Peu de temps après son arrivée au pouvoir, le jeune Trudeau s’est efforcé de mettre en œuvre ses promesses électorales telles que la légalisation du cannabis, des mesures fiscales pour alléger le fardeau des ménages, l’amorce d’une réforme du Sénat, de même qu’une taxe fédérale sur le carbone, sans oublier la négociation de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) et la signature de l’Accord de Paris sur le climat.
C’est aussi durant la première année de son mandat, en octobre 2016, que l’Accord économique et commercial entre le Canada et l’Union européenne (CETA) sera signé, et ce, dans la continuité des négociations entamées par le précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper.
Mais la popularité de Justin Trudeau sera lourdement affectée par des enquêtes d’éthique : d’abord en 2017, où le premier ministre est accusé d’avoir accepté en 2016 des vacances gratuites sur une île privée des Caraïbes appartenant à l’Aga Khan, un riche leader spirituel chiite des ismaéliens nizârites, puis en 2019, cette fois dans l’affaire SNC-Lavalin où l’on reproche au premier ministre d’avoir fait pression sur la procureur générale Jody Wilson-Raybould afin que celle-ci n’intervienne pas dans un dossier pour corruption en vue d’obtenir des contrats en Afrique du Nord.
Outre ces reproches de conflits d’intérêts, le refus du premier ministre de s’engager à ne pas contester devant les tribunaux la Loi québécoise sur la laïcité de l’État, en 2019, lui vaudra les foudres du Canada anglais.
Au pays des gouvernements minoritaires…
Étant donné les prises de position impopulaires de son adversaire conservateur Andrew Scheer, qui a eu beaucoup du mal à clarifier les orientations de son parti sur des questions sociales sensibles telles que les droits LGBTQ+ et l’avortement, Trudeau sera de nouveau reconduit comme premier ministre à l’issue des élections fédérales de 2019. Or, son parti ne disposant pas d’une majorité absolue, il sera contraint toutefois de former un gouvernement minoritaire.
Ce second mandat sera marqué, entre autres, par une série de dépenses imprévues, mais nécessaires, en pleine pandémie de COVID-19, par l’interdiction des armes d’assaut le 1er mai 2020 en réaction à la tuerie de Portapique en Nouvelle-Écosse, ainsi que par une troisième enquête d’éthique liée au scandale WE Charity en 2020, organisme financé à coup de millions par le fédéral et avec lequel le premier ministre et sa famille avaient même été rémunérés par le passé pour des apparitions lors d’événements publics.
Toutefois, bien décidé à obtenir la majorité absolue, Trudeau provoquera à nouveau des élections fédérales anticipées, en septembre 2021, qui verront les libéraux arriver en tête face au Parti conservateur dirigé par Erin O’Toole. Mais une fois de plus, Trudeau doit composer avec un gouvernement minoritaire.
C’est durant ce troisième mandat qu’il fera face au «convoi de la liberté». Face à des camionneurs de partout au pays et bien décidés à en découdre avec les mesures sanitaires imposées par Ottawa, Trudeau se retranchera derrière la Loi fédérale sur les mesures d’urgence. Ce troisième mandat verra également le lancement de sanctions économiques contre la Russie et l’envoi d’aide militaire à l’Ukraine en réponse à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022.
Un sursaut patriotique en 2025
Nous sommes à dix-huit mois de la prochaine élection fédérale. La question n’est pas tant de savoir si Justin Trudeau doit se représenter, mais plutôt s’il en a encore l’envie et surtout l’énergie. Comme chacun sait, l’actuel premier ministre nous dit depuis assez longtemps déjà qu’il a bien l’intention d’être au rendez-vous. C’est non seulement un héritage de son père, mais c’est aussi dans sa nature… Sa vraie nature, c’est effectivement d’être un battant.
Qui a oublié son combat de boxe le 31 mars 2012 contre le sénateur conservateur Patrick Brazeau au profit de la lutte contre le cancer? Ce soir-là, le destin politique de Trudeau, alors simple député d’une circonscription montréalaise, a pris un tournant majeur. À tous les journalistes qui l’interrogeaient, son entraîneur, Ali Nestor, a répondu : «Il m’a demandé si je le croyais capable de livrer un combat. Il m’a convaincu en s’imposant tous les sacrifices à l’entraînement. J’avais confiance en lui».
Bien évidemment, la durée d’une personnalité politique de ce rang ne se détermine pas uniquement à partir de ce genre de critère et de son charisme, si dominant soit-il. Il faut également savoir maintenir la confiance des cadres de son parti et de son électorat partisan. Pour ce faire, il faut un vrai projet politique afin d’élargir son soutien, tant au centre du spectrum politique, lieu habituel du Parti libéral, qu’à gauche; une aile sociale très attachée aux valeurs démocratiques, éprises de justice et préoccupée, non sans raison, par des questions environnementales et climatiques.
Le premier ministre l’a bien compris, lui qui n’a pas hésité à conclure une alliance avec le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, afin d’éviter une défaite en chambre sur une motion de censure avant la date butoir d’octobre 2025. L’option a beau être déplorable par les partis de l’opposition qui lui reprochent depuis assez longtemps de s’accrocher au pouvoir. On peut aussi penser qu’il n’avait pas le choix. Reste que c’est un coup de génie politique et une réponse sociale significative à l’électorat.
Faire revivre la social-démocratie
Tandis que certains électeurs pourront lui reprocher de ne pas avoir réalisé la réforme électorale et certaines promesses en matière de réduction du déficit et de la taxation, que d’autres lui tiendront rigueur pour son passif de corruption ou ses lenteurs et ses hésitations dans l’application des protocoles environnementaux, une bonne portion de la social-démocratie canadienne verra très certainement dans les régimes nationaux d’assurance médicament et de soins dentaires une approche très progressiste et audacieuse, qui sera sans doute très difficile à contourner pour son principal opposant, le chef conservateur Pierre Poilievre.
En réalité, ce contre quoi doit se battre Justin Trudeau s’il compte remporter la prochaine élection fédérale, ce n’est ni l’image d’un homme épuisé ni celle d’une réputation ternie, qui manque d’intégrité et de conviction. C’est davantage contre l’image d’un homme que des années de pouvoir politique peuvent détacher des réalités et des besoins des gens. D’où le lien avec l’énergie et la passion dont je parlais précédemment. Or, sur ce plan, me semble-t-il, Trudeau a fait ses preuves.
Quant à savoir comment une autre question sociale comme celle du logement pourrait dominer la prochaine campagne électorale, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’opposition conservatrice n’est guère plus crédible, elle qui applique la causalité immigration/pénurie de logement. P. Poilievre a souvent fait valoir, par toutes sortes de fakes news, que le gouvernement Trudeau a «ouvert les vannes» aux demandeurs d’asile et aux étudiants étrangers qui se retrouveraient désormais à la rue, «vendus pour la prostitution, pour les gangs», faute de logements.
Pour finir, en matière de politique étrangère, le gouvernement Trudeau ne fait pas exception à la tradition canadienne défendant bec et ongles les droits et libertés. Bien que le premier ministre ait pu donner l’impression de ne pas avoir veillé à la souveraineté du Canada lors de la demande américaine d’arrestation de la directrice financière de l’opérateur téléphonique chinois Huawei, souvenons-nous que la malveillance de la Chine, les atteintes aux droits de la personne en Arabie Saoudite et en Russie, le nationalisme indien sont des sujets de sécurité nationale bien plus préoccupants. Quant à la position du gouvernement sur le conflit israélo-palestinien, elle tranche avec celle du Parti conservateur qui se range résolument dans le camp israélien.
Justin Trudeau est loin, très loin d’avoir dit son dernier mot.