Le peuple veut du pain et des jeux, pas des chroniques littéraires ou d’actualité… Cela ne l’intéresse pas toujours! Il est dans sa zone de sécurité et de confort, avec les réseaux sociaux, trompé quotidiennement par des fake news et assumant ainsi pleinement le fait d’être trompé et dirigé par tous ces experts en communication qui rongent petit à petit notre vie sociale et politique. Le peuple, du moins une partie de plus en plus grande de la population, l’affirme même haut et fort : nulle envie ni besoin de sortir du grand mensonge organisé.
Ce qui ne veut pas dire que le métier de chroniqueur et de journaliste n’est pas nécessaire, bien au contraire! Il est même le sel de la vie. Mais c’est un pouvoir dont il faut savoir user intelligemment. J’ai déjà exprimé dans une précédente chronique, l’hiver dernier, qu’écrire suppose d’accepter «le poids de la responsabilité du monde […]. Cet acte n’est […] pas une mince affaire. Il en va de la défense de notre liberté; non seulement de nos droits et libertés en tant qu’individus singuliers, mais d’un combat pour le respect du droit et de la justice, avec lesquels il n’y a pas à transiger» (Le Franco, février 2024).
À n’en pas douter, l’écriture, tout particulièrement le journalisme écrit, permet aux lecteurs d’adopter un regard lucide sur l’actualité. C’est même une chance pour tout citoyen que de pouvoir ainsi comparer, confronter, mesurer, peser le pour et le contre; bref, se faire une meilleure idée de la réalité et de l’importance des enjeux. L’actualité politique française récente n’en manque pas…
Pas de retour en arrière possible
Assurément, il en est un qui a déjà raté son coup… Un dessin du caricaturiste Plantu en une du journal Le Monde du 2 mars 2021, repris sur X, laissait déjà présager sa chute. Je parle évidemment de l’actuel président français, Emmanuel Macron.
Celui-ci a été un chef d’État jupitérien; un chef orgueilleux, la métaphore n’est pas qu’emphatique. Il n’est désormais qu’un simple vivant dont le sort connu d’avance est désormais commun aux autres vivants… Il voulait être le plus intelligent que sa présidence, soit celle de la grandeur retrouvée de la France. Selon les mots de Shakespeare dans Cymbeline (1611), il apprend désormais, à l’insu de sa volonté, à «faire face au temps comme il vient et change». Le «quoi qu’il en coûte», version Emmanuel Macron, n’est plus pour lui qu’une simple réminiscence du passé, un «rêve puéril».
J’imagine même un vaste mouvement populaire postélectoral, lassé de l’incapacité du président à former un gouvernement stable et responsable, ses membres entonnant ce refrain à l’unisson : «Macron démission!». Mouvement qui résonnerait auprès de sages, dont un ancien président de la République, François Hollande, lettre en main, bien décidé à faire capituler l’actuel président. Pour tout dire, je ne sais pas. Si, malgré la crise politique actuelle, le président Macron ne peut être destitué (conformément à l’article 68 de la Constitution française), démissionnerait-il de sa fonction sous la pression de la rue? Finirait-il par céder à la pression des urnes, surtout venant des masses populaires? Sauf peut-être s’il sait la partie perdue. Mais nous n’en sommes pas là bien sûr. Attendons les résultats du second tour le 7 juillet.
Les Français ne souhaitent pas son départ, mais il doit maintenant changer sa manière de gouverner et renoncer à l’hyperprésidentialisme, être plus modeste. Et s’il ne peut le devenir, et rien n’indique qu’il le puisse, que les résultats du vote le contraignent alors à former un gouvernement d’Union nationale, qui fasse appel à tous les talents républicains de ce pays, quelles que soient leurs affinités politiques. Il n’en manque pas. Ce serait un tour de force que de réussir à former une telle coalition.
Emmanuel Macron a voulu apparaître comme un président fort, mais c’est un craintif. La crise des gilets jaunes a montré à quel point il craignait la populace, la foule, car après tout, il ne la connaît pas. Son mépris du peuple est terrible. Et celui-ci le lui rend bien. Je pense que les Français sont en fait très partagés. Il y en a clairement qui veulent sa tête et qui souhaitent que le Rassemblement National (RN) — parti qui porte toujours les stigmates de ses origines FN — accède au pouvoir.
Combien sont-ils exactement à vouloir donner la chance à ce parti? Difficile à dire au moment où j’écris cette chronique, mais le premier parti reste celui de l’abstention… D’autres veulent un changement de gouvernance et plus d’éclectisme dans la représentation politique : un gouvernement plus ouvert d’union nationale, dans l’intérêt du pays. La gauche arrivera-t-elle au pouvoir dimanche prochain?
Dans les profondeurs de l’inconscient, le réveil des gilets jaunes
Ce que d’aucuns qualifiaient jadis comme de l’agitation révolutionnaire… Écoutons-les aujourd’hui pour se convaincre que c’est devenu tout le contraire : «Avec mon mec, Alex, on s’est dit que si le Rassemblement National gagnait ce dimanche, alors “yallah!“, on irait fêter ça avec les deux gosses, ma mère et ma tante dans mon resto préféré, le Royal Wok. Et pas n’importe lequel : celui de Guéret, dans la Creuse. C’est un buffet à volonté et je n’en repars jamais tant que je n’ai pas envie de vomir! Pour 20 euros, tu as tout de compris, même les boissons, et ça, ce n’est pas commun dans les buffets à volonté. Tu te sers tant que tu veux. Tu peux prendre 10, 20 litres de rosé, c’est gratos. Et puis, après le resto, direction Lilo Trésor, la salle de jeux de fou pour les enfants – chacun son paradis, hein! Sauf qu’on n’ira nulle part. Parce que le Royal, il est à une heure et demie de bagnole et nous, on vit à Ussel, en Corrèze. Donc, pour y aller, faut du gazole et on n’a plus les sous. Et le resto aussi, faut pouvoir se le payer, et bah, on ne peut pas. Dimanche, quand les résultats du premier tour sont tombés, on a trinqué à l’eau et on était heureux!» Non, nous ne sommes pas dans l’Amérique profonde, blanche, trumpiste, conspirationniste… Et pourtant, cela lui ressemble étrangement.
Heureusement, il reste encore en France des brins de civilisation à ne pas avoir été touchés par la déferlante populiste et ses antennes médiatiques relais. Là où j’habite, en Indre-et-Loire, le verre de rosé est payant. De toute façon, je n’aime pas ces buffets. On y mange assez mal et quitte à aller dîner, je préfère encore choisir où et avec qui. Je n’aime pas la foule. Oui, drôle quand même…; drôle et triste, la vie de ces gens en Corrèze et ailleurs. Mais les sympathisants frontistes sont ainsi : ils ne lisent pas, ni même achètent la presse pour confronter leurs points de vue.
Vous connaissez l’adage : «Quand on entend ce qu’on entend et qu’on voit ce qu’on voit, on a raison de penser ce qu’on pense…». C’est tout cela le frontisme, la réification par le travail, le divertissement qui l’accompagne et le refus de l’autre. Je n’ai rien contre la culture ouvrière et ses valeurs, j’en suis moi-même issu. Mais franchement, refuser d’ouvrir un livre ou un journal au motif que c’est pour les «intellos», c’est absurde. L’ignorance est une calamité qui semble bien payer pour le RN et ce n’est pas ce que l’on ne sait pas, mais plutôt le refus d’apprendre de nouvelles choses qui apparaît comme le véritable danger actuel pour la démocratie.
Un véritable poison lent qu’administre à merveille non seulement l’extrême droite française, mais dorénavant tous les partis populistes. Dernier parti en date, inspiré par les néo-conservateurs canadiens : le parti anti-immigration et antisystème Reform UK, dirigé par Nigel Farage, qui va faire une entrée fracassante au Parlement britannique avec 13 sièges à la suite des élections législatives du 4 juillet remportées par les Travaillistes. Au sein de l’«armée» de Farage, lui-même élu député pour la première fois, coule l’influence du fondateur de la nouvelle droite canadienne, Preston Manning, et des théoriciens de l’École de Calgary. À méditer pour tout Canadien.
Glossaire – Adage : Formule généralement ancienne énonçant une vérité admise