on crée avec ce que l’on a sous la main.
Fille de la campagne et femme de la ville, Doris Charest est une artiste difficile à étiqueter, tant son parcours est marqué par sa curiosité, sa rigueur et son désir de partage. Elle résume peut-être le mieux sa philosophie en offrant ce conseil aux jeunes artistes : «Fais ce que tu aimes. Continue.» Et de conclure : «Persiste. N’écoute pas les critiques. C’est toi qui es au centre de ton art.» Chaque expérience est unique, à l’image de cette artiste aux multiples talents.
Glossaire – Microcosme : Monde en réduction, entité, ensemble formant une unité