Pour un terme plus englobant, on peut se référer à la terminologie employée par le gouvernement du Canada (article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982). Sur le site officiel des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, il est mentionné que «le terme “Autochtones” désigne les premiers peuples d’Amérique du Nord et leurs descendants». En outre, «la Constitution canadienne reconnaît trois groupes de peuples autochtones : les Indiens ([…] les “Premières Nations”), les Inuits et les Métis». Si le terme «Premières Nations» est d’usage courant, celui d’«Autochtones» est reconnu par les Nations Unies.
De qui parle-t-on?
Le domaine de la recherche universitaire connaît toute la difficulté et l’importance d’adopter un lexique approprié. L’investissement du chercheur doit être en adéquation avec les populations. Or, mimétisme et faux-semblant sont des pratiques persistantes. Les études autochtones étant devenues un effet de mode avec les énormes subventions gouvernementales, l’obsession d’une subvention ou encore une pseudo-ascendance autochtone nuisent au milieu de la recherche.
La terminologie contribue également à une meilleure compréhension de la culture autochtone. Hélas, cela ne suffit pas à vaincre tous les stéréotypes qui sont ancrés et renforcés par la croyance que nous sommes uniques. Malgré les efforts des chercheurs et les politiques publiques déployées durant des décennies pour promouvoir la culture autochtone, incluant des initiatives locales comme les pow-wow qui offrent un temps pour le croisement des cultures, force est de constater que les Autochtones sont encore victimes d’injustice et d’exclusion.
Nous défendons des valeurs individualistes, ce qui explique que nous n’avons pas toujours d’intérêt pour des pratiques ancestrales. Et s’il nous arrive, par-delà les clivages linguistiques et politiques, de défendre des projets communs, jamais nous ne voyons dans la culture autochtone une sagesse capable de contribuer à notre identité. Avouons que cette attitude est non seulement étrange, mais la preuve d’un esprit franchement ignorant.
Mea culpa
Faut-il entrer sur un terrain glissant comme celui des restes d’enfants trouvés sur l’ancien site du pensionnat de Kamloops, de faire le procès des écoles résidentielles, de régler des comptes avec l’Église catholique ou de rappeler les nombreuses femmes autochtones disparues? L’amnésie dont souffre notre si grand pays fut suffisamment décriée par les médias étrangers. Européens et Américains se délectèrent en effet entre le printemps 2021 et la visite papale en juillet 2022.
Qu’on le veuille ou non, nous sommes les héritiers d’une civilisation traversée par des tragédies et des atrocités, dont certaines honteusement commises au nom de la foi chrétienne. Cela ne nous honore aucunement. Nous devons néanmoins assumer cette portion douloureuse de notre histoire. Les peuples autochtones n’ont que faire de nos états d’âme et règlements de comptes. Cela vaut également pour celles et ceux portés à faire table rase de l’héritage chrétien. Ce n’est pas ce que souhaitent les Autochtones. Mais ils ne veulent pas non plus d’arrangements de circonstance.
Il ne suffit pas d’espérer des relations nouvelles avec les Premières Nations; il faut également démontrer comment c’est possible. Les repentances, les excuses et les réparations sont nécessaires. Un pas fut fait dans cette direction. Mais comme le laissa entendre le premier ministre Justin Trudeau devant la Chambre des communes, le 1er juin 2021, «s’excuser n’est pas suffisant». Nous devons donc progresser par un dialogue franc et sincère.
Au pays du multiculturalisme
Un fait demeure qui explique le degré d’affliction du pape François lors de sa dernière visite au Canada : la dignité des peuples autochtones n’est pas reconnue. Cela tient sans doute au passé colonial du pays, mais aussi à notre existence politique qui ne leur laisse que très peu de place au sein de la fédération canadienne. Pour exemple, le multiculturalisme — version moderne du cosmopolitisme stoïcien et du pluralisme chrétien — qui, en quelques décennies à peine, a complètement transformé le pays en une mosaïque culturelle. Nous en sommes fiers, avec raison.
Rien n’est moins sûr en revanche que l’identité autochtone y trouve son compte. Un défaut apparent du multiculturalisme qui taraude en permanence l’identité canadienne vient du fait que nous estimons toujours possible d’embrasser de grandes ambitions universalistes, entièrement nouvelles, alors que d’anciens problèmes nationaux, tels que la condition autochtone, ne sont toujours pas résolus. Cette contradiction serait parfaitement normale si seulement nous pouvions l’assumer. Mais c’est bien loin d’être le cas.
En témoigne la Commission Laurendeau-Dunton en 1963 qui conclut à l’existence de deux sociétés distinctes, dont le Québec. Or, non seulement cette Commission n’a pas fait de place aux peuples autochtones, mais les lieutenants québécois de Lester B. Pearson profondément antinationalistes (Pierre Trudeau, Jean Marchand et Gérard Pelletier) ignorèrent complètement les recommandations de «peuples fondateurs» au profit du bilinguisme et du multiculturalisme. Si bien qu’entre 1970 et 1990, la politique canadienne a tourné essentiellement autour de ces enjeux. Celles et ceux qui, comme moi, étudiaient en science politique au début des années 1990 découvraient ad nauseam que le pays était finalement composé de «deux solitudes».
Des années décisives…
En consultant mes anciennes notes de cours en système politique canadien et en étude du fédéralisme, je n’ai pas de trace que la condition autochtone fut abordée une seule fois. Rien de nouveau avec l’Accord du lac Meech (1987) qui se voulait une réponse du conservateur Brian Mulroney au rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne en mai 1982, sans l’adhésion du Québec. L’histoire retient qu’Elijah Harper, député à l’Assemblée législative du Manitoba, a fait échouer l’accord. Qui se souvient du discrédit jeté sur cet homme d’origine autochtone, au caractère tenace, soucieux de défendre la voix de son peuple? Très peu de gens, mis à part les constitutionnalistes et les commentateurs politiques. Par comparaison, Clyde Wells, alors premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, fut une vraie vedette nationale.
Les années qui suivirent l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 donnèrent lieu à une série de conférences des premiers ministres afin d’«“identifier et définir” les droits ancestraux et issus de traités». Mais l’Assemblée des Premières Nations n’a pu tenir une position unifiée face aux deux ordres de gouvernement, notamment à cause des «11 traités numérotés» signés par certaines Nations avec l’État canadien entre 1871 et 1921. Quant à la modification de la Loi sur les Indiens (1985), elle n’apporta aucun gain notable aux Autochtones.
J’ai le souvenir de ces conférences qui étaient télédiffusées, où les chefs des Premières Nations, David Ahenakew en tête, habillés en tenues traditionnelles avec le tambour et le calumet de la paix, imposèrent la mélopée (la prière). Arrivé en retard à la conférence et visiblement très agacé par ce cérémonial, le cartésien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, fils d’ancêtres catholiques irlandais et formé par les Jésuites au Collège Brébeuf, dût pourtant s’y résoudre… D’ailleurs, lui-même se mit par la suite à réciter à haute voix le «Notre Père» et le «Gloire soit au Père». La même question de l’autonomie gouvernementale des Premières Nations refera surface en 1992, mais l’espoir ne sera que de courte durée. Le référendum sur l’Accord de Charlottetown destiné au renouvellement de la Constitution canadienne sera rejeté par une majorité de Canadiens.
Une pensée autochtone recentrée
Pauvreté, alcoolisme, violence, suicide sont les autres tristes réalités qui gangrènent de l’intérieur les populations autochtones. La crise d’Oka en 1990 et celle d’Ipperwash en 1995 peuvent être considérées comme un reflet de ces difficultés socioéconomiques (cf. la Commission Erasmus-Dussault, 1996). Ce qui incitera, à partir des années 2000, parallèlement à la question de l’autonomie et de la gouvernance, à un recentrement sur le bien-être et le développement de la part des instances directrices des Premières Nations — dont la légitimité sera par ailleurs ternie par des accusations de collusion avec la GRC.
Ce recentrement (réveil) conduira tout d’abord à l’Accord de Kelowna en 2005. Certes, les conservateurs fédéraux reverront à la baisse l’engagement financier promis par les libéraux de Paul Martin, mais l’esprit de cet accord résonnera dans le Règlement relatif aux pensionnats (2006), ainsi que dans la Commission de vérité et réconciliation (2008). Il imprègnera également le mouvement Idle No More (2012) contre le projet de loi omnibus C-45 du gouvernement de Stephen Harper.
Un peuple, une communauté, une nation qui veut exister se projette dans l’avenir en regardant son passé. C’est l’autre effet positif du recentrement des instances directrices autochtones. Reste à savoir comment les enfants autochtones, qui sont les plus défavorisés au Canada (cf. le rapport Vers la justice, 2019), seront priorisés. Là me semble la clé du devenir des peuples autochtones : le retour sur le sentier de la reconnaissance, de la prospérité, de l’autonomie et de la dignité dont parle si bien Daniel L. Paul dans son livre sur L’histoire des Premières Nations au sous-titre assez révélateur : Ce n’était pas nous les sauvages (2020/1993). Cette priorité, la petite enfance, — les Autochtones détiennent le plus haut taux de natalité au pays —, touche aussi bien la santé, l’économie que l’histoire et l’éducation.
Au fait, qui garde en mémoire que Canada est un nom iroquois?
Glossaire – Gangrener : Entamer l’intégrité de quelqu’un ou de quelque chose