le Vendredi 13 décembre 2024
le Mercredi 3 avril 2024 13:17 Chronique «esprit critique»

Je souffre, tu souffres, il souffre… mais tous, nous voulons vivre!

«Mes pensées et mon cœur sont du côté des toutes celles et tous ceux que la dépression (hivernale) affecte et prive d’eux-mêmes, de spontanéité, du monde et d’un tiers (autrui).» Étienne Haché. Photo : Denali National Park and Preserve, Public domain, via Wikimedia Commons
«Mes pensées et mon cœur sont du côté des toutes celles et tous ceux que la dépression (hivernale) affecte et prive d’eux-mêmes, de spontanéité, du monde et d’un tiers (autrui).» Étienne Haché. Photo : Denali National Park and Preserve, Public domain, via Wikimedia Commons
Elle s’invite insidieusement dans une vie vers la fin de l’automne, parfois avec beaucoup de violence, lorsque les feuilles qui rendaient les âmes heureuses durant l’été ont fini de mourir sous la pluie et les forts vents; ou, selon les variations du climat, avec l’arrivée de l’hiver, du froid et des premières neiges qui tapissent le sol d’un manteau blanc : qui dit journées de plus en plus courtes, dit longues nuits d’errance, d’angoisse, de peur, de solitude, de mal être et de souffrance.
Je souffre, tu souffres, il souffre… mais tous, nous voulons vivre!
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De nos jours, les spécialistes et les experts sont capables de la diagnostiquer, moins facilement bien sûr que les experts en prévisions météorologiques qui tournent en boucle sur les chaînes télé et les réseaux sociaux. 

Dans cette belle région du monde qu’est l’Amérique du Nord, on la nomme trouble affectif saisonnier (TAS), soit dépression saisonnière ou hivernale; phénomène qui contraste avec l’intensité de l’été indien. On la connaît, on pense mieux la comprendre en tout cas; on tente même de la soigner tant bien que mal et par tous les moyens possibles : médicaments, thérapies, accompagnement, hospitalisation et soins… 

Mais impossible de se mettre dans la peau de celle ou de celui qui la vit au quotidien, et ce, jusqu’à la fin du printemps prochain, voire l’arrivée de l’été qui suit. 

Le vouloir-vivre

Elle est longue, en effet; à cause d’elle, la lumière se fait durement attendre; d’autant plus longue qu’elle est complexe, causée par de nombreux facteurs; sans compter qu’elle n’épargne personne, homme, femme, intellectuel, capitaine d’industrie, gens ordinaires: elle fait sa loi en réduisant les êtres touchés à une masse d’indifférenciés, tous figés, esseulés, captifs d’eux-mêmes… Elle est en quelque sorte une guerre avec soi-même.

 Plongés dans la noirceur des ténèbres, comme dans un tunnel sans fin, nous ne comprenons nullement ce qui arrive. C’est tout juste si l’on a souvenance de comment et quand elle a surgi. Elle est non seulement insidieuse, sournoise, mais également violente et rend la victime insignifiante à la vue des autres. Pas le temps toutefois, encore moins l’énergie pour combattre l’indifférence et l’incompréhension. C’est d’abord une question de survie.

Pourtant, celle ou celui qui en souffre aspire malgré tout, mais sans qu’on puisse l’expliquer rationnellement, mis à part l’instinct, à s’en sortir tôt ou tard, à se déprendre d’elle. Lors de courts moments de clarté inattendus, tel le soleil jouant à cache-cache au beau milieu d’une épaisseur de nuages noirs et menaçants, jamais la mort n’est demandée. Serait-elle proposée au plus creux de la vague qu’elle viendrait discréditer la parole, l’amour et l’affection que les proches (famille et amis) doivent à celle ou à celui qui souffre. Au moindre signe, à la moindre lueur, la dépression traduit des manifestations de survie. 

Redevenir artiste

Serait-il exagéré et même odieux d’affirmer qu’elle ressemble étrangement pour cette raison à la situation de l’écrivain et de l’artiste lorsqu’ils sont en panne d’inspiration, au point de sombrer dans le désespoir? Après tout, comme je l’ai dit, personne n’est à l’abri de sa fureur; et, paradoxalement, de la fureur de vivre qu’elle engendre finalement…  

Depuis la mélancolie d’un Arthur Schopenhauer tourné vers l’hindouisme et d’un Friedrich Nietzsche émerveillé pour un temps par le bouddhisme, nous savons un peu que la descente aux enfers s’accompagne effectivement d’une rédemption : la fin d’un cycle s’achève par une remontée en forme d’éternel retour : le retour au début, à la naissance, à la renaissance, à la vie. 

La dépression serait ainsi un passage nécessaire du vouloir-vivre; instinct ou volonté affichée que, pourtant, seuls l’art, la littérature, la musique, la peinture permettent de soulager, d’oublier, de surmonter… Mais pour un temps seulement, nous dit Schopenhauer. 

En revanche, l’artiste, celui qui sait se distinguer, sortir de la norme, se donner des choix de vie et vouloir que ceux-ci se reproduisent ad infinitum, est peut-être la seule exception (Nietzsche) — outre celles et ceux atteints de troubles neurodéveloppementaux tels que l’autisme — dans cette épreuve existentielle qu’est la dépression. 

Lui, l’artiste, parvient, mais avec le temps seulement, à maîtriser le désespoir et à faire en sorte qu’il ne soit qu’une dimension de l’existence, une virgule, une parenthèse, un point, un trait plus ou moins long dans une vie, à savoir : le passé. Il y parvient grâce à son génie; un esprit original et créatif si puissant que ses productions servent à leur tour de remède contre l’oubli et la souffrance. 

Doit-on préciser cependant que la capacité à se relever d’une dépression n’a rien à voir avec le courage? L’expérience vécue n’a rien de rationnel; elle est illogique : une expérience, douloureuse, certes, mais intime, profonde, profondément vécue. Faut-il également rappeler aussi ce que serait l’injustice de la comparer à la résilience? Prétendre que c’est le cas condamnerait des âmes à la solitude et ferait renoncer à l’accompagnement, aux soins, au dialogue, à l’amour. 

Rien de tout cela, car la dépression est une terreur, une vraie catastrophe (katastrophḗ), un phénomène tout à fait imprévisible; ce qui explique que c’est une tragédie humaine, mais nullement comme au théâtre : l’être touché n’est pas dans le faux-semblant; encore moins rejoue-t-il sa propre vie ou celle d’un autre comme en dramaturgie puisque la dépression le rend tout à fait incapable d’une telle apparition publique…

 

Tendresse et douceur

Mes pensées et mon cœur sont du côté des toutes celles et tous ceux que la dépression (hivernale) affecte et prive d’eux-mêmes, de spontanéité, du monde et d’un tiers (autrui). J’ai essayé en toute humilité par cette chronique de me mettre dans votre peau, de vous comprendre autant que possible, de comprendre votre souffrance et votre esseulement. 

Où que vous soyez, tout près ou très loin, cette chronique vous est dédiée. Si elle peut faire rejaillir la lumière sur vous — espérons qu’un proche ou un ami la murmurera doucement à votre oreille —,

alors l’espoir sera permis : l’espoir qu’un jour, comme chez l’artiste, votre dépression sera bel et bien un souvenir du passé. Guérissez vite et profitez à nouveau de la vie.

Glossaire – Insidieux : Qui cherche à induire en erreur, qui dissimule