le Lundi 17 février 2025
le Samedi 3 juin 2023 12:09 Chronique «esprit critique»

Jésus-Christ, ancêtre et superstar des mouvements écologistes?

Statue du Christ Rédempteur. Photo - Arne Müseler / www.arne-mueseler.com - Wikipedia / Creative Commons. Effets - Le Franco
Statue du Christ Rédempteur. Photo - Arne Müseler / www.arne-mueseler.com - Wikipedia / Creative Commons. Effets - Le Franco
Jésus-Christ, ancêtre et superstar des mouvements écologistes?
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«Quoi? Qu’est-ce que c’est que cela?» Oui, je sais, le sujet peut sembler étrange à première vue. Nous sommes tous, ou presque, préoccupés par la justice climatique et le sort qui est réservé à notre planète au point de nous triturer les méninges pour trouver des solutions. 

Il n’y a donc plus lieu de plaisanter avec la crise que nous vivons. La préoccupation est d’autant plus sérieuse que nous sommes en partie responsables de la destruction de la biodiversité et du dérèglement en cours. 

Toutefois, loin d’en rire ou de pleurer, je vous propose plutôt une petite enquête afin de savoir si Jésus-Christ avait une pensée écolo; au point où l’on pourrait trouver chez lui les traces de la pensée écologique actuelle. 

Là où l’on croit avoir trouvé une source

Bien évidemment, cela n’a rien de simple. Les questions écologiques et environnementales ne constituaient pas un problème du temps de Jésus. La crise que nous connaissons possède des origines beaucoup plus récentes. On peut supposer sans trop se tromper qu’elle prend racine dans la révolution industrielle entre le 19e et le début du 20e siècle, période qui marque le passage d’une société agraire et artisanale à une société commerciale et industrielle culminant dans la consommation de masse à partir des années 1970. 

D’autre part, il existe certes des enseignements pertinents qui donnent à penser Jésus-Christ comme précurseur de l’écologie. C’est le cas notamment dans l’Évangile de saint Matthieu (6 : 26-30). Dans un passage au sujet des oiseaux et des lys, Jésus affirme que Dieu en prend grand soin. Cette image d’un Dieu créateur et protecteur de la nature deviendra effectivement l’un des fils conducteurs de la pensée chrétienne. Mais on peut en dire autant de l’Évangile selon saint Luc (10 : 25-37) où il est question de la parabole du bon Samaritain venant en aide à un homme blessé par des brigands. 

Il y a en effet un parallèle entre la responsabilité de prendre soin d’autrui, d’être bon à l’égard de ses semblables avec l’impératif catégorique consistant à veiller sur ce qui est le plus fragile et le plus menacé : la nature, la planète, le vivant. D’ailleurs, c’est exactement l’approche adoptée par saint François d’Assise dans sa théologie de la création au XIIIe siècle. Il demandait à ses disciples de respecter la nature et les animaux et de défendre la Terre, quintessence de notre humanité, en signe de notre amour pour le divin créateur, plutôt que de chercher à exercer notre pouvoir et notre domination.

Les passages susmentionnés ainsi que la référence à François d’Assise puisant aux sources du message évangélique sont pertinents. Ils sont révélateurs de la parole du Christ sur la nature et sur le vivant. Du reste, si ces références semblent à première vue importantes pour une compréhension de nos enjeux, on peut objecter toutefois une simple coïncidence logique avec notre conception de la nature, celle-ci étant partout et en tout temps la même malgré la diversité des lieux et ses métamorphoses.

Jusque-là, donc, rien de nouveau sous le soleil. Pas de preuves tangibles d’un Jésus-Christ ancêtre et superstar de l’écologie moderne. Mais qu’en est-il de son mode de vie? Celui qu’on dit parfait, peut-il être considéré comme un véritable activiste écologique? En outre, était-il conforme à ce que nous propose aujourd’hui le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la plupart des scientifiques pour réduire nos empreintes carbone? Dans le cas contraire, si Jésus n’avait pas une vie durable, pourquoi alors devrions-nous aujourd’hui nous infliger une telle sobriété? 

Nul n’est parfait

Pour le savoir, rien de mieux, sans doute, que de mesurer l’empreinte carbone de Jésus-Christ à l’aune des recommandations contenues dans les rapports du GIEC, ainsi que dans le document de l’Accord de Paris signé en 2015 — soit une empreinte inférieure à 2 tonnes de CO2 — afin de réduire les effets du changement climatique et de «limiter la hausse de la température en dessous de 2 degrés Celsius d’ici la fin du siècle». 

Il existe de nombreux sites Internet afin de mesurer notre empreinte carbone et découvrir les moyens adaptés ainsi que les actions les plus urgentes pour la réduire. C’est parfois fastidieux et long. Mais le jeu en vaut certainement la chandelle. On apprend sans doute à mieux se connaître. Alors, pourquoi ne pas faire le test pour Jésus. 

La première chose qui nous vient à l’esprit concernant le Christ, c’est qu’il ne possédait pas de moyens de transport comme les nôtres (voiture, avion, bateau, train). Toute son existence reposait sur la marche : c’est de cette façon qu’il délivrait son message. Cinq, dix, quinze kilomètres par jour. Côté consommation : pas de café ni de thé; aucune bouteille d’eau en plastique; toujours des produits locaux et de saison; pas ou très peu de déchets; une consommation d’alcool assez modérée; bref, le seul véritable défaut de Jésus consistait dans une consommation fréquente de viandes et de poissons, car le Christ n’était pas végétarien. 

Faut-il ajouter que Jésus habitait en communauté et qu’il se chauffait au bois? Eh oui! À son époque, il n’y avait pas d’électricité ni de climatisation. Pas plus d’ailleurs qu’il n’y avait de smartphones, d’ordinateurs, d’électroménagers ou de télévision.

Qui peut se vanter aujourd’hui d’avoir un mode de vie aussi sobre que Jésus-Christ? Et pourtant, son empreinte carbone tourne autour de 2,5 à 3 tonnes de CO2. Est-ce à dire que les objectifs du GIEC et de Paris sont surhumains? Même Jésus, sauveur de l’humanité, avec un mode de vie pourtant simple et ascétique, ne passerait pas sous la barre des 2 tonnes. 

Être écologiste, c’est d’abord un état d’esprit, une philosophie, un art de vivre

Nul n’est parfait, comme en témoigne l’expérience du Christ, mais rien ne nous empêche de tendre vers la perfection. C’est aussi ce que nous enseigne la foi chrétienne.

Celles et ceux, écologistes compris, partisans d’un monde meilleur, réenchanté, plus beau, plus juste et équilibré, trouveront peut-être un brin d’espoir dans ce passage des Évangiles selon saint Marc (1 : 12-13) où, après son baptême, Jésus est poussé par l’Esprit dans le désert. Avec pour seule compagnie les bêtes sauvages, il sera mis à rude épreuve par Satan durant 40 jours. À trois reprises le Christ résistera à la tentation. Satan abdiquera finalement. Puis viendront la délivrance et les anges pour le servir.

Je le disais imparfait, le voilà maintenant à résister à la tentation et à se mettre du côté des animaux, ces mêmes bêtes sauvages qui meurent aujourd’hui et qui sont menacées d’extinction à cause de nos errements. Si j’ai pris le risque de considérer Jésus-Christ comme l’ancêtre et la superstar des mouvements écologistes, ce n’est pas parce qu’il aurait une empreinte carbone sous la barre des 2 tonnes. Mais ce n’est pas non plus qu’il est un discours ou une parabole. Ce qui fait de Jésus l’ancêtre de la pensée écologique, si tant est que nous puissions remonter à son enseignement pour résoudre nos problèmes, c’est d’abord parce qu’il est le premier à aimer la création comme lui-même.

En réalité, Jésus-Christ nous enseigne que ne pas être injuste est un devoir. C’est même une façon de se respecter soi-même et plus généralement de respecter tout ce qui nous entoure et qui est porteur d’espérance. En vérité, ce qui fait de Jésus-Christ un écologiste hors pair, c’est qu’il a su mettre en adéquation la parole et l’action. Oui, Jésus me semble être tout le contraire de ceux qui ont le pouvoir de promettre, mais ne font rien.

Au fait, je n’ai pas testé mon empreinte carbone. Et vous? Alors, essayons tout de suite pour voir si nous sommes plus sages que Jésus.

Calculez votre empreinte carbone :

Adème (fr) : bit.ly/3W6HrvB

ONG américaine Global Footprint Network (français et anglais) : bit.ly/3Mus64M

Étienne Haché est philosophe et professeur de Lettres/Philosophie.